Comment foutre le feu à votre bûche au nom de l'Esprit de Noël

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Comment foutre le feu à votre bûche au nom de l'Esprit de Noël

On a demandé à l'ancienne chef pâtissière d'Au Pied de Cochon de nous faire une bûche de Noël et elle nous a rendu un chef d'œuvre enflammé.

«Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage », conseillait le poète et écrivain français Nicolas Boileau.

C'est un dicton bien connu des perfectionnistes. Et pour la chef pâtissière Gabrielle Rivard-Hiller, pour qui le « métier » est la plaque à pâtisserie, une devise personnelle.

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Gabrielle Hiller-Rivard. Photos par Farah Kahn et Allison Slattery.

Il y a quelques semaines, pour faire honneur à l'Esprit de Noël, on lui a demandé si ça lui disait de nous cuisiner une bûche. Et pas n'importe quelle bûche : celle du génial livre de recettes de Martin Picard, le célèbre chef montréalais du restaurant Au Pied de Cochon.

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Mais Gabrielle, qui a quitté les cuisines de Martin Picard (en très bons termes) après six années intensives, n'est pas du genre à faire de la confiture dans des vieux pots. Et depuis qu'elle n'a plus à cuisiner pour 2000 personnes par semaine, elle a tout le temps du monde pour réfléchir à ses propres créations et les cuisiner.

Du coup, elle s'est mise en mode recherche et développement et s'est finalement décidée à cuisiner une espèce arboricole bien différente des bûches traditionnelles. « Au début, je voulais faire quelque chose qui ressemble à un sapin et puis finalement, ce sera du frêne », raconte-t-elle.

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Pour Gabrielle, comme pour la plupart des Québécois, la bûche est indissociable des souvenirs de Noël. Sur la table de Noël dans sa famille, chaque année a sa bûche. Une recette beaucoup plus simple que celle qu'elle a décidé de nous préparer aujourd'hui : « Un gâteau aux œufs blanc avec de confiture de framboises, un peu de crème fouettée, roulé. Puis du sucre à glacer dessus, saupoudré », explique-t-elle.

Sur le dessus du gâteau, c'est la tradition, ils posent une minuscule hache de bois que son grand-père avait sculptée. « Chaque Noël, ma mère fait sa bûche de Noël et met la hache de mon grand-père dessus. C'est vraiment une grosse affaire chez nous. J'ai d'ailleurs mis une option dessus pour mon héritage. J'ai fait jurer à ma mère que c'est moi qui l'aurai. »

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Depuis des siècles, le fameux gâteau en forme de bûche constitue la forme de base des pâtissiers (et de mamans) qui, inspirés par les traditions de Noël, le décorent de neige et de champignons. « Sur toutes les bûches un peu kitsch, il y a des champignons en meringue. Il y en a toujours eu. On dirait que ça fait partie de l'imaginaire. »

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Pour créer ses champignons, la chef utilise une préparation à base de guimauve à la framboise, trempée dans du chocolat blanc et enfin peints à la main avec du colorant alimentaire. Le tout posé sur une tige en meringue. « J'ai toujours aimé faire des champignons. C'est vraiment un truc kitsch ! », dit-elle en riant.

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Mais ces champignons ne sont que des éléments du décor ; le vrai défi consiste à créer ce sur quoi ils reposent. Première étape : préparer la pièce de bois principale – un gâteau roulé au chocolat avec de la mousse au chocolat et de la ganache – à laquelle s'ajouteront, en plus des champignons, des branches.

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Rassurez-vous car là aussi, les branches sont comestibles. Il s'agit d'un un craquelin à base de sucre cassonade, de farine et de beurre. « Tu étales ça entre deux feuilles de papier, puis tu viens mettre ça sur la pâte à choux avant de la cuire. Normalement, les gens s'en servent pour ajouter du croquant aux choux à la crème et pour que ça lève égal. Ça donne un poids sur la pâte, ça l'empêche d'exploser à la cuisson. Mon craquelin est tellement épais que, quand la pâte à choux s'est mise à gonfler, il a craqué et il a fondu pour faire l'effet écorce. »

Au nom de l'authenticité sylvestre, elle bouche ensuite délicatement chaque extrémité des branches avec une tuile à l'érable pour que la crème à l'intérieur ne coule pas et que la branche paraisse plus vraie que nature.

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Des variations de bûche sur le thème du faux bois comestible existent dans plusieurs pays d'Europe : il y a la licht en Allemagne et la yule log en Angleterre, et en France, pendant la période de Noël, les chefs pâtissiers se tirent la bourre dans des compétitions de bûches sophistiquées. De fait, les bûches de Noël sont si profondément enracinées dans la cuisine française qu'on les retrouve sur les tables des habitants d'anciennes colonies françaises aussi différentes que le Liban, le Vietnam et… le Québec.

« Je ne suis pas tant pâtisserie française élaborée qui fait des étagés de mousse, des gelées et des coulis, comme ci, comme ça. J'aime mieux aller vers des choses plus naturelles, insiste-t-elle. Je suis plus branche de bois que bûche au yuzu. »

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Plutôt que la perfection technique, Gabrielle cherche à atteindre les émotions, créer du bonheur, autant de plaisirs qui rappellent des souvenirs d'enfance : « Le sucre, c'est comme une drogue. Manger une tarte aux fraises, ça te ramène 30 ans en arrière quand ta grand-mère faisait des tartes aux fraises. »

Mais travailler avec des paramètres comme les sentiments et la familiarité ne dispense pas de la partie technique de l'équation, ni ne la rend plus facile, surtout pour une perfectionniste comme Gabrielle : « C'est tout le temps un processus pénible, parce que tu te remets en question. Les premières fois que tu l'essaies, ça ne marche pas, c'est laid, tu te trouves poche. Il faut que tu repenses à ton affaire, ça rend humble. »

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Jusqu'à ce que tout se débloque, comme par magie. « Ce qui est l'fun dans ces processus-là, c'est qu'il y a tout le temps des hauts et des bas. Tu te couches le soir, tu te lèves le lendemain, pis, un moment donné, tu as un flash. T'as trouvé la solution à ton problème. C'est vraiment excitant quand ça arrive. »

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Comme un coup de grâce, Gabrielle fait flamber de l'eau-de-vie de framboise et en arrose la bûche. Devant le gourmand se dévoile soudain un véritable bûcher comestible !

Si avec ses créations culinaires, Gabrielle est capable de passer outre le rationnel et toucher aux sentiments, elle parvient à le faire sans être trop sentimentale ni conceptuelle. C'est aussi agréable pour le palais que ça l'est pour l'œil.

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« Ce que j'aime dans les pâtisseries, c'est ce qu'elles donnent aux gens des souvenirs. D'habitude, on mange pour vivre. Mais avec les desserts, tu entres dans la mémoire des gens. Souvent, leurs plus beaux souvenirs sont liés à des gâteaux, des biscuits, des odeurs ou des saveurs. »

« C'est vraiment l'fun de rappeler des souvenirs aux gens. »