Le passant et la putain

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Le passant et la putain

À Valence, sous la dictature de Franco, un photographe a capturé les faits et gestes de dizaines de prostituées, en plein cœur du quartier chinois de la ville.

Cet article a été initialement publié sur VICE Espagne.

En Espagne, un homme sur cinq a déjà eu recours à des « services sexuels » – du moins, selon les dires de ces Messieurs. Pourtant, jusqu'à aujourd'hui, la prostitution est l'un des tabous les plus forts de l'autre côté des Pyrénées, alors que le pays est célèbre, notamment en France, pour ses vastes « supermarchés du sexe ». Si la prostitution est tolérée sur place, se basant sur le principe de liberté individuelle, les pouvoirs publics détournent souvent les yeux lorsque les groupes mafieux s'emparent d'une industrie très lucrative.

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De tout cela, la dernière étude sur le sujet – publiée par l'université pontificale de Comillas, en 2016 – en parle longuement. D'ailleurs, cette même étude revient sur la proportion d'un Espagnol sur cinq ayant eu recours à des services sexuels, pour mieux critiquer ce chiffre. « Si l'on prend en considération le fait que la prostitution est extrêmement taboue en Espagne, on est en droit de se demander si cette proportion n'est pas largement sous-estimée », avancent les responsables de l'étude, Carmen Meneses, Jorge Uroz, Antonio Rúa, Cristina Gortázar et María José Castaño.

Pourtant, les relations entre société et prostitution n'ont pas toujours été aussi emplies d'hypocrisie. L'influence plus ou moins forte de la religion à travers les âges a eu un rôle majeur sur l'acceptation ou le rejet de ce qui est, pour certains et certaines, un métier choisi et revendiqué. Il y a plusieurs siècles, la ville de Valence accueillait en son sein le plus grand bordel de l'histoire européenne. De 1325 à 1671, une maison close immense, mise en place par Jacques II d'Aragon, accueillait des femmes certes montrées du doigt, mais pas autant qu'aujourd'hui. En effet, la prostitution, alors considérée comme un « mal nécessaire », profitait de la vitalité de la capitale de la région pour prospérer, et influençait en retour la culture locale. À ce titre, comment ne pas évoquer la splendide Loge de la soie, ou Lonja, premier bâtiment de la ville à avoir été déclaré patrimoine de l'Humanité par l'UNESCO, qui fourmille de références sexuelles sur ses parois et ses gargouilles.

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joaquin collado fotografia prostitucion valencia franquismo
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Des siècles se sont écoulés, et la prostitution a fini par disparaître des mémoires et des livres d'histoire. Si l'on se réfère à l'évocation de Valence au cours du XXe siècle, on observe que la cité méditerranéenne est désormais célébrée pour son hédonisme, ses plages festives, sa paella traditionnelle, etc. Pourtant, la prostitution n'a jamais cessé, et ça a été encore plus vrai au cours de la dictature franquiste, alors que les médias faisaient tout pour taire ce qui constituait pour les habitants une réalité quotidienne. L'histoire aurait pu oublier de nouveau cette époque si un employé de banque n'en avait décidé autrement, conscient de l'importance du témoignage. Via un appareil photo dissimulé sous son manteau, Joaquín Collado a décidé de photographier des dizaines de prostituées dans les rues de la ville alors que Franco était au pouvoir. « J'éternuais dès que je prenais une photo, pour ne pas être repéré », m'a-t-il raconté.

Cet octogénaire décortique et enregistre la vie des Valenciens depuis plus de six décennies. Si, dans la plupart de ses autres travaux, il annonçait aux personnes photographiées qu'elles l'étaient, et offrait un exemplaire de la photo, il en a été différemment dans le cadre de son projet sur la prostitution de rue sous Franco. Là, désireux d'authenticité, il n'a eu d'autre choix que de dissimuler son objectif. « La plupart des photos mises en avant dans cet article ont été prises le 19 mars 1972, précise-t-il. Les gens présents dans les rues du quartier chinois sont généralement des voisins, ou des travailleurs du quartier. La prostitution était totalement intégrée à la vie du quartier – réputé difficile, où le racket était monnaie courante. Je me souviens que les rues étaient pleines de mecs, plus ou moins jeunes, qui ne pouvaient s'empêcher de regarder ces femmes, plus ou moins jeunes également. »

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joaquin collado fotografia prostitucion valencia franquismo
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