La première fois que j'ai rencontré Aristide, il pleuvait à verse. Les pieds dans la boue, parapluie en main, il se tenait là, imperturbable, entouré de vapeurs d'alcools, attendant la fin de « la chauffe ».Aristide, 84 ans, est bouilleur ambulant.Dès le mois d'octobre, il sillonne pendant six mois les villages de l'Aude : arrivé sur place, il distille de l'eau de vie avec les fruits que les villageois lui apportent. Pendant sa tournée, Aristide loge « chez l'habitant », s'accommodant bien souvent d'un recoin de hangar agricole ou d'un sous-sol de maison. Il y a ses marques, ses habitudes.
Publicité
Certains trouveraient ces lieux inconfortables. Pour Aristide, la simple idée de les retrouver chaque année le réjouit. Si les journées se ressemblent, seule la météo change. Il ne se plaint jamais du froid. Sous la neige, sous la pluie, en plein vent, il s'assoit près de son alambic pour se tenir au chaud. En attendant que l'eau de vie coule, il me raconte son enfance, son histoire. Il me raconte l'Algérie. Puis viennent les silences, seulement rompus par quelques jets de bûches dans le feu.C'est avec la fin de journée que la fatigue arrive. Il a hâte de retourner se reposer chez lui, dans son petit hameau ariégeois. Pour mieux repartir l'année suivante.
Peu importent la pluie et le froid, « tant qu'il y a des fruits, il y a du travail ».Au coeur du village de Brézillac dans l'Aude, Aristide a installé son alambic. On appelle cela « L'Atelier public ». Tous ses clients l'attendent pour distiller. Ils ont laissé macérer les fruits avec du sucre pendant plusieurs mois dans un conteneur hermétique. Ce mélange sera distillé pour obtenir de l'eau de vie.
Lorsqu'il distille à Puivert, Aristide loge dans une petite pièce au fond d'un hangar agricole.
Pendant sa tournée, il emporte avec lui son lit de camp, son tapis et ses chaussons.
Si les fruits « donnent » bien, on peut en obtenir jusqu'à 50 litres. Aristide touche 4€ par litre d'alcool distillé.
La famille Ferrand a toujours accueilli les Peyronnie. « Quand ma mère est décédée, on a décidé de continuer cette tradition et d'inviter Aristide chez nous », me confie M. Ferrand, père de famille.
Publicité
Au petit matin, dans le verger de Sonnac, Aristide commence sa journée de travail. Pendant son séjour dans ce village, il dort dans son fourgon.Ninette, une voisine, amène du café et de la soupe à Aristide. Le repas de midi est apporté par les clients qui viennent distiller, celui du soir par les personnes qui l'accueillent.
Aristide appelle un client.
Etape clé dans la fabrication de l'eau de vie : la mesure du degré d'alcool. Les premiers litres coulent souvent autour de 70°. Il faut ensuite attendre que l'eau de vie coule suffisamment pour que l'ensemble descende au degré souhaité, entre 40 et 45°. L'alcoomètre est un instrument très fragile, Aristide le manipule avec délicatesse.Les fruits ont été chargés trop tard, la fournée se termine à la lampe de poche.Un client éclaire Aristide pendant qu'il remplit les documents destinés aux douanes. Il faut déclarer la quantité d'alcool distillé et payer la taxe en vigueur (sauf pour certaines personnes qui ont le « privilège des bouilleurs de cru » et peuvent ainsi distiller sans payer de taxes. Depuis une loi de 1959, ce privilège ne peut plus se transmettre par héritage).
Chaque année, il retrouve les même personnes, créant ainsi de véritables amitiés. Ici, Aristide rend visite à Juliette, 98 ans. Ils se racontent des souvenirs, parlent de ceux partis avant eux.De retour chez lui, à Catou en Ariège, Aristide se repose, d'avril à octobre. Puis, quand les fruits seront prêts, il reprendra la tournée.
Juliette Mas est une photographe indépendante qui axe son travail autour de la photographie documentaire, de l'humain et des histoires qu'il a à raconter.