Les Américains sont hors concours dès qu’il s’agit de consommer des protéines à outrance, et le barbecue est encore le moyen le plus direct pour y parvenir. Historiquement, en France, la cuisine « outdoor » n’est pas une religion, ni un moyen d’affirmer la puissance d’une nation, mais plutôt un moment convivial, souvent pratiqué en famille le dimanche, pour échapper à la routine quotidienne.
Ce qui est sûr, c’est qu’on ne grille pas dans la même catégorie. Pour preuve, quand la plus importante fédération américaine — la Kansas City Barbeque Society — compte 50 000 membres, le compteur de la modeste Fédération Française de Cuisine en Extérieur ne dépasse pas les 600 pratiquants. Crée par Jean-François Dupont en 2011, elle a donné naissance au Camargue BBQ Festival qui se déroule chaque année aux Saintes-Maries-de-la-Mer, pays des taureaux de camargue, des moustiques, des marécages et aussi — il faut croire — de la viande qui grésille sur le grill.
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Je dois avouer qu’à mon arrivée sur les lieux de la troisième édition du festival, la musique country, les chapeaux et les quelques paires de santiags croisés çà et là m’ont un peu déstabilisé. Très vite, j’ai compris que tout cela n’était qu’un microcosme de circonstance, comme un environnement éphémère installé là, sur la place de l’hôtel de ville au milieu de restaurants traditionnels qui servent des spécialités plus locales comme la gardianne de taureau, la brandade de morue ou les moules de Bouzigues.
C’est ici que le Camargue BBQ festival a posé ses barbecues, sous une chaleur insoutenable et les 250 degrés que produit la vingtaine de grill en action. Le résultat : une véritable fournaise où les litres de sueurs dépensés n’ont d’égal que les litres de bières ingurgitées par les 8 000 visiteurs.
Pour le visiteur lambda, le Camargue BBQ festival est un moyen de venir en repérage, d’apprendre des techniques de cuisson, mais surtout de manger à l’oeil. Car au-delà de la compétition qui oppose 160 équipes dans 7 catégories – porc, poisson, poulet, agneau, boeuf, taureau et légume – le festival est un formidable moment de partage, où chacun peut venir se servir dans les assiettes des autres sans que cela soit mal interprété, ou sans passer pour un profiteur. Une gratuité rendue possible grâce aux partenaires locaux qui ont gracieusement alimenté la population pendant deux jours de près d’une tonne de viande.
Pour Jean-François Dupont, l’organisateur, il n’y avait pas meilleur endroit pour un tel événement : « la camargue est une terre d’élevage, prédestinée à être grillé ou braisé. Quand j’étais petit, on pouvait faire des barbecues sur la plage de Beauduc, maintenant c’est interdit. Le barbecue est une forme de liberté dans une société pleine de contraintes et d’interdits. Ici, chacun croit être le roi du barbecue. »
Je n’ai, pour ma part, jamais eu ce genre de croyance et avant de comprendre que le festival du barbecue n’avait rien d’un running gag, j’ai cherché à comprendre quelles motivations pouvaient animer les participants – je pense à une équipe en particulier, venue de Polynésie, qui a parcouru la moitié de la planète — pour finir ici, torchon sur l’épaule et spatule à la main, comme dans leur propre jardin.
« Ici, tout le monde croit être le roi du barbecue »
Néanmoins, trois types de profil se dégagent clairement. Il y a d’abord ceux qui s’entraînent depuis des semaines, « les brutes du barbecue qui finissent souvent champion » précise Jean-François. Il y a ceux, un peu trop sûrs de leurs talents derrières les charbons, à qui on a trop souvent dit qu’ils étaient, justement, les rois du barbecue. Et enfin, il y a ceux qui sont là un peu par hasard, par curiosité, par passion ou « Pour le fun », comme avance l’organisateur.
Chaque équipe qui concourt pour l’un des six grands prix décernés est composée d’un à cinq membres. Leurs noms ? les Picador Grill Heroes, la Team Galinette, les Ouf Tis, ou la Mère Poule qui a concouru dans trois catégories : boeuf, taureau et agneau. Son chef , Bruno, originaire de l’Oise, n’est pas venu pour faire de la figuration. « On est là pour la compétition. » À ses côtés, son commis s’est présenté à moi de cette façon : « moi, dans la vie, je fais des terrasses. »
Plus loin, Gérald et Lee-Joy, deux Martiniquais étudiants à Paris, ont attiré l’attention des visiteurs qui faisaient la queue pour goûter leur préparation, un savant mélange sucré salé. Sur leur grill, des épluchures d’oignon, du persil, du thym, de la peau de melon, « tous les déchets qui apportent de la saveur à la viande. » précise Gérald. Dans le public, Sylvain, pêcheur retraité de 85 ans, n’est pas très attentif : « ma femme, elle a morflé. À 50 ans, elle était belle encore. »
Après deux jours de compétition, un jury a délibéré pendant un long moment afin de déterminer qui avait respecté les cinq critères primordiaux du barbecue idéal : le goût, la cuisson, l’originalité, la présentation du plat et la propreté de l’espace de travail. Et si l’égalité est parfaite : « alors le look entre en jeu. Il faut que cela soit visuel ». Le marquage du grill sur la viande est un aspect à ne pas négliger. Le pire ? « c’est quand c’est sec, brûlé et sans saveur. Il faut garder le côté juteux et tendre de la viande. »
Parmi les gagnants, deux équipes ont raflé les prix les plus prestigieux. Les Kaupenui, venus de Polynésie, sont repartis avec le prix du public pour leur burger au saumon mariné à la liqueur d’ananas, enrobé de coco et accompagné d’un carpaccio d’ananas à la vanille et au citron vert. « On n’est pas sur du chipolata classique » précise Teheiura. Mais la grande gagnante est incontestablement la Team Galinette, intronisée Grill Master 2015 pour avoir remporté le plus de points toutes catégories confondues. Thierry, Anthony et Sebastien avaient bossé : « Sept week-ends de préparation. On s’attendait à être sur le podium. » Leurs plats : un poulet farci et désossé avec un boudin noir introduit à l’intérieur avec une technique de couture « spéciale bridage ». Avec ça, une pomme au four, un chutney de figue et des frites de polenta. En catégorie légume, l’équipe avait proposé des tuiles au parmesan avec du poivron grillé farci et un duxelle de champignon, ainsi qu’une ratatouille confite dans une feuille de brique grillée et un risotto crémeux dans une feuille de chou rôti.
Pas d’argent à gagner, seulement des barbecues. Pour Jean-François Dupont, l’essentiel n’est pas là : « La motivation est dans le titre et la compétition. » Des concours comme celui-ci existent dans tous les coins de l’Amérique. En France, il est le seul, même si son organisateur souhaite le dupliquer dans le Sud-Ouest, le Lot-et-Garonne, la Rochelle, Nancy. Bref, partout où ça grille.
Baptiste écrit des articles et grille des chipolatas à plein-temps dans le Sud de la France. Il est sur Twitter.