Dans « Kona », le Québec n’a jamais été aussi flippant

FYI.

This story is over 5 years old.

Gaming

Dans « Kona », le Québec n’a jamais été aussi flippant

Qui aurait pu parier qu’un jeu vidéo où tout le monde parle québécois pourrait être une telle réussite ?
Paul Douard
Paris, FR

Cela fait déjà plusieurs minutes que je conduis mon vieux pick-up Chevrolet sur une route complètement enneigée. Je n'y vois pratiquement rien, et il n'y a apparemment aucune présence humaine dans cette région reculée du nord du Québec. Mais derrière le battement de mes essuie-glaces, j'aperçois au loin une vieille station essence qui semble à première vue déserte. Je descends du pick-up et entre dans le bâtiment. Aucune lumière. En attrapant ma lampe torche, j'aperçois immédiatement un homme allongé sur le sol, visiblement mort. Il s'agit de l'homme que j'étais censé rencontrer. Mon enquête démarre ici.

Publicité

Dans Kona – qui signifie « neige » en cri des plaines –, vous incarnez Carl Faubert, un détective privé envoyé en mission par un riche industriel du coin. L'enquêteur a pour objectif de lever le voile sur de mystérieuses disparitions ciblant plusieurs habitants de la région (fictive) d'Atamipek Lake au Québec. Si le scénario débute comme un polar classique, le charme de Kona réside avant tout dans son atmosphère. Le jeu prend place en 1970 dans une contrée rurale entourée de forêts. Les décors et les menus d'actions s'articulent quant à eux autour d'un look rétro particulièrement plaisant, le tout étant souligné par une bande originale composée par un groupe local, Curé Label. Tout est là pour vous plonger rapidement dans un univers mystérieux – et profondément québécois.

Toutes les photos sont publiées avec l'aimable autorisation de Parabole Studio.

Dès les premières minutes, le personnage principal se retrouve confronté à un étrange blizzard particulièrement réaliste qui alourdira considérablement l'ambiance du jeu. Jean-François Fiset, l'un des membres du studio de développement Parabole à l'origine du jeu, m'a expliqué par e-mail comment ils avaient pu travailler ce cadre : « Étant tous natifs du Québec, les environnements se rapprochent beaucoup de ce que l'on connaît et des endroits que nous avons visités dans nos vies. Nous avons complété le tout avec de la recherche (notamment pour les éléments d'époque) pour présenter un environnement des plus authentiques. »

Publicité

Au milieu de cette violente tempête de neige, il vous faudra survivre avant même de pouvoir enquêter. Le froid sera rapidement votre pire ennemi et faire régulièrement du feu vous sauvera la vie. Néanmoins, cet aspect survie reste assez mineur et se matérialisera simplement par un inventaire limité et la nécessité de ne pas rester trop longtemps dans le froid. Ici, la survie n'est donc pas là pour sanctionner le joueur, mais plutôt pour crédibiliser le cadre pesant du grand nord québécois – pour mon plus grand plaisir. J'ai toujours détesté les jeux où votre personnage meurt si vous avez le malheur de ne pas lui faire boire de l'eau toutes les 15 minutes.

Ensuite, il s'agira pour vous d'explorer cette région et d'en fouiller les moindres recoins, des poubelles aux coffres de voitures en passant par toutes les maisons entourant le lac gelé afin de trouver un maximum d'indices sur ces disparitions et l'histoire des protagonistes. Le craft sera bien sûr de la partie, car il faudra réparer certains objets pour accéder à de nouveaux indices et ainsi poursuivre l'aventure. Là encore, rien de bien complexe mais l'ensemble reste très cohérent. Il n'y a pas d'énigme où il vous faudra mettre une pierre carrée dans un trou carré pour ouvrir une porte en haut d'une montagne. Il n'y a pas non plus de choix cornélien entre une porte rouge et une porte bleue. En un mot comme en cent – ce jeu n'est pas « chiant ». Au fil de votre enquête, vous croiserez des loups menaçants et quelques personnages vivant en autarcie dans une cabane perdue au fond de la forêt, personnages qui sont à la fois susceptibles de vous assister et de vous attaquer. Si l'atmosphère du titre ne vous intéresse toujours pas, sachez que votre personnage sera régulièrement pris d'hallucinations – à moins qu'il n'ait affaire à des évènements surnaturels ?

Publicité

Le charme de Kona se situe également dans son aspect très narratif. À la manière d'un Firewatch, vous serez toujours accompagné d'une voix – non pas celle d'une collègue comme dans le jeu de Campo Santo, mais bien d'une narration à la troisième personne (par Guy Nadon) qui vous racontera l'histoire pendant que vous la vivez. Jean-François Fiset m'a expliqué leur démarche : « Puisque l'histoire est l'élément central de Kona, nous voulions un narrateur pour la raconter – un peu comme le ferait un conteur autour d'un feu. »

Je préfère vous le dire tout de suite : oui, cette voix a logiquement un fort accent québécois – comme tous les protagonistes. Si cette narration sert surtout à mettre en avant l'ambiance et l'histoire personnelle de tous les personnages, elle sera aussi là pour vous aider. Par exemple, si vous n'avez pas entièrement fouillé un lieu, la voix vous glissera : « Carl avait sans doute perdu son sens de détective en quittant la maison si précipitamment. » Le narrateur n'est jamais trop intrusif et permet à la fois de donner un background aux personnages et de prendre du recul sur l'action, comme me l'explique Jean-François Fiset : « Ceci permet au joueur de se détacher du personnage principal pour mieux apprécier ce qu'il se passe autour de lui. »

Si Kona est selon moi une franche réussite, c'est aussi à la vue de son studio de développement, Parabole Studio. Le studio a été fondé à Québec en 2012 par Alexandre Fiset, Étienne Lemieux et Maxime Charbonneau. L'aventure du jeu Kona a démarré en 2014, grâce à Kickstarter. C'est aujourd'hui une équipe de seulement six personnes et un budget de 700 000 euros qui se trouvent derrière le projet, ce qui n'est rien pour une industrie comme celle du jeu vidéo. Cela permet de se rappeler à quel point le jeu indépendant a de beaux jours devant lui. OK, le moteur du jeu Unity ne fait pas des merveilles, mais ce n'est pas ce qu'on demande à Kona. OK, la durée de vie du jeu se situe entre huit et dix heures. Mais honnêtement, c'est pratiquement le double d'un Call of Duty, non ?

Suivez Paul sur Twitter.