Steffy chez lui
Photos: Ella Hermë pour VICE FR 

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Steffy, maquilleur préféré du X français

« Je crois que le plus dur est d’accepter que ton travail soit détruit devant la caméra. Tu fais une fille super belle et à la fin, elle ne ressemble plus à rien... Tu as presque envie de verser une larme. »

Je rencontre Steffy pour la première fois lors de mon enquête sur le porno Judy, Lola, Sofia et moi. Dans un coin d’un studio, il s’applique à maquiller le visage d’une actrice, quelques minutes avant une scène POV pour le réalisateur John B. Root. Le maquilleur m’explique travailler dans le porno depuis presque 20 ans, de Hot Vidéo à Canal +, en passant par Dorcel ou le géant américain Brazzers. J’en déduis que cette petite main est une figure incontournable du X français.

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Je le revois quelques mois plus tard sur un tournage de Jacquie & Michel Elite, le label glamour du site spécialiste de l’amateur. Je le suis dans sa make-up room, l’endroit isolé du reste du plateau où les actrices passent entre ses mains. Rapidement, je me sens de trop au milieu des effluves de parfums, des sous-vêtements en pagaille sur la moquette et des actrices nues.
Grâce à ses tubes de mascara et ses pinceaux blush, je me dis que Steffy doit connaître ces femmes mieux que quiconque dans le porno. Alors je le revois une troisième fois pour VICE dans son appartement de l’est parisien, cette fois pour l’écouter me raconter son métier.

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VICE : Selon toi, qu'est-ce qui fait un bon maquillage porno ?
Steffy : La difficulté vient du fait que le maquillage souffre pendant une scène porno. Alors il faut blinder. Mettre une sous-couche, deux sous-couches… Mais en même temps, il faut qu’on reconnaisse la fille, qu’elle n’ait surtout pas le masque de l'actrice porno… Donc moi, j'essaie de trouver un équilibre pour que ça tienne et que ça reste subtil. Mais je crois que le plus dur est d’accepter que ton travail soit détruit devant la caméra. Tu fais une fille super belle et à la fin, elle ne ressemble plus à rien… Tu as presque envie de verser une larme.

Maquilles-tu d’autres parties du corps que le visage ?
Parfois, il faut faire des petites retouches au niveau de la chatte. Les filles qui ont une belle carrière, qui font attention à tout, elles vont chez l'esthéticienne et se font épiler à la cire. Mais chez les filles qui se disent « ouais, moi j'vais être une star du porn », ben elles prennent leur rasoir Bic la veille du tournage. Et le lendemain, c'est le feu. La peau, c’est du velours, donc voilà, il y a plein de boutons, de rougeurs. Donc retouche, mais retouche pas durable. Parce que je ne peux pas être tout le temps sur la scène pendant que l'autre il tape dedans, il tape à côté, et que c'est mouillé de partout ….

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Quelles sont les retouches les plus compliquées à faire ?
C'est simple, c'est quand la meuf a encore la trace de l'oreiller sur le visage, les yeux bouffis de sommeil, et du caca plein les yeux ! Le deuxième cas de figure, c'est quand on me dit : « Steffy, tu me remaquilles toutes les filles, on fait la cover ». Et il est minuit. Toutes les filles ont fait une scène et sont éclatées de fatigue. Tu en as même une qui pleure parce que sa scène s'est mal passée… À ce moment, la peau ne prend plus le make-up, elle a juste besoin d’une douche et de crème. Là, je dis aux producteurs qu'ils sont vraiment des clowns.

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Est-ce que les actrices ont peur des imperfections ?
Certaines vivent devant le miroir toute l'année. Elles n’existent que pour l'image qu'elles renvoient. Moi, j’ai envie de leur dire : « Mais toi, tu es qui ? Qu'est-ce qui respire de toi ? Rien, à part le contrôle permanent ! Tu ne vis plus ! » Ce sont des filles déjà accros à la chirurgie, déjà accros aux piquouzes. À 25 ans, elles sont déjà botoxées. Elles voudraient ressembler à un bout de plastique, à une photo. Et à la lumière du jour, elles ressemblent à un bout de silicone qui ne bouge plus. Mais en réalité, c'est très cruel pour ces filles. Si elles ne font rien, elles vont évidemment se dégrader, et on va dire : « Tu as vu la vieille peau ». Et si elles font quelque chose, on va se moquer d’elles : « Tu as vu, on dirait Canard WC ! » Quoiqu'elles fassent, elles sont bloquées.

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Lorsque je t’ai accompagné sur un tournage, j’ai été marqué par l’intimité qui régnait dans la pièce où tu maquilles
C'est fait exprès. C'est la make-up room. Un cocon pour les filles. Et moi, j’écoute tous leurs petits bobos de la vie. C'est souvent des problèmes avec leur mec. Au départ, il est bien content que sa copine fasse ça, parce que ça la valorise et ça le valorise lui. Mais au bout d’un moment, quand elle part en tournage et qu’elle a une scène avec deux mecs, ben le copain, il n’est plus content du tout… Ça peut aussi être la fille qui me dit qu'elle tourne avec une éponge à cause de ses règles et qu'elle a peur d’un accident. Ou une autre qui me raconte faire ce film parce qu'elle a besoin de s'acheter un frigo. Ou celle qui me confie avoir mal au cul et appréhender pour l’anal. Le réalisateur n'est souvent même pas au courant de toutes ces choses.

« Par exemple si une fille voit Anna Polina, Anna ira lui parler pour la mettre à l'aise, lui donner des conseils de filles »

La make-up room, c’est aussi le lieu où les actrices se donnent des coups de main
Il y a de la camaraderie entre les filles. Quand une petite nouvelle est là, elle est généralement impressionnée, surtout s’il y a des vedettes. Par exemple si une fille voit Anna Polina, Anna ira lui parler pour la mettre à l'aise, lui donner des conseils de filles. Du genre comment on fait pour le lavement. Car elles ne savent pas toute comment on fait un lavement. Par contre, lorsqu’une fille de l’Est arrive, alors là, elle vient pour faire son boulot. Tu as beau lui parler en anglais : « Are you good ? Do you need something ? A coffee ? » Elle te répond, non, casse-toi. Ben va te faire enculer connasse ! Elles viennent pour le job, l'argent, et pas pour se faire des amis. Mais c'est tellement plus agréable d'échanger quelques phrases, un sourire…

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Pourquoi est-ce qu’on ne maquille pas les acteurs pornos ?
Parce qu'ils n’en ont rien à foutre. Ils viennent là pour prendre leur thune et se casser. Ils viennent, ils sortent l'appareil, ils font la séance et puis s'en vont.

Dans le cinéma tradi, tout le monde est maquillé. Que ce soit un homme ou une femme…
Mais dans le porno, ils n’aiment pas ça… C'est leur virilité qui est attaquée.

Tu es gay. Tu as appris quoi sur les hétéros en les regardant baiser ?
Déjà le corps des femmes. Je n’en avais jamais vu. C’était une grotte pour moi ! Sinon moi, j'aime bien quand une nana met un doigt dans le cul à un mec. Quand j'ai vu Nikita lécher l'anus de Mike Angelo, là, j'étais très content. Il se passait quelque chose de vraiment intéressant. Ce n'est pas toujours les mêmes qui doivent se faire pénétrer. Beaucoup de mecs hétéros n'ont jamais touché leur cul à part pour se torcher. Ça serait pas mal qu'ils découvrent cette zone-là. Qu'une nana vienne leur mettre des doigts, je trouve ça super intéressant.

« Un jour, on a fait 300 bornes pour aller dans un HLM. Il n’y avait même pas de papier-peint sur les murs. La télé, elle était posée sur un carton. Tu te retrouves à faire du porno à domicile chez une pauvre fille qui va gagner 400 balles pour se faire enculer par deux mecs… »


Tu as démarré ta carrière dans le porno en 2001. Qu’est-ce qui a changé ?
À l’époque, tu voyais les filles arriver et tu savais déjà que c’était des stars. Tu le voyais à leur valise. Les sous-vêtements parfaitement rangés dans des petits filets pour ne pas les abîmer, les chaussures dans des petites bourses en tissu, la poire à lavement bien dans sa boîte pour qu’elle ne se balade pas partout… À partir de 2007, ça a été la dégringolade. On avait de tout et n’importe quoi. J’ai vu de ces cas… Des filles pleines d’acné, pleine de poils sur le visage. Des ongles de pied arrachés. Et des bleus, des coups, des gnons partout sur le corps. Tu touches la peau, on dirait de la poudre tellement elle est sèche. Et les cheveux gras, plein de pellicules. Un cochon ! Je plains celui qui doit baiser ça ! Des horreurs ! Des no-life ! Ces filles n’ont aucune notion de ce qu’il faut faire ou pas faire. Elles survivent.

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2007, ça correspond à l’émergence de Jacquie & Michel…
Ils ont tué les grosses productions. Mais aujourd'hui, ils récupèrent tout le monde. Donc si tu veux, ils nous ont tous mis à terre en baissant les prix. Et petit à petit, ils ont réussi à faire faire des scènes à John B. Root, à Jack Tyler, à prendre les meilleurs réalisateurs… D'une production qui a mis tout le monde à terre, ils ont donné une chance à tous ces gens-là de se relever en les embauchant. Alors moi, je me suis relevé un petit peu avec eux.

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Tu as travaillé pour eux ?
Oui. Mais c’était difficile. Un jour, on a fait 300 bornes pour aller dans un HLM. Il n’y avait même pas de papier-peint sur les murs. La télé, elle était posée sur un carton. Des pauvres gens. Tu te retrouves à faire du porno à domicile chez une pauvre fille qui va gagner 400 balles pour se faire enculer par deux mecs, devant son mec… Tu rentres, tu as envie de vomir… Oui, j'ai vu des choses comme ça. Je n’en veux pas à Jacquie & Michel, ils m'ont fait bosser. Mais à un moment, j'ai dit stop. Je tiens à ma santé et à l'amour de mon métier. Et les deux étaient en train de partir. Coup de bol, les grosses productions sont revenues.

Même chez les producteurs plus pros, ce n’est pas clean. J’ai assisté à une scène avec une actrice qui dit plusieurs fois non à une sodomie, avant de céder. Tu étais avec moi ce jour-là.
Ça, j'ai tendance à l'occulter. Je me protège aussi. Sinon, ça me retourne le citron. Te faire enculer pour 50 euros de plus ? Vraiment ? Moi pour 50 euros, je ne remplis même pas mon frigo… Là, on est vraiment dans du sexe tarifé pur et dur. Dans ces moments-là, je me dis que je suis content d'être maquilleur et pas actrice. Parce que se faire enculer quand tu n’as pas envie, ben ça fait mal. Mais ce n'est pas bien qu'on parle de ces cas-là, car ils sont minoritaires. J'ai rencontré des filles carriéristes, intelligentes, belles, douées, qui font ça avec envie. Cécilia Vega par exemple ! Elle habitait Clermont et avait un cabinet d'ostéopathe. Elle le fermait pendant trois mois pour aller aux USA et tourner pour les plus grosses prods. La meuf, waouh !

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Tu restes un fervent défenseur du porno.
Oui je le défends, parce que c'est ce qui me fait gagner ma vie, c’est ce qui m'a fait rencontrer plein de gens… Des gens que j'adore ! Nikita Bellucci, c'est ma p'tite sœur. Phil Holliday, c'est mon p'tit frère. John B. Root, c'est mon grand frère. J'ai une confiance absolue en eux. Quand on se voit, on se prend dans les bras, c'est quelque chose. Lors du dernier tournage en Crète, on s'est fait des afters Véronique Sanson dans la chambre de Phil Holliday. Et quand Phil va chercher une bière au frigo, il en ramène toujours deux. Une pour moi, et une pour lui. Et ça, c'est de l'amitié.

Pourquoi le porno attire toujours de nouvelles femmes ?
Chez beaucoup de filles, il y a une soif de reconnaissance, d'être aimée. Bien souvent, il n’y a pas eu de papa, il n’y a pas eu beaucoup d'amour de la maman non plus. Ce sont des filles qui se disent, « Je vais me venger ». Déjà, je vais prendre le pouvoir sur les mecs. Ça va être moi la séductrice, c'est moi la croqueuse d'hommes, et je vais être en couverture d'un magazine, on va m'aimer. Elles sont prêtes à s'abîmer le corps pour ça. C'est une vengeance. C'est comme le film L'été meurtrier, avec Isabelle Adjani. La meuf, elle se venge des meurtriers qui ont violé sa mère pendant la guerre. Elle fait payer aux mecs. Bon, à la fin, elle devient complètement folle et finit à l’asile. Mais elle a obtenu sa vengeance. Elle ne s’est pas laissée faire.

Et toi ?
Moi aussi j'ai eu un parcours difficile. Être gay en 1986 à Amiens… T’imagines ?! Le fils du boucher en plus ! Mon père, quand il était jeune, il allait casser du pédé sur les lieux de drague. Ça, on me l'a bien fait comprendre que je ne devrais pas exister. En 1993, j’apprends ma séropositivité. C’est là que je me suis dit : « Maintenant, on va voir ce qu’elle vaut ta vie. » Et je débarque à Paris. La soif de Paris. Mon rêve quand j'ai commencé dans la coiffure, c'était d'avoir des appareils photos et des caméras autour de moi. J'ai eu du mal à accepter que j'étais coincé dans le porno. Je me disais que j'aurai pu faire mieux. Maintenant, je l'accepte. J’ai réussi dans un domaine, c'est déjà pas mal.

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