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Finale OM-Madrid : comment l’UEFA a tué le match

Toujours moins de places allouées aux supporters et des tarifs toujours plus prohibitifs : c’est la recette miracle de l’UEFA pour transformer les stades en machines à cash.
Image : Boris Horvat / AFP 

En 2018, assister à une finale de coupe d’Europe est un sport de riche. La preuve en chiffres, avec la finale de Ligue Europa qui oppose ce mercredi 16 mai l’OM à l’Atletico Madrid dans le grand stade de Lyon. Sur les 57 000 places du Parc OL, 36 000 ont été vendues entre mars et avril, avant de connaître l’identité des deux finalistes. Résultat, une fois les deux équipes qualifiées, 20 000 places seulement ont été ouvertes pour les supporters madrilènes et marseillais. Autant dire pas grand-chose pour deux villes folles de foot, surtout lorsqu’on se souvient qu’en 1993, lors de la mythique finale victorieuse de l’OM contre le Milan AC, les olympiens avaient obtenu 25 000 tickets à eux seuls.

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« Nous n’avons pas assez de places pour nos familles » - Rudi Garcia, entraîneur de l’OM

Les groupes ultras de la cité phocéenne ont évidemment râlé. Avec leur faconde toute méridionale : « une honte » pour les Marseille Trop Puissant, « un scandale » pour les South Winners, « un gavage de l’UEFA » pour les Dodger’s et surtout une galère pour Rudi Garcia et tout le staff de l’OM, harcelés de coups de téléphone par des amis en quête de billets alors que, jure l’entraîneur olympien, « nous n’avons même pas assez de places pour nos familles ». Résultat, les places « neutres » - comprendre ouvertes à tous les publics et non réservées aux supporters des deux camps - vendues en amont s’échangent à prix d’or : 300 à 450 euros pour des billets qui en valaient 150 à l’origine. Et ce, malgré les menaces de l’UEFA qui promet un suivi à la trace de chaque billet.

Et quand bien même les fins limiers de la puissante institution du foot européen arpenteraient Le Bon Coin à la recherche de fraudeurs, le problème demeure. Le préfet d’Auvergne-Rhône-Alpes, Stéphane Bouillon, craint en effet d’en prendre un sévère avec l’arrivée attendue de 2 à 3000 supporters marseillais sans billet, poussés par l’espoir d’en trouver un sur place en dernière minute. Moralité, à trop vouloir empêcher les supporters d’entrer dans le stade, l’UEFA les a poussés à zoner à ses abords. La situation promet donc d’être explosive quand on sait que la rivalité entre supporters marseillais, qui ont promis de « tout casser » dans le stade dans une ode à Jean-Michel Aulas, et leurs homologues lyonnais, qui ont lancé des appels à « défendre Lyon », est à son climax depuis plusieurs semaines. Le préfet de région a donc mis en place un dispositif policier deux fois plus important que lors de l’Euro 2016, avec 1 700 hommes, un hélicoptère et deux canons à eau mobilisés.

« Les classes populaires en sont réduites à suivre les matches par écran interposé » - Mickaël Correia, sociologue

Mais bien au-delà de ce contexte sulfureux, c’est toute la politique de billetterie de l’UEFA qui est à remettre en cause. Car pour la prochaine finale de Ligue des Champions, qui se tiendra à Kiev le 26 mai prochain, supporters du Real Madrid et de Liverpool sont dans la même situation. Les Anglais n’ont obtenu que 13 000 places sur les 60 000 qui garnissent les travées du stade de la capitale ukrainienne. Pire, ils découvrent depuis la qualification de leur équipe que les billets d’avion coûtent jusqu’à 1 600 euros et les chambres d’hôtels jusqu’à 3 500 ! Une situation qui révolte les plus anciens fans des Reds, attachés à l’identité ouvrière du club et déjà bien remontés par les prix pratiqués dans leur stade mythique d’Anfield, où le prix de la place a augmenté de 1 100 % entre 1990 et 2010. Des chiffres qui disent une chose : les supporters historiques et issus de la base ne sont plus considérés comme des acteurs indispensables des stades. Voire, ils en sont parfois volontairement chassés, au profit de spectateurs-consommateurs plus fortunés.

Cette tendance de fond, le journaliste Mickaël Correia la dénonce dans son livre Une histoire populaire du football (éditions La Découverte) : « Éloignées des enceintes sportives, les classes populaires en sont réduites à suivre les matches par écran interposé ». L’UEFA s’est de son côté définitivement lancée dans cette « chasse aux pauvres » lors de l’Euro 96, qui se tenait en Angleterre. À l’époque, le foot local était en pleine restructuration, entre lutte contre le hooliganisme et refonte de la Première Ligue pour en faire la machine à cash qu’on connaît aujourd’hui. C’est à ce moment-là que les tarifs ont explosé et qu’un système de préréservation à destination des entreprises a été mis en place, empêchant ainsi 14 000 supporters « classiques » de rentrer dans Wembley pour assister à Angleterre-Écosse - et au but mythique de Paul Gascoigne. Compétition après compétition, la dynamique s’accélère. Ainsi, un cabinet de marketing sportif avait estimé à l’occasion de l’Euro 2016 qu’un travailleur ukrainien moyen aurait dû dépenser deux mois de salaire pour s’offrir les places les plus chères de la finale France-Portugal, à 895 euros. Un prix 50 % plus élevé que celui de la finale de l’Euro 2012 et 350 % plus élevé que celle de l’Euro 2004. Symbole de cette absurdité, même Benjamin Mendy, international français, ex-joueur marseillais et fervent supporter de l’OM, qui gagne près de 6 millions d’euros annuels à Manchester City, n’a pu trouver de place pour la finale de ce soir. Heureusement pour lui, le groupe des South Winners lui a offert deux de ses invitations. Preuve que les ultras peuvent encore servir à quelque chose.