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L'incroyable vie de Paul Canoville, le premier black de Chelsea

Il était un talentueux ailier et le premier joueur noir du club londonien. Il a fait face aux insultes racistes, il a combattu la dépression, la toxicomanie et le cancer.
Photo via paulcanoville.co.uk

« À Chelsea on est blanc ! À Chelsea on est blanc ! Salut ! Salut ! »

Voilà a quoi ressemblait la chansonnette raciste, mise en musique par l'improbable Gary Glitter et chantée par les fans de Chelsea en 1982. Il est impossible d'ignorer les similarités de cette chanson avec les vulgarités vomies dans le métro parisien en mars 2015 par certains fans des Blues. Mais cette chanson n'était alors pas l'oeuvre d'un petit groupe de marginaux, inconscients du fait que leur visages feraient les unes des journaux le lendemain. Non, cette chanson était chantée fièrement et fortement depuis la tribune visiteurs du Selhurst Park (l'enceinte de Crystal Palace, ndlr) par des centaines de supporters de Chelsea et visait leur propre joueur, Paul Canoville, alors qu'il s'échauffait pour rentrer sur le terrain et devenir ainsi le premier joueur noir du club de l'ouest londonien.

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Ça devait empirer avant de s'améliorer, mais deux ans plus tard, dans la fameuse tribune Shed End de Chelsea, incluant un grand nombre de ceux qui le huaient, résonneraient des chants en l'honneur de Canoville. Six ans après, Ken Monkou deviendrait le premier noir à recevoir le prix du joueur de l'année de Chelsea. Quelques décennies plus tard encore, le penalty de Didier Drogba vaudrait au club sa première victoire de la Coupe d'Europe.

Pour les fans dont la douleur de la défaite en finale de Ligue des Champions à Moscou en 2008 est au niveau de celle de la demie-finale de Coupe de la Ligue perdue contre Sunderland en 1985, l'importance de Canoville dans le club est égale à celle de Drogba. Tandis que l'un a ramené la grande coupe d'Europe à Stamford Bridge, l'autre a eu le mérite de préparer le chemin pour que les Drogba, Marcel Desailly et Jimmy Floyd Hasselbaink puissent jouer à Chelsea.

Et pourtant, Canoville, qui aujourd'hui travaille avec Chelsea dans la lutte contre le racisme et pour promouvoir l'inclusion et l'éducation, aurait très bien pu ne pas y arriver. Après avoir enduré le racisme des tribunes, il a été obligé de prendre une retraite anticipée à cause d'une blessure et il a ensuite sombré dans la dépression et dans la drogue après avoir été confronté à la mort d'un de ses enfants, encore nourrisson. Après cela, c'est le cancer qui l'a presque achevé.

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Photo PA Images

Canoville a grandi à Hillingdon, dans l'ouest de Londres. Il est le fils de deux parents émigrés des Caraïbes. Son père est parti lorsqu'il avait deux ans, laissant sa très stricte mère élever seule deux enfants dans des conditions austères. Ayant des difficultés à l'école, le football lui a offert une échappatoire. Cependant, il semble que l'opportunité d'une carrière professionnelle lui a échappé jusqu'à ce que, vers la fin de l'année 1981, l'équipe de Chelsea, alors en deuxième division, le débauche du club amateur de Hillingdon Borough. Un talentueux ailier gauche, doué, avec du style, du rythme et de l'agilité, qui devrait normalement faire de lui le chouchou des fans. Très vite, il a commencé à attirer l'attention par ses prestations avec l'équipe réserve.

« Quand j'ai commencé, j'ai trouvé ça assez facile, explique-t-il. Dans l'équipe réserve, j'étais l'homme du match la plupart du temps. Je marquais des buts, je faisais des passes décisives, c'était génial. Pendant longtemps j'ai cru que ça allait être difficile de devenir professionnel, mais en réalité c'était facile ».

Plein de confiance, l'artiste mourait d'envie de montrer ses talents en équipe première. L'opportunité s'est offerte à lui quatre mois plus tard lorsque John Neal, l'entraîneur de Chelsea, l'a inscrit sur la feuille de match face à Crystal Palace à Selhurst Park.

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« J'étais tellement excité, j'étais prêt. Même le voyage en car pour aller au stade le jour-même était excitant. C'était la première fois que je voyageais dans un car avec des tables, des toilettes et tout ! Je n'avais connu qu'un seul bus jusqu'à présent, c'était celui qui m'emmenait à Margate quand j'étais petit. Mais là, je me disais, "Putain, on dirait un appartement !" »

Canoville était remplaçant sur l'aile. Il a pris sa place sur le banc et a commencé à s'imprégner de l'atmosphère et du fait qu'il était sur le point de réaliser son rêve d'enfant.

« Je regardais le match, j'entendais la clameur du stade et je me disais, "C'est bon ça, c'est vraiment bon". Il fallait que je regarde les joueurs contre qui j'allais potentiellement évoluer. J'observais leur arrière droit parce que je jouais attaquant sur le côté gauche, et je me disais, "Mec, je vais le fumer ce vieux schnock", laissez moi y aller ! »

« Et là, il reste 12 minutes, "Canners, va t'échauffer", me crie-t-on. Grave ! Allez, c'est parti ! »

« Donc je suis allé m'échauffer, et j'ai commencé à entendre des insultes, des insultes racistes. Je me suis dit, "Putain mais c'est quoi ça ? C'est les fans de Crystal Palace qui essaient de me déstabiliser ?" J'ai continué à m'échauffer en faisant des étirements et c'est vraiment devenu intense. C'était de plus en plus fort, c'était vraiment horrible et je me suis dit, "Personne ne dit rien là ?!" »

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« Je me suis vraiment énervé, je me suis retourné, et c'est là que je suis tombé sous le choc. Parce que ce n'était pas les supporters de Crystal Palace mais mes propres supporters. Je ne pouvais pas y croire, mes propres supporters ? Ils ne me connaissent même pas. »

Alors que Canoville s'apprêtait à rentrer sur le pré, une chorale de « On n'a pas besoin du nègre » s'est faite entendre du côté des visiteurs et des bananes ont commencé à être jetées dans sa direction. Une fois sur le terrain, les insultes ont perduré, les supporters de Chelsea le huaient chaque fois qu'il touchait le ballon. Effaré et blessé, Canoville est resté scotché dans son couloir sans jamais repiquer dans l'axe.

« Je suis plus ou moins resté le long de la ligne de touche. Je continuais d'entendre les injures derrière moi. Je redonnais la balle dès qu'on me la passait. Je ne faisais rien, ma confiance s'était envolée. J'étais vidé par les insultes dont j'étais la cible. Je n'avais qu'une hâte, c'était que l'arbitre siffle la fin. »

Huer les joueurs noirs n'avait rien de nouveau. Malheureusement c'était presque devenu la norme dans le football anglais. Par contre, huer ses propres joueurs noirs, ça si, c'était tout à fait inédit.

Mais Chelsea était un club réputé pour ses célèbres hooligans. En 1977, ses fans avaient été interdits de stade pour tous les matches à l'extérieur et les joueurs noirs adverses s'attendaient toujours à passer un sale moment à Stamford Bridge. La chance de Canoville d'avoir été sélectionné par une équipe pro équivalait à sa malchance d'avoir rejoint un club au plus bas de son histoire, que ce soit sur le terrain ou dans les tribunes.

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Lors de la première saison complète de Canoville au club, Chelsea finira à sa pire position, évitant tout juste la relégation en troisième division du football anglais. À certains égards, les changements d'identité et de fortune du club ont reflété ceux du pays. Le Chelsea gentleman et honnête des années 50 avait été usurpé par le glamour de King's Road alors que le club devenait l'incarnation du Londres des Swinging-Sixties, Stamford Bridge regorgeant de foules de supporters colorés, très mods (les mods sont de jeunes Anglais dans les années 1960, qui s'habillent élégamment, roulent en scooter, aiment des groupes comme les Who, les Kinks,… et s'opposent aux rockers ) et reggae.

Mais alors que la Grande-Bretagne faisait face à une instabilité économique pendant les années 70, Chelsea était également plongé dans le rouge par une rénovation du stade trop ambitieuse qui, couplée à une gestion désastreuse des joueurs et des entraîneurs par la direction, a vu le club tomber de son piédestal. Les mods ont laissé leur place aux skinheads, le hooliganisme d'adolescents surexcités cherchant la baston a laissé sa place au hooliganisme de firmes organisées, cherchant à faire du mal. Pendant ce temps, Chelsea est retombé en deuxième division et loin des yeux des caméras, tombant bientôt aux mains de groupes extrémistes conscients que les tribunes de jeunes révoltés étaient des terres fertiles pour le recrutement. À l'extérieur de Stamford Bridge et d'autres stades choisis, des skinheads vendaient des copies de Bulldog, le journal à destination des jeunes du National Front. Au début des années 1980, le chômage touchant trois millions de personnes, il y avait plein de jeunes paumés au stade auxquels ils pouvaient s'en prendre.

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Voilà dans quel tourbillon avait été parachuté Canoville. Il était difficile pour lui de concilier la joie d'être sur le terrain avec la réalité de la situation.

« Je me disais, "Est-ce que c'est le genre d'accueil que je vais recevoir à chaque fois ? Est-ce que j'ai vraiment envie de jouer ? Est ce que je veux vraiment jouer pour Chelsea ?" »

Le football avait un problème de racisme, mais les instances dirigeantes préféraient faire l'autruche et les soutiens étaient rares. Mais avec les encouragements de son entraîneur et le soutien de son club, Canoville a décidé de continuer et de laisser son jeu répondre aux insultes. « John Neal m'a dit, "Écoute-moi, montre-leur à quel point tu es bon. Je sais que tu peux le faire." Il m'a fallu l'encouragement de plusieurs personnes, mais j'ai apprécié cela parce que ça m'a donné un défi : les faire taire, leur montrer à quel point j'étais bon. Je n'allais laisser personne m'empêcher de vivre mon rêve. C'était toute ma vie. »

« Mais c'était pas si facile. Cela faisait presque deux ans et demi que ça [les insultes] duraient. Même quand je marquais, ils disaient que ça ne comptait pas parce que j'étais noir. Voilà à quel point ils étaient ignares. »

Les histoires de groupes de supporters refusant de célébrer les buts de Canoville sont légions. Une histoire racontée, peut-être fausse, veut qu'une partie des supporters trainaient dans des pubs en face de Stamford Bridge avant les matches. Si le nom de Canovillle était sur cette feuille de match, ils restaient au pub.

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Ma mère est têtue et je pense que je tiens d'elle

« Le pire c'était de jouer à domicile. Du banc de touche, on avait l'habitude de courir vers la droite [pour s'échauffer], et les supporters de la tribune East Stand Lower étaient les mêmes fans qui m'insultaient à l'extérieur. Je passais devant eux en courant et ils criaient, "Va t'asseoir sale nègre ! Où est-ce que tu vas ? T'es noir…" Ça ne me mettait pas en confiance du tout ! Quand j'arrivais sur le terrain, je me disais, "Je dois leur montrer tout de suite, ne pas prendre le temps de rentrer dans le jeu, je dois leur montrer ce dont je suis capable." »

Où Canoville trouvait-il la force de continuer face à tant d'adversité ?

« Ma mère est têtue et je pense que je tiens ça d'elle. Lorsqu'elle est arrivée des Caraïbes, tout ce qu'elle a dû endurer… Je ne pense pas que j'aurais pu supporter ce qu'elle a supporté. Elle travaillait dans des hôtels, elle s'occupait du linge dans la cave. Elle a postulé pour devenir femme de chambre et on lui a dit qu'il n'y avait pas de poste. Elle s'est ensuite rendue compte que l'une des femmes blanches avec qui elle travaillait avait également postulé pour le poste et l'avait obtenu. Ma mère n'en est pas restée là, elle est allée leur dire, "Mais attendez une minute, vous m'avez dit qu'il n'y avait pas de travail, comment ça se fait que cette femme en a eu ?" On lui a alors répondu : "Vous ne pouvez pas être vue [par les clients]". "Qu'est-ce que vous voulez dire ?", lui a alors demandé ma mère. "Parce que vous êtes noire". Ma mère s'est levée et lui a dit "Eh bien gardez votre boulot" et elle s'en est allée en chercher un autre. »

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« Mais vous imaginez bien à quel point il était difficile à l'époque pour une jeune femme noire de trouver du travail. Elle a continué à aller de l'avant, continué à chercher un travail. Je me suis donc mis dans le crâne qu'il fallait que, moi aussi, j'aille de l'avant. »

Il a été soutenu par des coéquipiers dont il parle encore avec une grande affection. Après les tourments du match venait le répit lors des entraînements. Mais le club a été lent avant de prendre publiquement position contre le racisme.

« On s'amusait. Ça chambrait. J'imagine que ça chambre dans tous les clubs, mais nous ça atteignait un niveau… Ah mon gars ! Ça faisait du bien. Les gars me soutenaient, j'aimais être avec eux. C'est là que je prenais du plaisir. J'adorais me lever le matin pour aller m'entraîner. »

« Mais en même temps, je pense que Chelsea n'en a pas fait autant qu'il aurait pu. Le club ne savait pas comment s'y prendre, il faut le comprendre. Il n'y avait pas d'associations à l'époque, pas de Kick It Out ou de Show Racism The Red Card, donc j'étais tout seul, je surmontais les événements les uns après les autres, j'essayais de faire mes preuves, de convaincre tout le monde. »

La morosité quitte le club et les hostilités s'apaisent alors que Chelsea se dirige vers le titre de champion de deuxième division. En décembre, Canoville réalise un coup du chapeau contre Swansea, et la tribune du Shed commence à chanter son nom. Mais si les matches à la maison ne sont plus les expériences intimidantes qu'elles étaient, les supporters l'insultent toujours lors des matches à l'extérieur. Les choses dégénèrent, une fois de plus, à Crystal Palace. Presque exactement deux ans après ses débuts, Canoville est encore hué par ses propres supporters à Selhurst Park.

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Il faut intervenir, et l'initiative arrive d'une personne assez improbable. Nevin, qui n'a encore que 20 ans et qui joue sa première saison au club, profite de ses interviews d'après-match pour aborder le sujet. Il refuse de parler du jeu, insistant seulement sur le traitement « répugnant » dont a souffert Canoville. Aujourd'hui, cela peut sembler être une réaction normale, mais à l'époque il était rare qu'un joueur, blanc ou noir, tape du poing sur la table pour aborder le sujet.

Au match suivant, à domicile, les noms de Nevin et Canoville sont chantés alors que les joueurs sortent du terrain. Le club se met alors à prendre des mesures. Le président, Ken Bates, déclare qu'il compte « persécuter et harasser » les membres du National Front à Chelsea et les exclure de son stade.

La prise de position ferme du club semble avoir porté ses fruits, mais Canoville raconte que le plus gros changement, et le moment à partir duquel il s'est réellement senti accepté et apprécié par les fans, est survenu la saison suivante après sa prestation flamboyante lors de la demi-finale de la Coupe de la Ligue à Hillsborough. Les visiteurs sont menés 3-0 à la mi-temps. Canoville entre en jeu au début de la seconde période et marque après 11 secondes, sur son premier ballon. Chelsea hausse son niveau de jeu et, servi par Dixon, Canoville donne l'avantage à son équipe. Sheffield Wednesday a le temps de remettre un but synonyme d'égalisation et donc d'autre replay (que Chelsea gagnera). Mais ce soir-là, d'après lui, les choses ont changé pour Canoville.

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« Après ce match, nous avons joué à la maison contre Watford. Luther Blisset et John Barnes jouaient. Luther a récupéré le ballon sur la droite, je l'ai suivi et lui ai mis un tacle sévère. Je me suis relevé et le Shed à commencé à chanter "Canoville ! Canoville !" Et puis c'était bon, c'est resté comme ça pour tous les matches qui ont suivi. Lorsque j'étais remplaçant, je sentais qu'ils voulaient que je rentre. "Allez là ! Faites rentrer Canners !" C'était beau à entendre. »

Des changements s'opèrent dans les tribunes et dans la société. Les beaux jours du National Front touchent à leur fin et les efforts du club pour les bannir de Stamford Bridge portent leurs fruits. Ceux qui distribuent le Bulldog ont disparu pour être remplacés par les Trotskistes vendant des copies de News Line, le canard du Parti révolutionnaire des travailleurs. Même s'il y a des débordements de hools durant cette décennie, Stamford Bridge est sur le bon chemin pour redevenir un endroit accueillant.

Le match contre Sheffield Wednesday a aussi été important pour Canoville à titre personnel. Son père, qu'il n'avait pas vu depuis plus de 20 ans, venait de reprendre contact et les deux s'arrangent pour se retrouver ce soir-là. Son père est dans les tribunes pour assister à sa performance.

« Pendant tout ce temps, tout ce que je voulais c'était que mon père et ma mère voient à quel point j'étais bon. Quand j'étais petit, les parents venaient régulièrement [aux matches] pour soutenir l'équipe, mais pas les miens. Et j'étais l'homme du match la plupart du temps. Je recevais les éloges des familles d'autres joueurs, mais je voulais que mon père ou ma mère soient là pour voir à quel point j'étais bon. »

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La saison suivante, en 1985-1986, Chelsea joue le titre. Pourtant, il y a un petit bâton dans les roues de Canoville ou plutôt un club de golf. Après un match à l'extérieur, il est impliqué dans une dispute avec un coéquipier. Le joueur, dont Canoville ne souhaite pas mentionner le nom, est sérieusement vexé et s'attaque par la suite à Canoville avec un club de golf. Ils n'en étaient pas à leur première altercation et Canoville étant le plus jeune des deux, le club décide de le transférer.

C'était déchirant, mais ça n'était pas la pire chose à venir dans la carrière de Canoville. Pragmatique, Canoville accepte ce transfert comme faisant partie du foot professionnel. Refusant un transfert pour une équipe de Millwall destinée à jouer en première division, il descend d'un étage pour rejoindre Reading. Après un début brillant, Canoville souffre d'une terrible blessure au genou, « Une des pires que le médecin avait jamais vu », dit-il. Il se bat pour récupérer et fait son retour la saison suivante. Mais il est toujours à un tacle près d'un choc qui mettrait fin à sa carrière. Ce tacle est arrivé huit matches après son retour. Âgé de seulement 25 ans, Canoville doit arrêter le football.

« Je crois que, quand j'ai pris ma retraite, j'ai pris conscience de ce que j'avais vécu et l'émotion m'a submergé. J'ai fait une dépression. Je ne pouvais plus jouer au football et j'étais dans le déni. »

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Une fois ses crampons rangés, tout le poids de ce qui était arrivé à Canoville le frappe de plein fouet. Il n'avait pas la moindre idée de ce qu'il allait faire de sa vie, il est confronté à la mort de son rêve. C'est alors que la dépression le touche.

Canoville continue de vivre une vie fastueuse malgré le manque d'argent. Lors d'une soirée, un ami lui passe ce qu'il pense être un joint, mais la sensation ressentie en inhalant n'est pas celle à laquelle il s'attendait : c'était du crack. Après un moment de panique, croyant qu'il était parti pour un trip délirant, il apprécie finalement la défonce et en redemande.

Le crack me détendait, il me faisait oublier ce qui se passait

« Tout s'accumulait, les emprunts, les factures, et c'est à ce moment-là que les drogues sont arrivées. Le crack me détendait, il me faisait oublier ce qui se passait, il me faisait oublier cette période de merde qui ne disparaissait pas pour autant. Et ça m'a changé en tant que personne aussi. Mon caractère avait disparu, je ne riais plus, je ne plaisantais plus comme avant. J'ai commencé à me cacher, à trouver des excuses pour ne pas sortir, je ne prenais pas soin de moi. La drogue a pris le contrôle, et c'est ça le truc : la drogue prend le contrôle. »

Canoville travaille alors comme coursier tout en gagnant de l'argent en jouant au football à des niveaux plus bas, mais la plupart du temps il ne s'en donne pas la peine. Il essaye plusieurs fois de se sevrer mais il rechute rapidement au plus bas.

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En 1995, Tracey, la copine de Canoville, doit donner naissance à leur deuxième enfant, Tye. Une vie amoureuse compliquée verra Canoville être le père de 11 enfants de 10 femmes différentes. Mais il s'est toujours promis, à lui-même en tout cas, de se caser avec la première femme avec qui il aurait deux enfants.

« Tye était tout ce dont j'avais besoin. Mais lorsqu'il est né, il avait des problèmes, il ne pouvait pas respirer. Les médecins nous ont dit qu'il avait besoin d'une opération majeure. On leur a dit qu'on était prêt à faire ça. Ils nous ont dit qu'il aurait besoin de soin 24/24h. On était prêt à faire ça aussi. Et puis ils nous ont dit qu'ils ne pouvaient pas l'opérer, qu'il n'était pas assez robuste. Ils nous ont dit qu'il avait 10 jours à vivre. »

« Je devais lui donner des injections d'insuline toutes les quatre heures. Je suis resté avec lui pendant 9 jours. Je l'ai regardé respirer pour la dernière fois dans mes bras… »

Désespéré, Canoville s'est tourné vers son unique recours : le crack. Il réalise la nécessité de changement dans sa vie, mais il doit d'abord se reprendre en main. Un ancien collègue de Chelsea lui tend la main après une rencontre fortuite. Avec son aide, Canoville entre en cure de désintoxication. Une partie de son traitement implique qu'il se rende à des entretiens consultatifs même si ça n'était pas de son goût au début.

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« Faire part de mes problèmes ne faisait pas partie de l'éducation que j'avais reçue. Je ne les partageais avec personne. Le mec venait et me demandait "Comment vous sentez-vous ?" Comment ça, comment je me sens ? "Alors pourquoi êtes vous ici ?" Pourquoi d'après vous je suis ici ? Je ne comprenais pas. »

Un nouveau thérapeute lui a été assigné, qui, comme Canoville, avait des origines des Caraïbes. Et il y a eu du progrès. « Je lui ai donné du fil à retordre et inversement. Mais vous savez quoi ? Il m'a touché. Il m'a appris des trucs à propos de moi et je l'écoutais. On a continué. J'avais hâte de discuter avec lui à chaque fois. »

Canoville avec une équipe des anciens joueurs de Chelsea. Photo PA

La thérapie aide Canoville à maîtriser ses démons et il décrit le processus comme la meilleure chose qui lui soit arrivée. Il en est ressorti clean.

Mais une mauvaise surprise lui est réservée. En 1996, un lymphome non hodgkinien lui est diagnostiqué. C'est une forme agressive de cancer du sang. Canoville en admet en partie la responsabilité, reconnaissant que l'usage du crack avait affecté son système immunitaire et l'avait rendu plus exposé à ce genre de maladie. Il subit un traitement intensif et agressif et s'en sort finalement, mais la situation était critique.

Une fois en bonne santé, il fallait encore régler la question de ce qu'il allait faire de sa vie. C'est environ à ce moment-là que Chelsea est entré en contact avec son ancien joueur et l'a informé de son projet Education Through Football (éducation à travers le football), lui demandant de parler de ses expériencesavec des enfants.

Canoville se montre réticent, doutant du fait que des enfants si jeunes aient la moindre idée de qui il est et encore plus du fait qu'ils soient intéressés par ses propos. Mais il s'exécute et, à son plus grand étonnement, les élèves boivent ses paroles. Il pensait qu'ils s'ennuyaient jusqu'à ce que l'enseignant lui explique qu'ils étaient aussi sages uniquement lorsqu'ils étaient intéressés.

« Je continuais d'aller dans les écoles, et ils continuaient de m'écouter. Après quelques temps, quelqu'un m'a dit "Dis-moi Canners, pourquoi est-ce que tu ne deviens pas aide-enseignant ?" Je n'avais pas les diplômes, mais ils m'ont dit, "Tu n'as pas besoin des diplômes, ce dont tu as besoin c'est de la connaissance. Et la façon dont tu leur parles, ils t'admirent, ils sont inspirés." »

Canoville se rend compte qu'il a quelque chose à offrir. Il décide de suivre le conseil et de postuler pour un poste d'aide-enseignant. Après avoir surmonté un dernier obstacle – à savoir sa timidité au moment de rédiger un CV pour la première fois de sa vie, un CV pas particulièrement brillant dans la section "expérience professionnelle" il se rend à un entretien et obtient un poste immédiatement.

« Je suis sorti et j'ai pleuré. J'ai appelé ma mère et je lui ai dit, "J'y suis arrivé ! J'ai obtenu un poste dans une école !" Elle lui a répondu, "Je suis si fière de toi". Et j'ai dit, "Mon Dieu maman, tu ne m'as encore jamais dit ça !" »

« C'était la plus belle chose de ma vie, retourner à l'école et aider les enfants. »

Des gens sont venus et m'ont demandé pardon

Il s'est ensuite mis à écrire son autobiographie, Black and Blue, aujourd'hui célèbre. Publiée en 2008, elle a reçu le prix de la meilleure autobiographie aux British Sport Book Awards.

Aujourd'hui il gère Motivate To Change, organisant des ateliers de travail dans les écoles, les groupes locaux et les prisons. On peut l'apercevoir régulièrement à Stamford Bridge, à signer des autographes et à attirer l'attention des supporters, jeunes comme vieux. Certains viennent même demander pardon.

« Des gens sont venus me demander pardon, et je ne savais pas trop comment réagir. Lors d'un match de Ligue des champions, un mec est venu et m'a dit, "Écoute, j'étais l'un de ceux qui te balançaient des insultes racistes. J'étais avec mon père, et je faisais comme mon père parce que je n'y connaissais rien. J'ai été stupide. Mais je t'assure que mes enfants reçoivent aujourd'hui le bon exemple, je voulais demander pardon." C'est fort, après tant de temps de venir dire ça. »

Après autant de progrès, l'épisode du métro parisien doit avoir l'air d'autant plus exaspérant de son point de vue. S'il admet avoir été blessé par l'incident, il est impossible pour quelqu'un ayant été témoin d'un tel changement dans l'approche du foot par rapport au racisme, et de la vitesse avec laquelle Chelsea a réagi, de ne pas remettre les événements en perspective.

« C'était perturbant d'apprendre ce qui s'est passé là-bas, à cause du travail que je fais et le travail que Chelsea a réalisé tout au long des années [dans la lutte contre le racisme]. Les choses ont changé et c'est bien. Par rapport à cet incident dans le métro, je me demande s'ils sont des vrais fans de Chelsea. Quoi qu'il en soit, ça ternit l'image du club, mais Chelsea a rempli son rôle, ils n'ont pas trainé des pieds, ils ont essayé de gérer l'affaire. »

Malgré tout, Canoville est toujours un ardent supporter du club (il signe sa correspondance "Canners CFC"). En le voyant serrer la main d'innombrables fans de la tribune Fulham Road avant les matches, je lui demande s'il a enfin trouvé l'accueil et l'affection qu'il a cherché toute sa vie. « C'est agréable d'être reconnu », me répond-il en souriant.