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Ce que c’est d’être coincé dans une grotte pendant dix jours

Douze jeunes joueurs de soccer et leur entraîneur sont coincés dans une caverne en Thaïlande depuis deux semaines. Lothar Emannuel Kaiser sait ce qu’ils traversent.
Capture d’écran : Das Drama vom Hölloch 1952 de Luzerner Zeitung. Photo : Lothar Kaiser

Depuis presque deux semaines, 12 garçons âgés de 11 à 16 ans et leur entraîneur de football sont pris au piège dans la grotte de Tham Luang en Thaïlande. Le groupe y est entré le 23 juin et a été pris au piège lorsqu’une crue soudaine d’un mètre de haut leur a bloqué l’accès à la sortie. Ils ont été repérés le 2 juillet par un groupe de plongeurs britanniques, mais il faudra peut-être encore des jours, voire des semaines ou des mois, pour les en extraire, alors que les sauveteurs essaient de pomper assez d’eau pour leur permettre de sortir par eux-mêmes à la nage ou les transporter hors de la grotte.

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Il est évidemment impossible pour la plupart d’entre nous de comprendre ce que c’est que d’être pris au piège dans une grotte obscure pendant des jours, sans grand espoir de survie. Mais Lothar Emannuel Kaiser en a une idée. En 1952, alors qu’il avait 18 ans, il est resté coincé dans la grotte de Hölloch, longue de 200 km, en Suisse, avec son professeur de biologie et deux autres étudiants. Alors que le groupe essayait de mesurer la longueur de la caverne, il y a eu une inondation soudaine.

Ils ont ensuite vécu dans l’obscurité, pendant dix jours, grâce à des provisions rationnées, de pain rassis et de la viande en conserve, avant que le niveau de l’eau baisse enfin et qu’ils puissent sortir. J’ai parlé à M. Kaiser de son expérience et des traces qu’elle a laissées.

VICE : Comment vous êtes-vous senti quand vous avez compris que vous étiez pris au piège?
Lothar Kaiser : Au début, l’adrénaline était plus forte que la peur, parce qu’on devait sans attendre faire face à cette intense situation. Tout ce qu’on pouvait faire, c’était de courir et monter pour se mettre à l’abri. C’est seulement quand on arrive à reprendre ses esprits qu’on prend conscience de l’obscurité et qu’on ressent la peur et le désespoir.

Qu’est-ce qui a été le plus difficile?
Premièrement, l’incertitude. Est-ce que je sortirai ou pas? Est-ce que je serai vivant dans 24 heures? Après, on commence à s’inquiéter du manque de provisions. On a à peine mangé pendant dix jours — j’ai perdu 10 kg. Il y avait aussi l’obscurité constante. À un moment donné, je ne savais plus si c’était le jour ou la nuit. Et on devait dormir sur des rochers dans des vêtements trempés, sans couvertures, alors que la température est restée à 6 °C du début à la fin — ça n’a pas aidé. Enfin, on doit composer à ses propres pensées : ses parents, ses frères et sœurs, la vie et la mort.

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Comment était la dynamique de groupe?
Notre professeur, M. Böckli, était notre chef. Il nous a dit quoi faire et on l’a écouté. On a ramassé du sable pour se faire des lits et on a trouvé de petits points d’eau pour boire. Mais le plus important, c’était de s’occuper : on se parlait, on se racontait des souvenirs, on a fait des calculs, on s’est raconté des histoires et des blagues. Dans cette situation, il faut faire preuve d’imagination. Dès qu’on est seul, les pensées sombres reviennent.

À un certain point, avez-vous perdu espoir?
On a eu une sorte de crise le sixième jour. Dans une partie de la grotte, on entendait de petits bruits de plus en plus rapides. On a supposé qu’il recommençait à pleuvoir à l’extérieur. On a presque perdu espoir.

Quel conseil donneriez-vous à l’équipe de soccer en Thaïlande, si vous pouviez leur envoyer un message?
Maintenir un esprit de communauté fort aide à rendre la situation soutenable. Ils doivent être courageux et s’aider les uns les autres à ne pas perdre espoir. Il est aussi important que leur entraîneur garde tous les enfants occupés et qu’il les encourage quand ils se sentent déprimés. Puis, ils doivent être économes avec leurs provisions. Par exemple, on a utilisé nos lampes de poche seulement quand on devait explorer une partie différente de la grotte.

Comment votre famille a-t-elle géré cette situation?
Mon père passait tous les jours et toutes les nuits à l’avant de la grotte avec l’équipe de secours, effrayé. Il n’y avait pas de médias sociaux à l’époque, et on n’avait pas de télévision, donc la seule façon d’obtenir de l’information, c’était la radio et les journaux.

Est-ce que vous pensez souvent à ces jours coincés dans la grotte?
Je fais encore un rêve récurrent dans lequel je suis prisonnier d’une caverne, je cherche à sortir. Dans le rêve, je dois toujours monter un escalier en colimaçon qui devient de plus en plus étroit et glissant. À la fin, je dois sauter dans un abîme obscur. C’est à ce moment que je me réveille, toujours couvert de sueur.

Est-ce que ce que vous avez vécu vous a changé?
D’une certaine façon, je suis devenu plus sérieux, mais je pense que j’ai aussi développé un meilleur sens de l’humour. Mais surtout, l’expérience m’a conduit à la foi. Si vous vivez une expérience de mort imminente de dix jours, vous deviendrez croyant vous aussi. On a prié ensemble dans la grotte. Quand on ne sait pas si on va vivre jusqu’au lendemain, on commence à penser à ce qui nous attend après la mort. Maintenant, je sais ce qui m’attend.

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