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Culture

Instagram, fenêtre ouverte sur votre âme

Tout le monde a un compte Insta, mais rares sont ceux qui savent l’analyser comme il faut. Voici la grille de lecture ultime.
Daisy Jones
London, GB
Hannah Ewens
London, GB
Image de Emily Bowler

Réaliser le post Instagram parfait s’apparente à une performance de funambule. Entre le désir de séduction, la quête du filtre parfait et la recherche d’une légende pertinente, l’équilibre est toujours plus instable. Publier une photo de sa dernière soirée pour faire découvrir au monde entier sa bande d’amis si cool aux cheveux si soyeux, c’est prendre le risque de passer pour un accro à la MD sans envergure. Rédiger une légende drôle, c’est s’exposer à l’incompréhension d’abonnés, trop obtus pour un humour trop subtil. Paradoxe ultime : il ne faut surtout pas avoir l’air d’aimer Instagram plus que de raison. Enfin, le choix des couleurs est capital. Un feed à dominante taupe ne fera jamais rêver personne. Pas plus qu’une masse informe de hashtags incohérents.

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Attention, certains parmi nous sont assez équilibrés, sincères et épanouis pour échapper à toute cette pression. Qu’ils retournent se consacrer à leurs photos de promenades en forêt et de #dînerauxchandelles. Les autres feraient mieux de lire ce qui suit.

L’esthétique Instagram n’a rien de cryptique, c’est même la meilleure manière de savoir qui nous sommes. Alors c’est parti.

Un camaïeu rose pastel avec bonus aisselles fluos

Je me vante jour après jour de bouleverser les canons de beauté contemporains. Il faut dire qu’avec mes deux grains de beauté au milieu d’un ventre parfaitement plat et mon cul bombé qui vient faire coucou un selfie sur deux, je mène un combat sans merci contre la grossophobie. Dans ma story, les plus chanceux trouveront une invitation à mon vernissage de la semaine prochaine. Au programme, moi à poil en mille exemplaires et mes cours de linguistique lus à voix haute sur un grammophone. J’ai Tumblr depuis mes douze ans.

Des photos de rues identiques et monochromes, avec toujours le même filtre / Aucune photo de moi à part une archive un peu gênante qu’il faudra d’ailleurs que j’efface

Je m’appelle Théo, je suis blanc et hétéro, j’adore Coldplay et mamie m’a offert un Nikon pour Noël dernier.

Vacances, festivals ou restaurants chic, ce qui compte c’est qu’on voie ma gueule

J’adore l’humour, l’amour, et surtout, la vie.

Les hashtags se bousculent sous chacune de mes publications, et c’est tout juste s’il me reste de la place pour glisser une citation de RuPaul’s Drag Race.

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Ce sponsoring avec Burger King est-il bien raisonnable ? J’hésite mais j’ai faim. De toute façon, j’ai bien trop à faire avec mes trois « A » cardinaux (Authenticité, Algorithme, Antoine). Antoine ? Mon mec, avec qui j’ai une session copulation prévue chaque mois. Un peu plus si mon set hebdomadaire au Wanderlust est annulé.

Mes photos multi-retouchées m’ont trahie, je suis je suis je suis (rayer la mention inutile) blogueuse mode / influenceuse / mannequin / DJ.

@hannahrose___

Le même profil, moins Burger King et le Wanderlust

Je suis blogueuse mode, mais je suis la seule à le savoir.

Zéro filtre, zéro sourire, un col roulé pour les selfies, un autre pour les selfies-miroirs (nuance), quelques oeuvres d’ « art »

Je sors des Beaux-Arts et il se murmure que j’ai déjà pris de la coke et du LSD le MÊME soir. La vérité, c’est que j’ai peut-être été DJ à Berlin dans une autre vie, ou l’année dernière. Je sors avec une femme de deux fois mon âge. On est en couple libre, surtout elle. Je n’ai jamais adressé la parole à personne, sauf à mon chat une fois. Mon plus grand combat ? La pauvreté. C’est tellement mieux d’être riche !

Plus c’est moche, mieux c’est

Les seuls filtres auxquels j’aie jamais touché sont ceux de mes cigarettes. Allergiques au 56e degré, passez votre chemin : vous ne trouverez sur mon profil qu’humour post-moderne et fautes d’orthographe. On me confond parfois avec une grand-mère un peu perdue bloquée en capslock, mais les vrais savent.

J’en suis à mon 365e jour sans sexe, de toute façon c’est toutes des putes sauf maman. Mon salaire de pubard ne me suffit pas, alors pour arrondir les fins de mois je me produis sur scène tous les mardis impairs. C’est un échec : il paraît que je suis trop « problématique ». De toute façon on peut plus rien dire.

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Des fringues importables, des lunettes de soleil vintage, des vernissages noyés au Prosecco et surtout, aucune cohérence niveau filtres

J’habite dans le 17e et j’ai deux péchés mignons : la mode et la coke. Je passe un temps fou à m’habiller comme un sac avec des fripes mal assorties. Le pire, c’est que ça marche ! Peut-être parce que je suis si mince, gracile et évanescente ? Je ne fume que des Marlboro mentholées, habitude prise à mon entrée en hypokhâgne.

@hannahrose___

Plus alternatif, tu meurs

Garçon ou fille, aucune importance, je suis unique en mon genre. À quoi bon avoir Instagram si c’est pour mettre des photos moches ? La retouche n’a plus de secret pour moi. J’utilise mes talents pour partager chaque jour un nouveau plat vegan accompagné de son indispensable abécédaire de théorie littéraire. Il vaut mieux que mon patron ne tombe pas sur mon profil : pas sûr qu’il apprécie mes stories dénudées et mes cuites de l’extrême. Je n’aime pas la musique mais je me force, et je me dis qu’un jour ça viendra. Je travaille chez VICE ou un truc du genre. Entre mes parents et moi, ça n’a jamais été l’amour fou… Comment ça, comme tout le monde ?

Le memelord

J’habite chez mes parents qui m’ont gentiment aménagé une chambre sous les combles. Ma mère m’engueule quand je vide le frigo, mais j’y peux rien : j’ai 24 ans, je suis en pleine croissance ! Ma copine ne s’épile pas, ça me dégoûte, et le pire c’est qu’elle voudrait que je me lave TOUS LES JOURS. Et puis quoi encore ?

La memelady

Je passe mes journées dans un nuage de beuh. En même temps j’ai rien d’autre à faire de mes journées, j’ai pris une année sabbatique pour faire le point. Mais tranquille, j’ai ma L1 de psycho. Je dépense un fric fou en lingerie et en sextoys.

Des pommettes ultra-saillantes, une collection inépuisable de croptops sans manches, un amour inconditionnel pour Desperate Housewives et pour les chiens

Je suis gay.

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Tous les filtres possibles et imaginables, une photo au bar, une autre d’un gâteau trop cuit, une photo sublime d’une fille non moins sublime, et une moyenne de 90 jours entre chaque publication

Je fais des efforts mais c’est dur d’être l’homme parfait en 2018.

Des après-midi au parc, des selfies pris à la sortie de la salle, un risotto un peu trop gluant, des emoji beaucoup trop gluants

J’ai 35 ans, un labrador et plus rien à prouver à personne. Mon sourire jusqu’aux oreilles le prouve : tout va bien pour moi. Enfin, je crois.

@hannahrosewens et @daisythejones