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Un rapport américain sur le kratom est effrayant, mais plutôt trompeur

On n’a pas dépisté seulement du kratom chez presque toutes les victimes de surdoses.
Un rapport américain sur le kratom est effrayant, mais plutôt trompeur
Photo: Getty

L’article original a été publié sur VICE États-Unis.

Le kratom a gagné en popularité au cours des dernières années, en partie grâce aux témoignages de personnes qui ont affirmé que ce psychotrope les avait aidées à se défaire des opioïdes et à soulager des douleurs chroniques. Toutefois, cette popularité a attiré l’attention des autorités. En 2016, la Drug Enforcement Agency (DEA), aux États-Unis, avait prévu interdire le kratom, mais a reculé face aux pressions de la population. La Food and Drug Administration a plus tard ciblé les distributeurs de kratom et a produit des rapports d’une rigueur scientifique douteuse associant le kratom à des surdoses fatales.

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Maintenant, les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) ont ajouté leur rapport « pour évaluer l’impact du kratom ». Les CDC se sont appuyés sur les données de 27 338 décès par surdose dans 27 États recueillies entre juillet 2016 et décembre 2017. Parmi ces décès, les analyses toxicologiques post mortem ont révélé la présence de kratom dans 152 cas. C’est-à-dire dans 0,56 % des cas.

Le rapport s’inscrit dans une tendance connue, d’après Walt Prozialeck, professeur et président du département de pharmacologie du Chicago College of Osteopathic Medicine à l’Université Midwestern, qui connaît très bien le kratom. « Je n’en reviens pas qu’ils continuent à faire la même affaire, s’est-il exclamé. On a détecté du kratom dans quelques analyses toxicologiques, et ce rapport en fait officieusement la cause du décès. »

Il fait remarquer que chez la quasi-totalité des 152 personnes dont le test de dépistage du kratom a été positif, on a également dépisté d’autres substances : dans 91 cas (59,9 %), le kratom a été considéré comme la cause de décès. Mais ce n’est que dans sept des 152 cas que l’on a dépisté uniquement du kratom – et encore, la présence d’autres substances non contrôlées n’est pas exclue.

Selon Walt Prozialeck, les autres substances sont un facteur important, car la plupart d’entre elles sont potentiellement mortelles. Parmi elles, le fentanyl et ses analogues, par exemple, étaient les plus courants, et ils étaient la cause apparente de décès dans 65,1 % des cas où l’on a aussi détecté du kratom. (Rappelons que le fentanyl est un opioïde synthétique 100 fois plus puissant que l’héroïne, et qu’en 2017, les opioïdes synthétiques ont causé 28 000 décès aux États-Unis.)

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En d’autres mots, chez près des deux tiers des personnes chez qui ont a dépisté du kratom, on a également dépisté du fentanyl ou un analogue. En plus du kratom, on a aussi détecté de l’héroïne (dans 32,9 % des cas), des benzodiazépines, des opioïdes sur ordonnance et de la cocaïne.

« Comme on a détecté du fentanyl dans un si grand nombre de ces cas, j’ai l’impression que les gens consomment des opioïdes en combinaison avec du kratom », dit M. Prozialeck. Pour cette raison, il est beaucoup plus difficile d’évaluer l’impact du kratom, comme les CDC disent vouloir le faire. La présence d’autres substances potentiellement mortelles complique l’évaluation. « Je pense qu’il est possible que les CDC surévaluent la relation de cause à effet entre le kratom et ces décès », résume-t-il.

En entrevue à ce sujet, un représentant des CDC a déclaré que « le kratom a été détecté dans l’analyse toxicologique post mortem de 152 personnes. Dans environ 60 % de ces décès, le médecin légiste ou le coroner a déterminé que le kratom avait contribué au décès. Chez 84 des 91 personnes décédées, d’autres substances ont été détectées dans l’analyse toxicologique post mortem, et dans la plupart de ces 84 cas, c’était du fentanyl, de l’héroïne, des benzodiazépines ou de la cocaïne. »

Pour ce rapport, les données des CDC ont été recueillies par le State Unintentional Drug Overdose Reporting System (SUDORS), qui rassemble aux États-Unis des statistiques sur les décès non intentionnels ou avec des intentions non déterminées par surdose d’opioïdes, à partir des analyses des médecins légistes ou des coroners.

Le SUDORS collecte des données sur les surdoses dans lesquelles au moins un opioïde a contribué au décès, ainsi que des surdoses mortelles sans opioïde, si des substances aux propriétés analogues ont contribué au décès. (D’après la FDA, le kratom a des propriétés « semblables à celles des opioïdes ».) Pour chacun de ces décès, on enregistre toutes les substances détectées au cours de l’analyse toxicologique post mortem, qu’elles aient contribué au décès ou non.

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Il y a actuellement beaucoup questions sans réponses à propos du kratom, dit M. Prozialeck. Dans ces cas, « on ne sait pas ce que ces gens ont réellement pris ». Ils ont pu prendre du kratom en combinaison avec d’autres substances, volontairement ou, en partie parce qu’il n’est en ce moment pas contrôlé, involontairement, en combinaison avec autre chose ayant causé le décès. Par ailleurs, on ne sait pas non plus quels sont les effets du kratom pour les personnes qui souffrent de troubles épileptiques, de problèmes de santé mentale ou de problèmes cardiaques, par exemple. Les recherches pour répondre à ces questions restent à faire.