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Crime

Lutte contre la contrebande à la frontière venezuelo-colombienne

En Colombie, le marché noir de biens de contrebande, essentiellement de l'essence et de la nourriture, venus du Venezuela, a transformé la frontière en une zone de conflits.
Photo de Meredith Hoffman

Ces dernières semaines, les soldats vénézuéliens ont fait la chasse à la contrebande de pétrole en Colombie. Des marchandises illégales que Remedio Pana, une indigène de 42 ans qui vit du côté colombien de la frontière garde dans son jardin.

Remedio Pana a vu les soldats vénézuéliens traverser la frontière au pas de course pour passer son voisin à tabac, elle a entendu leurs coups de feu. Mais, comme elle l'explique à VICE News devant sa maison en terre à Paraguachon, dans le nord-est de la Colombie, elle a besoin de l'argent gagné grâce à la vente illégale de pétrole pour nourrir ses dix enfants.

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Remedio Pana n'est qu'un tout petit maillon de l'immense industrie de contrebande que le président vénézuélien Nicolas Maduro accuse d'être à l'origine de la pénurie de nourriture que son pays connaît actuellement.

Depuis le 11 août, le gouvernement de Nicolas Maduro tente de verrouiller les quelque 2000 kilomètres de frontière avec la Colombie en la fermant la nuit entre 22 heures et 5 heures et en déployant l'armée pour empêcher que la frontière soit franchie illégalement. Le gouvernement a aussi mis en place un contrôle des empreintes digitales dans les supermarchés pour mettre un frein au trafic de biens.

VICE News a découvert, en interrogeant beaucoup de responsables politiques, d'habitants et de contrebandiers, que malgré les efforts du gouvernement, des gardes-frontières corrompus, des trafiquants déterminés et la guérilla ont rendu la frontière en une zone de conflits où les produits de contrebande continuent d'affluer. Les prix extrêmement bas pratiqués au Venezuela dus notamment à une inflation galopante permettent au trafiquants de revendre du pétrole, de la nourriture et des produits de toilette. Le gouvernement colombien n'est pas d'accord avec la fermeture de la frontière, et les ministres des affaires étrangères des deux pays doivent se rencontrer à New York cette semaine pour discuter d'une marche à suivre.

Pénurie de papier toilette et de lait au Venezuela. Lire notre article ici. 

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Vente de détergent de contrebande sous un arbre à Paraguachon, en Colombie, à la frontière du Venezuela. (Photos, Meredith Hoffman)

Dans certaines régions, comme le Paraguachon - un village à l'abandon, poussiéreux, où il n'y a plus d'école après le CM1, dans lequel il n'y a pas vraiment de magasins, seulement huit officiers de police et dont les déchets s'amoncellent le long des routes - la contrebande est le seul moyen d'existence, a affirmé Yudi Peralta, le président du village, à VICE News.

« Si je ne fais pas ça, comment vais-je survivre »? demanda Remedio Pana, debout devant ses pots remplis de pétrole. En ce moment, elle stocke ses cruches pleines de pétrole pour 0.25 dollars l'un par jour, un service qu'elle vend aux hommes qui font passer du pétrole illégalement en Colombie. Depuis son village, les contrebandiers s'enfoncent en Colombie avec de plus petites cargaisons.

Le Venezuela se soulève. Regardez notre documentaire ici (en anglais). 

Les riches et les puissants sont aussi impliqués dans la contrebande : le gouverneur colombien de La Guajira, où se situe Paraguachon est en prison, accusé d'être lié à des groupes paramilitaires, de trafic de drogues et de pétrole. Le Venezuela est le pays au monde où le pétrole est le moins cher. Un gallon (3,7 litres) coûte environ 5 centimes de dollars, ce qui encourage les trafiquants, puisqu'en Colombie, on peut le revendre à plusieurs fois le prix d'achat. Le gouvernement vénézuélien, qui subventionne la nourriture et autres produits de première nécessité estime que tous les jours, 40% de ces produits sont acheminés illégalement en Colombie.

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Il n'y a que quatre poste-frontières légaux entre les deux pays, mais des centaines de poste-frontières illégaux, a expliqué à VICE News la médiatrice de la province de La Guajira, Lina Murgas.

D'après plusieurs sources, il y a des passages où les gardes demandent des pots-de-vins pour laisser les voyageurs passer.

L'un de ces points de passage, c'est River Sardinata, où Phaola Torres, résidente de Maicao raconte avoir traversé la rivière en canoë et avoir dû payer 400 bolivars, soit 64 dollars à l'armée vénézuélienne. Cette pratique semble être courante. 15 soldats vénézuéliens ont récemment été emprisonnés pour avoir laissé passer des contrebandiers.

Même aux postes-frontières officiels, les pots-de-vins l'emportent sur les règles.

Des véhicules militaires colombiens patrouillent à la frontière près à Paraguachon, près de la ville de Maicao en Colombie. (Photo Meredith Hoffman)

Pour l'heure, il est illégal de transporter ne serait-ce qu'un paquet de riz pour sa consommation personnelle de l'autre côté de la frontière, mais VICE News a pu observer des civils prendre du liquide en échange de tampons au poste-frontière de Paraguachon-Paraguaipoa, ce qui voudrait dire que les garde-frontières vénézuéliens sont corrompus. Ces civils, qui fournissent de faux tampons ont affirmé travailler avec les garde-frontières vénézuéliens, à qui ils donnent une fraction de l'argent qu'ils obtiennent de la part des voyageurs.

Traverser la frontière ces jours ci est toujours un pari, même si l'on ne viole pas la loi, racontent, désespérés, les habitants de la région.

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David, 19 ans, qui a la double nationalité, colombienne et vénézuélienne, a été détenu six heures à la frontière plus tôt dans le mois, a-t-il dit à VICE News. Les garde-frontières vénézuéliens lui ont fait baisser son pantalon et ont pris son téléphone, l'accusant de faire de la contrebande, alors qu'il n'emmenait rien en Colombie. David, qui nous a demandé de cacher son nom de famille, est un amérindien wayuu. Il pense avoir été arrêté à cause de ses origines.

« Les autorités vénézuéliennes font ce qu'elles veulent », dit David, qui porte un jean et un tee-shirt blanc.

D'autres habitants du Venezuela nous ont aussi dit qu'ils avaient attendu des heures avant que leur voiture ne soit inspectée sur le pont du lac Maracaibo. Et des chauffeurs de taxi qui ont traversé la frontière la semaine dernière au nord de la Colombie ont raconté que des habitants de Paraguaipoa, au nord du Venezuela, ont organisé une manifestation dans tout le village pour protester contre le manque de nourriture et de produits de première nécessité.

« Beaucoup de gens travaillent dans la contrebande parce qu'ils ne trouvent pas d'autre travail », dit David dans un haussement d'épaules.

« C'est comme si on détruisait l'un des tunnels que les Mexicains prennent pour traverser la frontière avec les États-Unis. Tant qu'il y a un besoin économique, les gens trouveront le moyen de passer la frontière ».

L'attaché de presse du cabinet présidentiel de Nicolas Maduro n'a pas voulu commenter la situation à la frontière colombienne. Le 11 septembre, Nicolas Maduro a annoncé que plus de 830 000 litres de pétrole de contrebande et 2500 tonnes de biens avaient été confisqués lors du premier mois de fermeture de la frontière.

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Cette mesure va être appliquée pour encore au moins trois mois, a-t-il ajouté. Des commerçants dans la région de Maracaibo ont dit aux journaux locaux qu'ils avaient observé des changements positifs depuis la fermeture de la frontière, montrant que le flot de contrebande avait tari.

Des marchands dans les villes frontalières de Colombie confirment que la contrebande est devenue plus risquée, mais qu'ils ne comptaient pas s'arrêter. Le marché noir pour les biens vénézuéliens a même mis poussé les enfants à travailler.

Dans le nord de la Colombie, le pétrole de contrebande, le shampoing, et autres produits de beauté affluent toujours dans les marchés, dans les villages éloignés et le long des autoroutes. Des filles d'à peine 13 ans ont dit à VICE News qu'elles traversaient de dangereux chemins de montagne pour ramener des produits de beauté du Venezuela.

Un garçon de 15 ans, originaire de Cuestacita, qui travaille dans le secteur de l'essence depuis qu'il a neuf ans a dit que les prix de contrebande avaient presque doublé, et une vendeuse d'essence qui se surnomme « Señora Gasolinera » a confirmé que ses voyages de l'autre côté de la frontière étaient devenus plus dangereux, mais qu'elle continuerait à faire du trafic par nécessité.

« J'ai toujours su que c'était illégal, mais si on croise les bras en disant qu'on ne va rien faire parce que c'est illégal, qu'est-ce qu'on va donner à manger à nos enfants » ? , explique à VICE News cette femme de 40 ans, qui fait le voyage trois fois par mois. « Je fais ça parce que mes enfants ont faim ».

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De l'essence de contrebande venue du Venezuela est vendue à Cuestacita par un garçon de 15 ans qui dit faire ça depuis 6 ans (Photo de Meredith Hoffman)

La répression a beau être un handicap pour les vendeurs particuliers, les gangs, les guérilleros et les autres groupes armés ne sont pas vraiment touchés, constate Lina Murgas.

La violence est souvent présente dans le trafic de pétrole, avec les guérilleros colombiens qui patrouillent à la frontière et demandent de l'argent aux contrebandiers pour les laisser passer, continue Lina Murgas. Les guérilleros dominent la frontière, et font payer environ 500 dollars par camion qui entre en Colombie avec de l'essence, explique un journal local.

Les groupes de contrebande ont acquis tant de pouvoir que Lina Murgas les soupçonne même d'être responsables du meurtre d'un directeur régional de l'agence de l'immigration en Colombie à Paraguachon l'an dernier. Il a été assassiné alors qu'il inspectait une voiture du côté colombien de la frontière.

« Quand il a été assassiné, les inspections se sont arrêtées », explique Lina Murgas. « Il y a énormément d'intérêts dans les affaires de contrebande, pour les groupes armés, et pour les habitants de la région ».

Jose Rodriguez, le directeur du centre pour les migrants de Maicao explique que l'industrie de contrebande est si importante que les patrouilles à la frontière ne font que multiplier les tentatives désespérées de contourner les autorités.

Il y a toujours eu de la contrebande dans ces pays. Vous pouvez faire sauter un point de passage illégal, mais les gens en construiront un autre », explique-t-il. « C'est comme si on détruisait l'un des tunnels que les Mexicains prennent pour traverser la frontière avec les États-Unis. Tant qu'il y a un besoin économique, les gens trouveront le moyen de passer la frontière ».

Alejandro Guerrero vit à la frontière. Il a étudié à l'université du Venezuela et travaille désormais en tant que biologiste à Cúcuta, au sud de la Colombie. Il pense que les gens de sa région devraient chercher une autre activité que le marché noir de produits de contrebande.

« Je ne veux pas que l'économie de ma ville repose sur le Venezuela », a-t-il expliqué à VICE News. « La contrebande n'est ni un moyen stable, ni légal de gagner de l'argent. Ce dont on a besoin c'est d'une industrie. J'aimerais que ma ville développe son secteur industriel, pour qu'on soit indépendants ».

Suivez Meredith Hoffman sur Twitter: @merhoffman