Ouf, les vagins de vache ne sont pas au programme cette année. C’est la première chose que j’ai vérifiée en parcourant la liste des hot-dogs participants. Lors de la précédente édition du Top Dog Hotdog, un mec avait cru bon mélanger ça avec des couilles de taureaux.
J’ai donc poussé un petit soupir de soulagement quand j’ai compris qu’il n’avait pas réitéré cette « prouesse » culinaire pour en faire une sorte de rendez-vous régulier. Les sept saucisses que j’allais ingurgiter en tant que juge de la compétition étaient composées d’agneau frit ou de langoustines crues. Aucune trace d’appareil génital de bovins.
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Je ne peux pas dire que j’étais totalement rassurée pour autant. Ma place au sein du jury me semblait être une imposture. Le Top Dog est considéré (officieusement) comme LA Coupe du monde du hot-dog, Crée par le critique culinaire Øle Troelsø, il fait partie du Copenhagen Cooking Festival, un évènement culinaire annuel qui a lieu dans la capitale danoise et attire des centaines de badauds.
Il met aux prises une poignée de chefs venus des quatre coins du monde. Les bénéfices du festival sont reversés à l’ONG CARE, une association humanitaire. C’est notamment pour être solidaire avec cette cause que j’ai accepté de rendre un jugement objectif sur quelques saucisses.
Des centaines de personnes vous matent alors que vous êtes délicatement en train d’enfourner un objet à la forme phallique dans votre bouche.
Ce qui ne m’empêche pas – moi, modeste journaliste dont les écrits tendent plutôt à parler de célèbres chefs ou d’obscurs pêcheurs andalous – de me sentir particulièrement sous-qualifiée pour ce job.
À l’exception de Troelsø, qui bosse dans la presse, tous les autres juges sont des chefs. Et pas n’importe lesquels. Genre le haut du panier. Anne-Sophie Pic, Rasmus Kofoed, Dominique Crenn – des gens qui ont construit leur réputation et accumulé les étoiles Michelin à la force de leur palais.
J’ai aussi appris que les Danois prenaient leurs hot-dogs très très au sérieux. Qui suis-je, pauvre Américaine élevée à la saucisse Oscar Mayer ou à celle Hebrew National, pour leur dire ce qui est bon à manger ou ne l’est pas ? Est-ce que j’allais être capable d’exprimer un avis ? Et est-ce que j’allais être capable de m’enfiler sept chiens chauds ?
À l’exception de quelques journalistes, tous les autres juges sont des chefs. Et pas n’importe lesquels. Genre le haut du panier. Anne-Sophie Pic, Rasmus Kofoed, Dominique Crenn.
Mon anxiété ne s’est pas atténuée quand Troelsø nous a accompagnés jusqu’à la table des jurés. Une feuille à remplir attendait chacun de nous – on y trouvait un espace dédié aux notes sur la présentation, le goût et l’innovation.
À côté de nous, une pile de plats permet au juré de savourer un hot-dog qui n’a pas été contaminé par le consommateur précédent. Il y a aussi de l’eau pour se laver le palais, de la bière pour s’ouvrir l’appétit et du schnaps, probablement pour se donner du cœur à l’ouvrage. « Wow », dit Crenn avec son accent français. « This is serieuse ».
Des chants inuits ont résonné. Du saké japonais a été servi – deux attentions qui avaient pour but d’influencer le jury je présume. De manière à éviter d’être trop pleine et, du coup, incapable de remplir mes tâches, je me suis limité à trois bouchées pour chaque hot-dog.
Alors OK, j’ai peut-être subrepticement jeté un œil aux scores de Dominique Crenn – mais juste pour m’assurer que je n’étais pas trop larguée.
Mais il ne m’a pas fallu très longtemps pour réaliser que, au milieu de mes angoisses, j’avais complètement zappé une des choses les plus humiliantes et les plus évidentes liées à la fonction de juge d’un concours de hot-dogs.
Des centaines de personnes vous matent alors que vous êtes délicatement en train d’enfourner un objet à la forme phallique dans votre bouche. Je m’en suis rendu compte au moment où un peu de rémoulade a giclé dans mes cheveux.
Au début, ne sachant pas très bien comment mesurer la qualité des produits et sur quelle échelle, je ne savais pas comment évaluer chaque entrée. Est-ce que cette émulsion d’estragon est une bonne chose ? Est-ce que ce jambon en poudre compte comme une innovation ?
J’ai peut-être subrepticement jeté un œil aux scores de Dominique Crenn – mais juste pour m’assurer que je n’étais pas trop larguée. (Kofoed, ce lèche-cul, conservait ses notes à l’abri des regards.) Ma plus grosse crainte – celle de ne pas être assez calée pour distinguer le meilleur hot-dog – s’est vite dissipée. Je n’aurais pas dû m’inquiéter. À la fin, c’était même facile.
Le hot-dog préparé par le chef Hideto Takeda, du restaurant Ichimatsu à Osaka, était incroyablement juteux. Une saveur intense s’en dégageait, bien aidée par le cœur et le foie de poulet servis dans un bun brioché cuit avec du miso et du soja, recouvert d’une grosse cuillerée de mayo japonaise et d’une pincée de cébette.
Il avait bon sur toute la ligne : umami, épice, douceur et funk. J’aurais su que c’était le gagnant même sans voir Pic, qui jusqu’ici s’était contentée de prendre quelques bouchées des hot-dogs, l’engloutir.
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Quand on a annoncé le vainqueur, Takeda et son équipe – composée des locaux Mads Battlefed et Henrik Levinson du restau Hjemme – ont réagi avec le genre de comportements que j’associe généralement avec le Super Bowl : cris, chest-bumps et claques sur le cul.
À ce moment, et contre toute attente, je me suis sentie plutôt épanouie de m’être rempli de saucisses. Ils avaient l’air si content et tout avait l’air si Danois. Cela valait carrément l’humiliation, l’exhibitionnisme culinaire, les angoisses et le syndrome de l’imposture du hot-dog. Et peut-être même quelques vagins de vache.