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Dans le bar de l’aristo espagnol qui faisait l’apologie de la Corée du Nord

Quand je débarque devant le Pyongyang Café à Tarragone en Espagne, la porte est fermée à clef. Il n’y a pas un chat dans les rues alentour. Je sonne à plusieurs reprises mais personne n’ouvre. Il est visiblement trop tôt. Seule présence notable, une caméra de sécurité me fixe avec son œil unique et vide. Qui pourrait se douter que, derrière cette entrée discrète, dans un coin banal d’une petite ville tranquille de Catalogne, se trouve un café en l’honneur de la Corée du Nord ?

Le propriétaire de cet endroit étrange, Alejandro Cao de Benos, 43 ans, est originaire de Tarragone. Il est aujourd’hui une des rares avocats du régime nord-coréen en Europe. Alejandro a ouvert le Pyongyang Café en 2016 pour ceux qui s’intéressent à ce qui est devenu son pays d’adoption.

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Alejandro vient d’une des plus grandes familles aristocratiques d’Espagne et pourtant, malgré cet héritage, il a passé l’essentiel de sa vie à défendre le communisme. « Marx et Ho Chi Minh venaient tous les deux de milieux aisés », m’expliquera-t-il plus tard. « C’est grâce à leur éducation et leur statut privilégié qu’ils ont réussi à comprendre la société et voir où était la vérité. » À 15 ans, il est devenu le secrétaire du Collectif de la Jeunesse Communiste de Grenade. Un an plus tard, il annonçait son désir de partir vivre en Corée du Nord.

Après avoir pris une bière avec moi dans un bar du quartier, Alejandro m’ouvre enfin sa porte. Petit et potelé – un peu comme Kim Jong Un – il est bien habillé, poli et apparemment volontaire (enfin pas trop gêné quoi) pour s’expliquer devant un journaliste suspicieux venu d’une publication occidentale.

Nous marchons jusqu’au bar, vide. À l’intérieur, un drapeau géant de la Corée du Nord est peint sur le mur. Dans un coin, une petite bibliothèque est remplie de livres des leaders de la dynastie Kim et de journaux coréens publiés en anglais.

En Corée du Nord, l’accès à la nourriture et au monde du travail est bien plus facile que dans de nombreux pays occidentaux.

Au bar, les étagères sont remplies de thé au ginseng nord-coréen. Alejandro m’explique qu’il s’agit de la boisson la plus consommée du pays. « Le café gagne en popularité mais il est encore rare. »

J’avais déjà goûté du thé au ginseng et son goût métallique et amer ne me plait pas des masses. J’ai donc demandé s’il était possible de goûter une petite bière de là-bas. Au-dessus des paquets de thé aux couleurs vives, je n’ai vu que des bouteilles de bières sud-coréennes, japonaises, thaïlandaises et espagnoles. Alejandro ne peut me servir de bière nord-coréenne. « À cause de l’embargo commercial de l’ONU sur les produits de luxe, on ne peut importer aucune bière de Corée du Nord. L’alcool est considéré comme un produit de luxe », se justifie-t-il.

Alejandro me révèle que son café ne propose pratiquement aucun produit nord-coréen, à cause des difficultés à l’importation selon lui. Cela explique pourquoi le reste des étagères est rempli de ramen japonais et de kimchi sud-coréen. Je ne suis jamais allé en Corée du Nord mais ce café me rappelle les magasins pour touristes approuvés par le régime que j’ai pu voir dans des documentaires : des endroits où les étrangers peuvent acheter des produits inaccessibles à la population locale.

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Un autre élément qu’on ne trouve pas au Pyongyang Café, c’est la bouffe nord-coréenne. J’espérais bien goûter quelques plats du pays le plus isolé du monde, mais Alejandro n’a pas obtenu l’autorisation pour installer le système de ventilation obligatoire pour ouvrir une cuisine. Cette absence de nourriture me rappelle les pénuries alimentaires que connaît le pays et dont on parle dans les médias. Mais Alejandro ne voit pas l’ironie de la situation. « L’accès à la nourriture et au monde du travail est bien plus facile que dans de nombreux pays occidentaux », soutient-il. Alors que nous nous trouvons dans ce bar vide de tout ingrédient nord-coréen, je commence à penser que pour un centre censé montrer le « vrai » visage de la Corée du Nord, ça manque un peu de Corée. Mais une fois encore, en racontant la Corée du Nord plus qu’en la montrant, ce café ne semble finalement pas si différent des expériences touristiques nord-coréennes.

La démocratie en Occident est tout aussi oppressive que n’importe quel régime totalitaire. La seule différence est qu’elle prétend donner la liberté

Tout comme la ville dont il tire son nom, le Pyongyang Café ne croule pas sous les visiteurs. Mais Alejandro a une explication à cela : « La semaine dernière, des néo-Nazis ont débarqué. Ils ont fait semblant de s’intéresser à la Corée du Nord et puis subitement, ils se sont mis à casser des chaises en hurlant des ‘Viva Franco !’ (en référence au dictateur fasciste qu’a connu l’Espagne). À présent, nous faisons une sélection à l’entrée. » Mais avant cet événement, De Benos affirme que le bar accueillait environ trente-cinq personnes par jour venues du monde entier.

Aux yeux d’Alejandro, la Corée du Nord est la forme la pure du communisme. Son intérêt pour le pays a commencé lorsqu’il a rencontré des familles de diplomates vivant et travaillant pour le régime. Après y avoir voyagé, Alejandro a découvert une société dans laquelle il se retrouvait ; une société aux hommes politiques forts, habitant dans les mêmes appartements que les mineurs fonctionnaires, une société dans laquelle tout était partagé et tout était fourni par l’Etat. « Le pays est comme une grande famille, tout le monde s’occupe de tout le monde. Le concept de succès individuel n’existe pas. » Il oppose ce modèle à la société occidentale dans laquelle, selon lui, la superficialité est reine et où la culture met l’accent sur la satisfaction de faux plaisirs grâce à un matraquage publicitaire vantant des biens et des services inutiles. Selon lui, l’Occident est tellement absorbé dans la réalisation personnelle que personne ne remarque les manipulations politiques. « La démocratie en Occident est tout aussi oppressive que n’importe quel régime totalitaire. La seule différence est qu’elle prétend donner la liberté. »

En Corée du Nord et grâce à l’aide de son père adoptif et homme politique important, Lee Jong-un, Alejandro s’est fait des contacts au gouvernement (il prétend connaître Kim Jong-un). Son travail de défense du communisme à être reconnu en 2002 par feu Kim Jong-il qui lui a attribué le titre honorifique de Représentant Spécial du Ministère des Affaires Étrangères de Corée du Nord.

J’ai perdu du boulot et des amis, non pas à cause de mon comportement mais parce que les gens ne voulaient pas être associés à mon nom

L’une des choses qu’Alejandro préfère en Corée du Nord, c’est le fait que les relations humaines ne sont pas gangrénées par l’argent ou la réussite sociale. « Dans beaucoup de sociétés capitalistes occidentales, la plupart des couples ne partagent même pas leurs comptes en banque, ils signent des contrats de mariage. Ça ne viendrait même pas à l’idée d’un Coréen de posséder des choses qui ne soient pas aussi à leur partenaire. »

En l’an 2000, il a fondé l’Association des Amis de la Corée (KFA) et il affirme qu’elle compte aujourd’hui 15 000 membres dans le monde entier. Grâce à l’association, il organise des voyages en Corée du Nord ainsi que d’autres activités culturelles pour les étrangers intéressés. Il a également commencé à donner des discours lors de différents congrès communistes en Europe, défendant le régime à coups de tribunes et de posts sur les réseaux sociaux. Sa dernière trouvaille, le Pyongyang Café, est censée être à la fois un quartier général pour son travail et un centre pour promouvoir la Corée du Nord en parlant de la cuisine et des traditions du pays, en projetant des films connus en Corée du Nord et en faisant des interventions sur le tourisme là-bas.

« À cause de mes opinions, ma vie dans la société d’ici est devenue difficile », me confie-t-il. « J’ai perdu des boulots et des amis, non pas à cause de mon comportement mais parce que les gens ne voulaient pas être associés à mon nom. »

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La seule chose qu’il aime, c’est son travail. Pas celui qui lui fait gagner de l’argent en tant que consultant informatique mais celui qui lui fait promouvoir ses idéaux. « C’est pour ça que je fais tout ça, » dit-il en montrant le café d’un geste. « Je veux briser la manipulation gouvernementale faite ici autour de la Corée du Nord. Je veux organiser des conférences et des débats ouverts à ceux qui sont intéressés et voudraient poser des questions dans un environnement détendu et en sirotant du thé coréen au ginseng. »

Alejandro insiste sur le fait qu’il n’est pas là pour convertir ou endoctriner. Il veut simplement offrir une vision de la Corée du Nord qui diffère de celle véhiculée dans les médias occidentaux. Et il continuera d’obéir aux ordres de son commandant suprême jusqu’à ce que le pays lui offre une retraite et un appartement loué à l’État dans la capitale.