Des femmes du Proche-Orient racontent ce que c’est de marcher seules le soir
Photo par Kazzazm via Shutterstock

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Des femmes du Proche-Orient racontent ce que c’est de marcher seules le soir

Ce qu’il faut endurer pour tout simplement rentrer chez soi.

Cet article a initialement été publié par VICE Arabie.

Les femmes qui rentrent seules à la maison, même de jour, s’exposent souvent à des commentaires misogynes et au risque de harcèlement. On a toutes eu à composer avec des remarques sur notre apparence ou nos vêtements et à se défaire d’inconnus qui trouvent acceptable de s’approcher et d’obtenir physiquement notre attention. Et l’abus ne va qu’en s’aggravant quand la nuit tombe.

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VICE Arabie a interrogé des femmes de plusieurs pays du Proche-Orient pour connaître les effets du harcèlement dans la rue sur la vie des femmes et les précautions qu’elles adoptent pour leur sécurité.

Tunis, Tunisie

Photo : Ghada

Ghada, 25 ans, directrice du marketing

VICE : Est-ce que tu te sens en sécurité quand tu marches seule le soir à Tunis?
Ghada : En général, oui. Je sors souvent le soir à Tunis et, heureusement, je ne me suis jamais sentie menacée ou en danger. Bien sûr, il y a des quartiers où je ne mettrais jamais les pieds seule.

Est-ce que tu prends des précautions pour ta sécurité?
J’évite les quartiers autour du centre-ville, les secteurs avec beaucoup de cafés et de bars bas de gamme, où vous ne verrez aucune femme après 23 heures. Il y a d’autres endroits à Tunis parfaitement sécuritaires pour les femmes jusqu’à au moins deux heures du matin parce qu’il y a beaucoup de gens et de voitures qui circulent.

J’essaie de toujours marcher avec quelqu’un. Quand je dois rentrer seule à pied, si je sens que quelqu’un m’observe ou me suit, j’appelle des fois mes parents juste pour jaser. Je sais que ça ne me sauvera pas, mais leurs voix me rassurent un peu.

As-tu déjà été harcelée physiquement?
Oui, il y a environ deux ans. D’habitude, je ne prends pas les transports en commun, surtout à l’heure de pointe, mais cette fois-là, j’ai dû prendre le métro. C’était vers 20 heures et il y avait tellement de gens qu’on avait du mal à respirer. Il y avait un homme derrière moi, et j’ai tout à coup senti sa main qui me touchait délibérément le dos. J’avais peur et je voulais m’éloigner, mais il n’y avait pas assez d’espace. J’étais si insultée que j’aurais voulu le frapper, mais je suis restée figée. Je suis sortie à la station suivante sans jamais regarder derrière moi parce que je ne voulais pas voir son visage.

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Damascus, Syrie

Photo : Hala

Hala, 23 ans, journaliste

VICE : Comment sont les rues de Damas tard le soir?
Hala : À un point pendant le conflit, c’était moins dangereux de sortir le soir que le matin parce que les bombardements cessaient. En général, pour les femmes, ça n’a jamais été une bonne idée de sortir le soir à Damas. Mais, en ce moment, il semble y avoir un peu plus de calme et on croise des femmes comme des hommes dans la rue tard le soir, surtout dans les zones loin des lieux d’affrontements directs.

Avant la guerre, est-ce que tu étais à l’aise de marcher seule?
À part les commentaires et les regards de gars qui peuvent vous pousser directement à l’état de panique si on y accorde trop d’attention, je ne me suis jamais sentie menacée en marchant le soir.

Est-ce que tu prends des précautions?
J’essaie d’éviter les ruelles sombres ou abandonnées, j’emprunte les rues achalandées ou plus larges. Parfois, j’élabore un plan de fuite complet dans ma tête : les sorties les plus proches, ma méthode pour me défendre si quelqu’un me harcèle. En plus, je dis à mes proches où je vais, l’heure à laquelle je suis partie et mon itinéraire au cas où un incident se produirait. Des fois, j’envoie aussi des messages en chemin pour leur dire où je suis rendue. La plupart du temps, cependant, le meilleur moyen, c’est d’être accompagnée par un ami quand on sort tard.

Rabat, Maroc

Photo : Salma

Salma, 25 ans, journaliste

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VICE : Est-ce qu’il y a des secteurs de Rabat que tu évites le soir?
Salma : J’essaie d’éviter de sortir seule, qu’importe où je vais. J’ai peur et je ne me sens pas en sécurité dans beaucoup de quartiers de Rabat, qu’ils soient riches ou pauvres. Si je rentre tard le soir, ce qui arrive parfois à cause du travail, je m’assure qu’un de mes collègues peut me raccompagner.

Qu’est-ce qui t’inquiète?
Personnellement, je n’ai jamais vécu de mauvaises expériences, mais j’entends souvent parler de filles qui ont subi de l’abus verbal ou physique. Une femme dans ma famille a été agressée par trois jeunes près de la gare dans le district d’Agdal.

Quel serait le moyen le plus sécuritaire de rentrer à la maison?
En voiture, c’est de loin le plus sécuritaire. Les taxis sont un autre moyen assez sûr.

Beyrouth, Liban

Photo : Laila

Laila, 21 ans, journaliste

VICE : Est-ce qu’il y a des secteurs de Beyrouth où tu ne voudrais pas être seule le soir?
Laila : Il y en a plusieurs où je ne me sens pas en sécurité le soir. Généralement, dans les rues désertes où aucune voiture ne passe le soir.

Est-ce que tu as déjà été harcelée en rentrant seule à pied?
Personnellement, ça ne m’est jamais arrivé, mais on entend constamment des filles raconter qu’elles l’ont été en ville. L’une de mes proches amies a été suivie par des gars dans une voiture alors qu’elle marchait vers chez elle. Ils l’ont suivie jusque devant la porte de sa maison, mais, heureusement, rien n’est arrivé. Il était seulement 20 heures, ce n’est pas très tard.

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Quelles précautions prends-tu?
On doit marcher seul le soir ou la nuit à Beyrouth, c’est inévitable. Alors mes amies et moi, on a toujours du poivre de Cayenne dans notre sac à main, au cas où on devrait se défendre. Le moyen le plus sécuritaire de rentrer à la maison le soir, c’est en taxi, mais c’est très cher. Il y a de plus en plus de gens qui font du covoiturage.

Le Caire, Égypte

Photo : Mai

Mai, 25 ans, journaliste

VICE : Comment c’est de se déplacer à pied au Caire en soirée?
Mai : Quand j’ai commencé à travailler le soir – de 18 heures à minuit –, je pensais que des hommes allaient souvent me harceler en rentrant chez moi. Jusqu’à maintenant cependant, je n’ai pas eu de problème dans les transports en commun entre le centre-ville, à la place Ramsès, et les bureaux dans Mohandeseen.

Donc aucun abus physique?
Personnellement, non. Personne n’a jamais essayé de me voler ou de me harceler physiquement. La seule chose, c’est que parfois je dois rentrer en taxi et les chauffeurs essaient de m’escroquer parce que je suis une femme. Ils refusent de mettre en marche le compteur et exigent plutôt un prix fixe élevé. C’est très frustrant.

Comment réagis-tu si on te harcèle verbalement?
Les gars qui font des remarques sur moi parce que je suis seule à l’extérieur le soir ne s’attendent jamais à ce que je réponde, mais je les surprends toujours en répliquant pour me défendre.

Amman, Jordanie

Photo : Dana

Dana, 36 ans, relationniste

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VICE : Est-ce qu’il y a des secteurs d’Amman où tu n’aimes pas te trouver le soir?
Dana : Je dirais qu’Amman est une ville sécuritaire, mais, en même temps, ce n’est pas facile de la traverser à pied. En général, j’utilise ma voiture, qu’importe où je vais. Pour être encore plus en sécurité, je recommanderais de toujours se déplacer en groupe le soir.

Est-ce que tu te changes quand tu te rends seule dans certaines parties de la ville?
Ça dépend totalement de l’endroit où je vais et du moyen que je prends pour m’y rendre. Mais, oui, parfois, je mets un chandail avec de longues manches.

Jerusalem

Photo: Ranin

Ranin, administratrice au Musée palestinien

VICE : Est-ce que tu te sens en sécurité le soir à Jérusalem?
Ranin : Oui, je me sens plutôt en sécurité, surtout dans les quartiers arabes. Je ne suis pas inquiète quand je sors seule avant minuit, mais c’est mieux de rentrer avec un proche. Ce qui sort de l’ordinaire à Jérusalem, c’est l’imposante présence militaire israélienne, en particulier dans la vieille ville. On a souvent l’impression qu’une guerre est imminente.

Est-ce qu’il y a des rues ou des secteurs en particulier dans lesquels tu évites de marcher le soir?
Oui. En tant que Palestinienne, souvent, je ne me sens pas en sécurité autour des colonies israéliennes et dans la vieille ville de Jérusalem, où il y a un grand nombre de soldats.

Toi ou tes amies, avez-vous déjà été attaquées?
La plupart des femmes subissent beaucoup de harcèlement verbal et de regards inquiétants, surtout dans des villes comme Jérusalem et Ramallah. La meilleure réaction, c’est de ne pas y porter attention.

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