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Culture

Il n’y a rien de plus fascinant que du tissu passé au microscope

Observer du tissu au microscope révèle de nombreux secrets mais donne aussi lieu à de superbes compositions abstraites.
Image de Une : Vue au microscope d'u détail du revers du “Triomphe de Bacchus” (cf. image suivante). Laine, soie et fils enveloppés dans du métal doré. © Le Mobilier National, Paris.

Derrières les portes closes d'institutions d'art des quatre coins de la planète, se cachent des machines à remonter le temps et autres chambres d'investigation. On y voit ressortir de ternes chefs-d'œuvre aussi éclatants qu'à leurs premiers jours ; on y perce des secrets de maîtres ; on y met à jour des compositions secrètes planquées dans de célèbres toiles. The Creators Project vous fait entrer dans ces laboratoires de restauration.

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Zoomer dans une image numérique et vous allez vous retrouver face à une mosaïque de pixels relativement indigeste. Zoomez dans une tapisserie et vous découvrirez un assemblage de fils savamment intriqués, où chaque segment donne le ton et la texture à l'ensemble. Vu de loin, ce qui ressemble fort à du cuivre reluisant dans la tapisserie du XVIe siècle Le Triomphe de Bacchus est en réalité un mélange de soie pourpre et de fils d'or.

Des vues au microscope de ladite tapisserie, prises par les conservateurs du Getty, révèlent tous ces détails : de la laine non-teintée étirée en longueur, pour soutenir la structure, la soie foncée évoluant en spirales verticales et ces bandes incroyablement fines plaquées argent enroulées autour de la soie jaune. Dézoomer et vous apprécierez la composition ci-dessous.

Le Triomphe de Bacchus, vers 1560. Dessin supervisé par Raphaël vers 1518-19, conception par Giovanni da Udine en collaboration avec d'autres artistes de l'atelier de Raphaël. Bruxelles, atelier de Frans Geubels, vers 1560. © Le Mobilier National, Paris

Une étude plus poussée des fils de laine en dit parfois encore plus long que les données de composition. À l'Asian Art Museum de San Francisco, le conservateur Siho Sasaki travaille avec le professeur Chi-Sun Parl, du Centre de Conservation Jung-Jae de Séoul, pour analyser une peinture bouddhiste coréenne du XVIIIe siècle.

Même avec un microscope de relativement moyenne qualité — comme celui que Park a ramené avec elle de Corée du sud, communément utilisé par les dermatologistes et les esthéticiennes —, ils ont été capables de voir que l'artiste avait peint directement sur le tissu, sans passer par une première couche de base, et ont rassemblé plusieurs éléments sur le contexte culturel de la réalisation.

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Vue au microscope d'"Indra et les Gardiens Bouddhistes", 1750. Photo : Chi Sun Park © Asian Art Museum

« Le gouvernement promouvait un certain confucianisme, les ateliers impériaux produisaient alors des peintures sur de la soie étroitement tissée, avec des couches de base distinctes, dont le thème était confucianiste. Comme ils n'avaient pas le soutien du gouvernement, les bouddhistes utilisaient souvent des matériaux et des techniques moins coûteux. Au microscope, on peut voir que l'œuvre est vraiment rudimentaire, comparée aux œuvres de très bonne qualité faites à la cour », explique Sasaki.

« Les fils n'étaient pas fait ou tissé avec beaucoup de soin. Au microscope, on peut voir combien ils sont inconsistants par leur finesse — certains ont de nombreux brins de fibre, d'autres juste un ou deux. Certains sont entortillés, d'autres plats », continue le conservateur. Et s'il y avait plus de chances que la peinture soit faite sur coton plutôt que sur soie, Sasaki souligne qu'un microscope plus performant serait nécessaire pour une « identification précise à 100% des fibres ».

Indra et les Gardiens Bouddhistes, 1750. © Asian Art Museum

Grossi 400 fois, à la lumière polarisée, les choses deviennent toujours plus claires — et plus colorées. Les conservateurs peuvent comparer ce qu'ils voient au microscope avec des références connues, comme celle que l'on peut trouver dans la Fiber Reference Image Library, et identifier s'ils ont affaire à de la soie, du coton ou du chanvre par exemple.

Les fibres naturelles sont souvent plus aisément identifiables : si vous remarquez des nodules le long de la fibre, ça peut être du lin ou de la jute, tandis que le coton ressemblera davantage à à un ruban tordu. Les fibres synthétiques faites à la main, d'un autre côté, se ressemblent beaucoup, il faut donc redoubler d'attention pour discerner leur caractéristiques propres et délivrer un jugement adéquat.

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Fibre d'acrylique vue perpendiculairement à la lumière polarisée d'un sweat-shirt. Ensemble, Rei Kawakubo pour Comme des Garçons, collection printemps/été 2012. Vue au microscope de Glenn Petersen, conservateur au Costume Institute © The Metropolitan Museum of Art

Au Costume Institute du Met, l'identification des fibres fait partie du travail des conservateurs comme Glenn Petersen, dont on peut apprécier les vues au microscopes ci-dessous. La vue d'une tulle en soie d'une robe de mariée peut montrer que de l'amidon — souvent ajouté au tissu pour le raidir — est présent, dans l'interstice triangulaire de la tulle.

Fibre de tulle, dévoilant de l'amidon dans les interstices de la soie d'une robe de mariée, 1856-59. Vue au microscope de Glenn Petersen, conservateur au Costume Institute © The Metropolitan Museum of Art

Fibre de soie sous lumière polarisée d'une robe Halston Halston, 1984. Vue au microscope de Glenn Petersen, conservateur au Costume Institute © The Metropolitan Museum of Art

Vous pouvez admirer d'autres vues au microscopes du Getty sur Tumblr, en savoir plus la sauvegarde des peintures coréennes de l'Asian Art Museum de San Francisco en cliquant ici et aller dans les coulisses du Costume Institute du Met de New York en cliquant .

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