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Il est urgent d'enseigner l'esprit critique à l'école

Selon une étude d'une équipe de Stanford, l’incapacité des jeunes étudiants à discriminer entre vraies et fausses informations est extrêmement inquiétante.
Image: maxim ibragimov/Shutterstock

Internet est un outil multi-usages qui sert à la fois l'évasion, la communication, l'art, le commerce, la politique, l'éducation et, bien entendu, la distraction, sous forme de longues heures de contemplation auto-hypnotique de vidéos d'animaux et de documentaires complotistes.

Hélas, Internet est également la machine à propagande parfaite qui ne cesse de nous flatter en renforçant nos biais, en valorisant des opinions qui sont déjà les nôtres, et en nous présentant des informations que nous n'avons pas envie de remettre en question. Selon une étude menée durant un an par des chercheurs de Stanford, l'incapacité des jeunes étudiants à discriminer entre vraies et fausses informations est devenue si inquiétante qu'elle constituerait désormais "une menace pour la démocratie".

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L'équipe de Stanford est arrivée à cette conclusion pour le moins pessimiste après avoir étudié plus de 7800 étudiants de collège, lycée, et de premier cycle universitaire, à travers leurs posts, tweets, commentaires, et le contenu qu'ils partageaient sur les réseaux sociaux. Leurs résultats sont pour le moins déprimants. 80% des collégiens étudiés étaient incapables de distinguer du "contenu sponsorisé" d'un article écrit par un journaliste indépendant, plus de 80% des lycéens acceptaient la validité d'une image par défaut sans chercher à savoir si elle avait éventuellement été modifiée grâce à un éditeur photo, et la plupart d'entre eux étaient incapables de repérer les fausses informations sur Facebook. Ces résultats sont d'autant plus préoccupants qu'ils concernent une génération que l'on qualifie volontiers de "digital natives" en arguant qu'ils ont une familiarité naturelle et intuitive avec les outils numériques.

Avec Internet, nous serions-nous tiré une balle dans le pied ?

"Certains rédacteurs, journalistes, écrivains sont extrêmement habiles. Demander à des gamins de 11-13 ans de saisir toutes les subtilités de leur rhétorique est tout simplement injuste."

"Nous avons tellement d'information à disposition, qu'il est de plus en plus difficile de la traiter efficacement", explique Yalda Uhls, chercheuse en psychologie de l'enfant et autrice de Media Moms and Digital Dads: A Fact not Fear Approach to Parenting in the Digital Age. Pour gérer ce problème, notre cerveau utilise une méthode heuristique basée sur des règles de base auxquelles nous avons recours lorsque nous devons prendre une décision rapidement. Cependant, cette technique ne donne pas toujours de très bons résultats. "Si un article confirme vos opinions politiques, votre cerveau va choisir de ne pas le remettre en question, car c'est plus économique cognitivement parlant", explique Uhls.

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En outre, la tendance à la vérification systématique des faits, à la mise à jour des articles et au scepticisme est elle-même assez rare dans les médias. "N'importe qui peut créer un site web et se faire passer pour un média moyen", ajoute Yalda. "Nos systèmes d'informations ont échappé à notre contrôle." Et pour le moment, il n'y a (heureusement) aucun moyen de faire taire ce débit continuel d'informations en provenance de sources disparates.

Entre nos timelines Facebook, Twitter et leurs déluges de notifications, les interventions de nos amis, contacts, et membres de votre famille, ignorer un fait d'actualité semble aujourd'hui impossible. Et pourtant. Nous sommes plus que jamais à la merci de la tendance.

Pour remettre en question l'intégrité, la légitimité et la cohérence d'une information, il faut prendre le temps d'y réfléchir et de la contrôler. C'est déjà suffisamment difficile pour un adulte, alors comment exiger d'un gamin qu'il fasse la même démarche ?

Image: US Department of Education

"Certains rédacteurs, journalistes, écrivains sont extrêmement habiles. Demander à des gamins de 11-13 ans de saisir toutes les subtilités de leur rhétorique est tout simplement injuste", avance Jacob Deems, enseignant à la Academy of Global Citizenship, une école publique de Chicago. "Nous devons enseigner à nos enfants comment utiliser Internet, au lieu d'attendre qu'eux qu'ils soient naturellement méthodiques et sceptiques. Enfin, il faut accepter le fait qu'ils ne seront pas matures du jour au lendemain."

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En attendant ce jour béni où les gamins auront suffisamment d'expérience pour savoir comment peser une information, que faire ? Et à quel âge faut-il commencer à leur donner des cours sur l'utilisation d'Internet ? La seconde question est plus facile, et elle a une réponse évidente : dès que possible.

"Internet est omniprésent dans la vie des enfants avant même qu'ils aient mis le pied dans une salle de classe", ajoute Deems. "Alors certes, ils ne commencent pas de suite à écrire des commentaires outrés de 50 lignes sous les articles du DailyMail, mais ils peuvent se servir d'un iPad dès l'âge de 2, 3, 4 ans."

Les conseils parentaux dont vous abreuvent les magazines et les ouvrages de vulgarisation depuis des années pour vous aider à déterminer à quel moment votre enfant sera "prêt pour l'Internet" sont à jeter à la poubelle. Votre enfant est "prêt" dès peut manipuler des appareils électroniques physiquement et contrôler ses doigts. Si vous ne le préparez pas vous-même, ses copains le feront pour vous.

Comment l'apprentissage du bon usage d'Internet pourrait-il prendre la forme d'un programme d'étude ? Quand j'ai fait ma scolarité, dans les années 90, il existait des cours d'informatique où on nous apprenait à configurer un logiciel, à utiliser un clavier et une souris qwerty, à créer et imprimer des documents. Aujourd'hui, la plupart des écoles sont tenues de proposer des cours couvrant les grandes largeurs de l'alphabétisation numérique, et donc d'enseigner les bases de la recherche sur Internet, de l'utilisation d'un ordinateur, et de la "citoyenneté numérique". Cependant, la plupart des enseignants ne valorisent pas autant ces cours que ceux de mathématiques ou de français.

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"La plupart des enseignants estiment qu'aider les étudiants à bien utiliser Internet ne fait pas partie de leurs prérogatives. Ça ne les intéresse pas", explique Merve Lapus, directeur des partenariats écoles chez Common Sense Media, une association qui propose des cours d'éducation aux médias et à la technologie. "Ils pensent que c'est le boulot du prof de techno, de l'assistant ou du documentaliste."

"Il faut faire comprendre aux enfants qu'à chaque fois qu'ils cliquent sur un lien, ils sèment des petits cailloux derrière eux."

Les enseignants qui essaient d'introduire l'éducation au numérique dans la salle de classe se tournent généralement vers des associations telles que Common Sense et Newsela, qui fournissent des guides pédagogiques, des jeux interactifs, des plans de leçon, des articles assortis de quiz, etc. Il s'agit de promouvoir la compréhension de la lecture, de sensibiliser les enfants aux problèmes de sécurité sur le Web, et surtout de briser la prétendue barrière entre vie réelle et vie numérique solidement ancrée dans l'esprit des étudiants.

Enfin, ces leçons leur permettent d'aborder l'actualité à travers une grille de lecture critique qui s'avère indispensable, et dont ils ont grand besoin.

Si on vous enseigne à prendre en compte les intentions de l'auteur d'un texte donné, alors vous aurez moins de mal à percevoir ses biais, ses préjugés et à déconstruire sa rhétorique. Ensuite, si on vous explique comment l'information parvient au lecteur, vous serez plus attentif au rôle des médias. "Il faut faire comprendre aux enfants qu'à chaque fois qu'ils cliquent sur un lien, ils sèment des petits cailloux derrière eux", ajoute Lapus.

Cela sera-t-il suffisant ? Nous sommes en droit d'être optimistes, dans la mesure où Facebook commence à reconnaître qu'il possède un rôle et une responsabilité de grand média, par exemple. Et surtout, les jeunes commencent déjà à se détourner des réseaux sociaux mainstream.

"La nouvelle génération n'est pas le moins du monde intéressée par Facebook", explique Deems. "Elle utilise YouTube, Instagram, SnapChat, elle est inconstante et suit la tendance. Elle est donc moins à même d'être dépendante d'un seul média."

Ce constat est appuyé par un sondage réalisé au sein de l'Academy of Global Citizenship, et portant sur des élèves de cinquième et quatrième. Lui même produit les mêmes résultats qu'une étude de 2014 montrant que les ados quittent Facebook, et consultent plus volontiers la télé ou Snapchat pour suivre l'actualité.

Même si l'étude de Stanford a de quoi inquiéter, il faut sans doute laisser le temps à notre jeunesse de développer ses propres outils critiques face à l'explosion des médias sur Internet, qui après tout, n'est pas si ancienne que cela. Tout adultes que nous sommes, il y a quelques années nous avons été ces parfaits crétins persuadés que Marilyn Manson et Paul Pfeiffer était une seule et même personne. La prochaine génération ne peut pas être aussi stupide.