Dans le premier camp humanitaire de France : un « anti-Calais » en construction

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Jusqu’au début du mois de mars, le « camp de Grande-Synthe » faisait référence à un marécage glacial planté de tentes et d’immondices, situé non loin du port de Dunkerque (nord de la France). Plusieurs milliers de migrants — des Kurdes pour la plupart — y vivaient depuis l’automne dernier dans des conditions extrêmement difficiles. On parlait d’un camp « pire » que celui de la « Jungle » de Calais. Fermé depuis mercredi dernier, ce camp insalubre a laissé place à un nouveau lieu d’accueil, fondé par Médecins Sans Frontières et géré par des associations, où les migrants de la zone se sont installés par centaines en l’espace de quelques jours, et dans le calme nous dit-on.

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Ce dimanche matin, dans ce lieu baptisé « camp de la Linière », plus d’une centaine de bénévoles s’employaient à construire ce que certains appellent déjà un « anti-Calais ».

Premier camp humanitaire aux normes internationales en France

Aux abords du rond-point qui mène à ce camp, trois bénévoles, un foulard bleu noué autour du bras, filtrent les voitures à l’entrée de la « Linière ». Coincée entre l’autoroute A25 et une zone industrielle, cette friche de 5 hectares est en travaux depuis près de deux mois.

On y stockait autrefois du lin, qui servait au tissage des vêtements. On y loge désormais plus d’un millier de personnes, dont de nombreuses familles kurdes ayant fui l’Irak et la Syrie. Dans les baraquements en bois construits par l’ONG Médecins Sans Frontières (MSF), ces migrants bénéficient d’un chauffage et dorment à même le sol, un confort certes rudimentaire, mais à des années-lumière des tentes de camping humides et rafistolées où ils dormaient depuis plusieurs mois.

Le camp de Grande-Synthe photographié en janvier dernier. (Phil Caller / VICE News)

À lire : Dans la boue et le froid, l’espoir d’un camp humanitaire à Grande-Synthe

Annoncé depuis plus de deux mois, ce camp a vu le jour il y a une semaine grâce aux financements de MSF — 2,6 millions d’euros — et de la ville de Grande-Synthe, qui a investi 500 000 euros dans l’opération. De fait, il s’agit du premier camp humanitaire de France, car géré par plusieurs collectifs européens dont Utopia 56. La police s’y rend au moins une fois par jour, pour effectuer des « rondes rapides » nous racontent des bénévoles.

Sur l’un des parkings qui bordent cette friche, les voitures et camionnettes immatriculées aux Pays-Bas, en Belgique et en Grande-Bretagne se comptent par dizaines. Il est un peu plus de 10h00 ce dimanche matin, et les propriétaires de ces véhicules sont à pied d’œuvre à l’intérieur du camp. Certains sont hissés en haut d’une charpente en construction, d’autres sont penchés vers le sol, pour ramasser les déchets et autres sacs qui jonchent les allées depuis le déménagement des migrants quelques jours plus tôt.

Seul héritage de l’ancien camp de Grande-Synthe, des paires de bottes maculées de boue qui sèchent devant les cabanons.

À l’arrière des cabanons, des migrants construisent des extensions pour y entreposer des affaires. (Pierre-Louis Caron / VICE News)

« L’ancien camp, très mauvais souvenir », nous dit Majid, un Iranien âgé de 35 ans qui discute avec deux bénévoles irlandais. Grâce au dialogue initié par les associations, le déménagement des quelque 1 300 migrants s’est fait sans heurts nous disent les associatifs, et sans intervention de la police. Loin de ce que l’on a vu ces derniers jours à Calais, à quelques kilomètres de là.

Dans la presse locale de ces derniers jours, les camps de Calais et de Grande-Synthe sont décrits comme des exemples diamétralement opposés. Les conteneurs surveillés et le système d’identification par empreinte de la main mis en place à Calais ont souvent été critiqués par les associations, certains expliquant que ces dispositifs dissuadent les migrants. Des bénévoles et associations ont également dénoncé le démantèlement musclé d’une partie de la « Jungle » qui a eu lieu ces dix derniers jours.

À lire : Reprise de la destruction musclée d’une partie de la “Jungle” de Calais

Pour Majid et ses compagnons d’infortune, la boue et le froid appartiennent désormais au passé. Le nouveau camp humanitaire comprend plusieurs zones aménagées, avec des blocs de douches et des toilettes. Des rangées de bungalows en bois sont disposées de part et d’autre de l’allée principale qui s’étend sur plus d’un kilomètre. Hissé sur l’un de ces cabanons, un drapeau du Kurdistan flotte au vent. Un décor qui ressemble finalement aux camps humanitaires que l’on peut trouver au Liban ou en Jordanie par exemple.

Visible depuis cette allée, un panneau de l’autoroute A25 nous rappelle toutefois que nous sommes en France, à 37 kilomètres de Calais et du Tunnel sous la Manche plus précisément.

« Angleterre, Royaume-Uni ». Cette réponse est dans toutes les bouches, lorsque l’on demande à ces migrants où ils veulent aller. Beaucoup ont de la famille là-bas, comme Mohammed, un Kurde d’une quarantaine d’années, qui a du mal à parler malgré un très bon niveau d’anglais. La faute à un mal de gorge tenace, que les 4 degrés affichés par le thermomètre ce dimanche matin n’arrangent pas vraiment.

« Je peux dire qu’on est mieux ici, les gens nous aident, c’est très bien », nous souffle-t-il entre deux quintes de toux. Il a les traits tirés, les yeux rouges, mais arbore tout de même un franc sourire.

« Anti-Calais »

Accroupi sur ce qui ressemble à une terrasse en bois, Ian, un Anglais d’une cinquantaine d’années, est occupé à prendre les mesures d’une porte, tout en coordonnant les quatre personnes autour de lui.

« Je ne les avais jamais rencontrés avant ce matin », nous explique-t-il en désignant ses collègues du jour. Cet artisan a posé trois jours de congés — de quoi réaliser trois abris espère-t-il — pour venir en France prêter main-forte aux bénévoles de ce camp.

« Demain ou mardi, j’aiderai pour un plus gros bâtiment, qui servira de double lieu de culte, une mosquée et une église sous le même toit », nous raconte-t-il. Une école et des points de rencontre devraient ouvrir dans les jours à venir, pour accueillir entre autres les nombreux enfants qui se trouvent ici.

Tout au bout de l’allée principale, l’un des derniers bungalows construits porte le numéro 267. À terme, le nombre d’abris en bois devrait être porté à 375 logements d’après le plan initial de MSF, soit de quoi loger environ 1 500 personnes. En attendant, certains migrants doivent donc patienter. Ils dorment sous des grandes tentes blanches plantées sur des graviers. Ces structures en tout genre sont parfois séparées par de larges espaces. D’après MSF et la ville de Grande-Synthe, ce camp pourrait en effet accueillir jusqu’à 2 500 personnes en cas de besoin, grâce à la surface restante.

Après une série de refus officiels qui ont bien failli tuer ce projet dans l’oeuf, ce camp humanitaire est pour l’instant toléré par l’État français. Suite au passage d’une commission d’experts le 7 mars dernier, le maire de Grande-Synthe a toutefois été sommé de mettre ce camp aux normes de sécurité, sous peine de fermeture du lieu d’accueil.

« Le cynisme d’État, lui, est désormais hors norme », ont alors répondu une dizaine d’associations impliquées de près ou de loin dans la gestion de ce camp.

« Ce n’est vraiment pas correct de la part du gouvernement, de venir pointer ces défauts maintenant, alors que cela fait des semaines que la construction a commencé », s’insurge un bénévole, qui souhaite rester anonyme. « Nous, ce qu’on fait ici, c’est un anti-Calais, un camp citoyen et non un camp policier. »

Un panneau de mise en garde dans le camp. (Pierre-Louis Caron / VICE News)

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À l’entrée du camp, quatre bénévoles français installés dans un food-truck distribuent du pain et de la salade de fruits. Tous âgés d’une vingtaine d’années, ils sont venus de Paris et de Rennes (ouest de la France) pour servir pendant deux jours la nourriture donnée par des familles ou des supermarchés des environs.

« Ce matin, nous sommes plus de 125 bénévoles sur le site », nous explique l’une d’entre eux. « On arrive à faire vivre le camp comme ça, c’est un changement de recette par rapport à ce qu’il y avait avant. »

Autrefois gardé par plusieurs camions de CRS, l’ancien camp de Grande-Synthe n’était plus qu’un cimetière de tentes vides et de bâches découpées ce dimanche. Certains migrants s’y sont aventurés une dernière fois, pour récupérer des affaires oubliées. Ce lundi, une pelleteuse stationnée là depuis plusieurs jours doit commencer son travail de nettoyage.


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