Des enfants membres des milices
Photos: Valentin Cebron 

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politique

Dans les centres aérés militaires de la République populaire de Donetsk

Dans ce nouvel État autoproclamé et pro-russe, des clubs patriotiques insufflent un vent de nationalisme dès le plus jeune âge.

Onze gamins sortent au pas de course d’un local bétonné. Quelques mètres plus loin, dans la cour, ils se tiennent en rang d’oignons. Torses bombés et bras le long du corps, ils portent un regard incisif. Un air de sérieux et un sens de la droiture aux allures d’une parade militaire. Âgés de 8 à 17 ans, ils font tous partie d’un des 10 clubs patriotiques pour enfants en République populaire de Donetsk (RPD). L’objectif est clair : transmettre des valeurs nationalistes à la jeunesse tout en lui apprenant à savoir se défendre et à se battre. Conjoncture de guerre, oblige.

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Les membres du club patriotique lors de l'appel.

Car depuis 2014, le conflit ukrainien s’enlise et a déjà fait plus de 10 000 victimes. Avec d’un côté le gouvernement de Kiev pro-européen, hostile à la Russie et issu de la révolution de Maïdan, ayant entraîné la fuite et la destitution de l’ex-président pro-russe Viktor Ianoukovytch. De l’autre, les anti-Maïdan russophones et russophiles à l’origine de la création de deux nations autoproclamées - non reconnues par la communauté internationale - dans la région du Donbass. À savoir la République populaire de Lougansk et la République populaire de Donetsk, situées à l’est de l’Ukraine.

Contrairement à la Crimée qui fait maintenant partie intégrante de la Russie, les deux Etats sécessionnistes nés en 2014 revendiquent leur totale indépendance, bien qu’idéologiquement soutenus par le Kremlin. Aujourd’hui, le gouvernement ukrainien y est dépossédé de toute autorité mais continue de guerroyer pour tenter de reprendre la mainmise sur ses anciens territoires. Pour se sentir d’autant plus légitimes et aspirer à s’élever, ces « jeunes nations » n’ont d’autre choix que d’infuser un fort sentiment de fierté patriotique à leur population. À commencer par les futures générations. D’où l’éclosion, au lendemain de cette lutte fratricide, de structures à mi-chemin entre les centres-aérés et les écoles militaires. Un endroit singulier où des entraînements physiques couplés à des cours de discipline sont proposés gratuitement aux enfants après l’école.

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L'instructeur, en tenue militaire.

La ville de Mospino - 9000 habitants, située à 30 kilomètres au sud-est de Donetsk en RPD, héberge l’un de ces hauts-lieux de formation de la jeunesse. Sergeï, le visage froid et accoutré d’un ensemble militaire de la tête aux pieds, est en charge de ce club patriotique qui a vu le jour en 2015. C’est lui l’instructeur qui, sur un ton péremptoire, assène des ordres et supervise les pas cadencés des jeunes garçons. « L’objectif du club est d’éduquer les enfants pour qu’ils deviennent des personnes honorables et sur qui le pays peut compter », explique-t-il d’une voix sèche.

Si ce mini-défilé est un rituel d’introduction pendant chacune des trois séances hebdomadaires, les 11 garçons s’adonnent ce jour-là [9 septembre 2018] à une minute de silence. Têtes baissées autour d’un mémorial, les jeunes initiés rendent hommage à Alexandre Zakhartchenko, principal chef séparatiste ukrainien et « président » de la RPD, décédé 10 jours plus tôt après un attentat à la bombe survenu dans le centre-ville de Donetsk et attribué à Kiev par le régime insurgé. De nouvelles élections présidentielles, jugées illégales par les Occidentaux, se sont d'ailleurs tenues le 11 novembre et ont placé Denis Pouchiline à la tête de l'Etat autoproclamé.

« Ce que je préfère ici, ce sont les leçons qui me font comprendre en quoi je peux être utile à la société et à mon pays » – un jeune milicien.

Planté en plein milieu du patio sur un sol en goudron lézardé, le monument en forme de cloche - elle est symbolique de la culture russe orthodoxe - qui sert de recueillement tient un emplacement qui est loin d’être anodin. Il a été bâti en l’honneur des civils et soldats ayant perdu la vie durant le conflit. Mospino a été le théâtre d’affrontements et de bombardements. Au point de voir naître une milice locale avec pour chef de file Sergeï et ayant pour QG, les actuels locaux du club. Le but : patrouiller dans la ville et y faire régner l’ordre. « Parce qu’il n’y avait ni police, ni autorité », assure l’instructeur. Et non seulement le club patriotique a récupéré les anciennes infrastructures de cette bande officieuse, mais il a également hérité de son appellation : « DND » (« Dobrovolnaya Narodnaya Druzhina ») ou « Armée civile et volontaire ».

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Cours de patriotisme, sinon de nationalisme, avec un drapeau aux couleurs du club.

D’ailleurs, les petits néophytes possèdent tous un tee-shirt orange avec l’écusson du club sur la poitrine et son nom inscrit dans le dos. Mais il est des tee-shirts qui se méritent. « Si j’apprends qu’ils se sont mal comportés ailleurs, je leur enlève. C’est l’une des punitions pour consolider le collectif », justifie Sergeï. Cette fois-là, deux enfants ne portent le maillot du club car ils ont fait l’école buissonnière. Ce civisme poussé à son paroxysme en a touché un en plein coeur. Nikita, 13 ans, fait partie du club depuis trois ans. « Ce que je préfère ici, ce sont les leçons qui me font comprendre en quoi je peux être utile à la société et à mon pays », confie le jeune garçon.

Il n’y a cependant pas que le strict civique et patriotique qui est de rigueur ici. Cette assiduité morale va de pair avec une condition physique exacerbée. Dans un autre bâtiment, une salle de musculation aux murs jaunes décrépis est équipée de plusieurs haltères et machines montées à partir de matériel de récupération. Qu’importe le gabarit ou l’âge, « tous doivent participer. Je leur montre comment on fait et ils appliquent », martèle Sergeï après quelques tractions acrobatiques sur les barres parallèles.

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Les jeunes recrues enchaînent les kicks.

Cet ancien maître-chien ne jure que pour le sport. « Au collège, j’étais le meilleur en cours et je réalisais les exercices d’éducation physique mieux que quiconque. Le sport, j’en suis tombé amoureux. Jusqu’à y dédier ma vie », avoue-t-il. Cette forme de bigorexie (dépendance à l'exercice physique), il souhaite la transmettre à ses jeunes poulains et ce, au nom de la patrie. « Les entraînements m’apportent plus de muscles pour défendre ma famille et ma terre », soutient Aleksander, 12 ans. Et c’est justement cette conscience nationaliste belliqueuse que le club, par l’intermédiaire de Sergeï, entend inoculer à ses adeptes. En vue, peut-être, d’un passage à une nouvelle guerre de mouvement.

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« Les enfants doivent désassembler, assembler et charger en 45 secondes maximum. Non seulement ils savent le faire, mais ils peuvent transmettre ce savoir-faire à d’autres. »

Derrière l’endroit où les jeunes soulèvent de la fonte, un terrain de basket au parquet brun caramel fait office de gymnase. Un drapeau de la RPD - trois bandes noires, bleue et rouge - flotte plusieurs mètres au-dessus du panier, histoire de rappeler que toutes les activités pratiquées sont au service de la nation. Après avoir observé leur coach d’un air angélique, les garçons font des tours de terrains, les deux avant-bras tendus et parallèles, collés au visage : en position de garde. Sur leur garde, ces futurs défenseurs de la DPR devront constamment l’être l’être si l’actuelle guerre de position se pérennise.

À chaque fois que Sergeï frappe dans ses mains, c’est un crochet, un uppercut ou un high-kick déclenché dans le vide. D’une pierre deux coups : l’endurance et la maîtrise technique. Les onze gamins enfilent ensuite leur paire de gants de boxe. Deux contre un, trois contre un, deux contre deux : les enfants n’y vont pas de main morte. Ce sont plus tard les quatre plus costauds, divisés en deux équipes, qui s’affrontent à l’extérieur. Casques de boxe anglaise vissés sur la tête, ils ont cette fois-ci en main des battes de baseball. Eux non plus ne font pas dans la dentelle. Car en zone de guerre, il faut savoir se battre, leur rebat-on les oreilles. C’est aussi une manière d’impressionner le coach.

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Travaux pratiques dans le gymnase.

Sergeï entretient une relation spéciale avec ses élèves. « Il y a des mômes qui me disent qu’ils aimeraient que je sois leur père », avance-t-il. Dans la majeure partie des cas, ce sont les enfants eux-mêmes qui demandent aux parents de s’inscrire ici. « En franchissant la porte de ce club, les enfants souhaitent avant tout devenir plus forts et courageux », constate-t-il. C’est une première étape en vue de rejoindre la police, les forces armées, devenir garde du corps ou agent de sécurité. « Plus tard, je voudrais devenir soldat pour protéger la RPD de l’envahisseur [L’Ukraine] », lance Sasha, 12 ans, le sourire espiègle.

Ils apprennent déjà un peu à être des soldats. Dans le premier local, une odeur de sueur s’est installée. Par terre, le tatami sert d’abord de terrain de catch. Mais c’est également un support pour apprendre aux enfants comment manipuler des armes à feu. Sergeï vient d’y déposer un chargeur, des balles ainsi qu’un fusil mitrailleur de type AK-47. « Les enfants doivent désassembler, assembler et charger en 45 secondes maximum. Non seulement ils savent le faire, mais ils peuvent transmettre ce savoir-faire à d’autres », certifie Sergeï. La séance se termine par du self-defense pour apprendre à neutraliser un ennemi armé.

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Les enfants apprennent à se battre, notamment avec des battes de baseball.

Sergeï ne déplore qu’une seule chose : l’absence d’une personnalité spirituelle au sein du club. « Parfois, je les emmène à l’église le dimanche. Car je ne veux pas que ces entraînements les rendent méchants, violents ou agressifs ». En attendant, deux d’entre eux n’ont pas su répondre à une question d’histoire : « Quels étaient les premiers tsars de Russie ? » [La dynastie des Riourikides]. Ce sera donc 200 squats pour tout le groupe.

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Plus de photos ci-dessous :

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Leçon de maniement d'une arme.

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Cours de self-defense.

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Les parties du corps qu'il faut développer. À savoir tout le corps humain.

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