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Burundi

Burundi : le pouvoir accusé de répression «  aux dynamiques génocidaires »

Le dernier rapport de la FIDH et de la ligue ITEKA dénonce des disparitions forcées, des exécutions sommaires, des lieux de détention secrets et des dissimulation de cadavres.
Pierre Longeray
Paris, FR
Bujumbura, juin 2015. Daniel Bateman / VICE News

Depuis avril 2015 et le début des manifestations contre le projet du président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat (jugé inconstitutionnel par l'opposition), le Burundi est plongé dans une grave crise politique. Si le président a depuis réussi à se maintenir au pouvoir, son gouvernement continue de mater l'opposition dans le sang.

Depuis le début de la crise, on décompte plus de 1 000 morts, 8 000 détenus pour des raisons politiques, entre 300 et 800 disparus, des centaines de personnes torturées et 310 000 Burundais qui ont fui leur pays. Ce sont les chiffres du dernier rapport de la FIDH, réalisé avec la ligue ITEKA, intitulé « Burundi : Répression aux dynamiques génocidaires ». Il a été présenté à Paris ce mardi.

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« La dernière fois qu'on a parlé de génocide [à la FIDH] c'était en 1993, avant le génocide au Rwanda. Autant dire qu'on pèse nos mots, » lâche ce mardi, Florent Geel, le directeur de la zone Afrique de la FIDH. « On observe que la répression se radicalise depuis le mois d'octobre et que le pouvoir a tous les outils à sa disposition [pour rendre effectif un génocide], » prévient Geel.

Courant octobre, le gouvernement a effectivement pris plusieurs décisions qui montrent que le régime « s'engage dans une fuite en avant, » selon le rapport de la FIDH.

Le gouvernement de Nkurunziza a commencé par dénoncer un rapport accablant de l'ONU sur les droits humains au Burundi, avant de déclarer persona non grata les auteurs du rapport. Le régime a ensuite décidé de se retirer de la Cour Pénale Internationale (CPI), de suspendre sa coopération avec le Haut-Commissariat aux droits de l'Homme des Nations unies et de radier cinq ONG burundaises de défense des droits de l'homme.

Bujumbura en juin 2015. Un corps gît au milieu de la rue. (Daniel Bateman / VICE News)

Dernière décision qui inquiète la FIDH, le Président du Sénat burundais a ordonné le recensement ethnique de tous ceux qui travaillent dans l'administration, les services publics et affiliés. Dans un document, que s'est procuré la FIDH, on demande de renseigner si les fonctionnaires sont « H » ou « T » — soit hutu ou tutsi, les deux ethnies au Burundi.

Si la crise est avant tout politique, le régime essaye d'en faire un problème ethnique, explique Anschaire Nikoyagize, président de la ligue ITEKA. Pour se faire, le régime (hutu, comme la majorité de la population burundaise) instrumentalise notamment les souvenirs du passé, comme le génocide de 1972, quand le pouvoir alors tutsi avait éliminé les élites hutues.

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Ainsi, pour légitimer son emprise totale sur le pays, le régime « fait appel à la rhétorique classique de la défense de la majorité hutue opprimée et menacée par le risque du retour d'un pouvoir militaire oppressif tutsi », peut-on lire dans le rapport.

Répression à huis clos

Au début de la crise, la répression se faisait à la vue de tous, alertant de fait la communauté internationale sur la situation extrêmement préoccupante qui règne au Burundi. Mais depuis décembre 2015, et une grande opération de répression dans les quartiers de contestataires de la capitale, Bujumbura (au moins 154 morts), les services de sécurité opèrent de manière moins visible.

Les forces de sécurité ont désormais recours aux disparitions forcées, aux exécutions sommaires à huis clos, aux lieux de détention secrets et à la dissimulation de cadavres dans des cimetières ou des petites fosses communes.

Bujumbura, juin 2015. (Daniel Bateman / VICE News)

« Deux policiers m'ont saisi par les bras alors que je marchais dans la rue, » raconte Ernest, un Burundais de 27 ans, cité dans le rapport. « Ils m'ont fait monter dans un pick-up et m'ont bandé les yeux. »

Arrivé dans un premier lieu de détention où « beaucoup de gens criaient et semblaient être en train de mourir », Ernest a été tabassé à plusieurs reprises. « Ils m'ont notamment coupé la langue avec un couteau et tiré les organes génitaux, » se souvient Ernest.

Après avoir changé de geôle, les forces de sécurité « m'ont présenté également des photos en soulevant légèrement le bandeau d'un de mes yeux pour me demander si je connaissais untel ou untel, me demander de les emmener chez les gens qui avaient manifesté, » continue Ernest.

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Après quelques jours, les forces de sécurité l'ont fait monter dans un pick-up avant de le jeter au bord d'une rivière en pleine nuit, en pleine campagne, en disant « Laissez ce Tutsi là, il est déjà mort. » Depuis, Ernest a décidé de fuir, persuadé que les forces de sécurité étaient à ses trousses, ayant appris qu'il était encore vivant.

Protection des civils et reprise du dialogue

De nombreux observateurs estiment que la communauté internationale interviendra uniquement si une catastrophe suffisamment visible se déclenche au Burundi. La FIDH et l'ITEKA souhaitent éviter d'en arriver là.

Elles appellent tout d'abord à l'envoi d'une force de protection des civils — sachant qu'en début d'année l'Union Africaine a échoué à envoyer 5 000 hommes dans le pays pour une mission de maintien de la paix.

Les deux ONGs estiment que l'issue de la crise sera politique, puisqu'elle est éminemment politique. C'est pourquoi, elles appellent à la reprise du dialogue politique afin de trouver « une solution pacifique à la crise ». Enfin, elles exhortent la communauté internationale d'adopter des sanctions contre ceux qui se sont rendus coupables de violations des droits de l'homme au Burundi.

La publication du rapport a été accompagnée d'une bande-annonce pour un faux film : Génocide au Burundi, un film de Pierre Nkurunziza. "Empêchons ce film de devenir une réalité" conclut la FIDH.

Le clip de la campagne de la FIDH.


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