Tech

Dans le quotidien mouvementé des coachs d’esport

Ils oeuvrent dans l’ombre des joueurs. Pourtant, dans la galaxie esport, cela fait déjà quelques temps que les coachs se sont fait une place aux côtés des étoiles. À la fois tacticiens et psychologues, ces entraîneurs sont parfois la clé de voûte de leur équipe. Aujourd’hui, leur rôle fait presque l’unanimité mais les questions sur leurs missions sont nombreuses. Motherboard les a rencontrés pour leur poser une question plus compliquée qu’il n’y paraît : c’est quoi être coach dans l’esport ?

Ram Djemal a une réponse claire : « Être responsable du staff et de la progression de l’équipe. » Ancien joueur international, le jeune homme d’origine israélienne est désormais coach professionnel sur League of Legends (LoL). Plus connu sous le nom de « Brokenshard », il vient de rejoindre les rangs de l’équipe française GamersOrigin. Assisté par un chef d’équipe, il s’occupe de la planification des entraînements mais surtout de la stratégie de jeu. Il explique : « En Europe, ce n’est pas comme en Corée, où il y a un entraîneur principal et plusieurs coachs axés sur la stratégie, le développement, l’analyse… Le rôle de l’entraîneur principal ressemble plus à celui de manager, alors qu’ici on gère un peu tout. »

Videos by VICE

Pour Kevin « Shaunz » Ghanbarzadeh, ancien coach de la team Vitality (LoL) devenu ambassadeur gaming pour Orange, définir ce qu’est un entraîneur reste périlleux. Le statut n’existe que depuis quelques années et les références manquent. « Mais quand j’étais en fonction, précise-t-il, il y avait deux verticales : être coach de vie et coach tactique. La première consiste à former les plus jeunes, leur apprendre à se faire confiance, les mettre dans les meilleures conditions… Pour la partie tactique, c’est comme dans n’importe quel sport : formation sur les principes macro — prise de décision sur les maps — et micro — mécanique individuelle de jeu. Combiner la tactique et la technique, en quelque sorte. »

Kkoma, triple champion du monde sur League of Legends et entraîneur de la team SKT, en train de donner des consignes à ses joueurs (Riot Games).

José Mourinho pour les gamers

Les entraîneurs esportifs s’acquittent de nombreuses missions au quotidien. Brokenshard passe près de dix à douze heures par jour avec les membres de GamersOrigin. Il assure le respect d’un ensemble de règles de base concernant l’heure du réveil, le temps de sommeil et le déroulement de la journée d’entraînement. « On commence généralement les scrims (des parties d’entraînement privées, ndlr) vers 15 heures et on joue cinq ou six matches, détaille-t-il. Avant, je fais un point avec l’équipe pour leur rappeler ce sur quoi on a travaillé ces derniers temps. Ensuite, je reviens sur le présent : ce qu’on doit faire aujourd’hui et ce vers quoi ça doit nous amener demain pour que tous les objectifs soient clairs pour tous. »

Arthur « PM » Guillermet encadre l’équipe « against ALL authority » (aAa) sur Counter Strike : Global Offensive (CS:GO). Il rappelle que le coach esportif remplit aussi sa mission dans le feu de l’action, c’est-à-dire pendant les compétitions. Sur CS, par exemple, quatre pauses tactiques de 30 secondes sont autorisées par équipe et par map. Le coach doit utiliser ces moments au mieux pour influencer les matchs. « C’est comme un grand oral de l’ENA, mais en 30 secondes » plaisante l’ancien joueur, également commentateur et caster en parallèle.

« Tous les coachs ne sont pas forcément d’excellents joueurs. »

Pour mieux tracer les contours de ses missions, PM imagine que son équipe se trouve en difficulté pendant un match : « Tu vas rappeler les fondamentaux, dire aux joueurs de se calmer et de faire ce qu’ils savent faire. Ensuite sur des situations plus complexes où il y a un blocage, tu vas faire du « mind game » : tu vas prendre les rounds précédents en insistant sur les points faibles de tes adversaires. Le coach arrive comme un avis extérieur, dans le sens où il n’a pas la tête dans le guidon et peut donner des éléments de réponse lorsque le capitaine où les joueurs ne trouvent pas d’idées. »

Malheureusement, tous les coachs ne sont pas égaux face à leurs missions. Contrairement à Brokenshard, un professionnel à plein temps, PM est semi-pro. Une majorité de joueurs de l’équipe aAa, pourtant professionnelle, sont occupés par leurs études ou leur travail, ce qui se ressent sur le rythme d’entraînement. « C’est contraignant, reconnaît-il, on joue presque trop peu et je n’ai pas beaucoup de matière pour mon propre travail mais j’y arrive quand même. C’est juste plus long. Un coach pro n’a pas cette contrainte du tout. »

Photo des championnats du monde de League of Legends en 2012 au Galen Center de Los Angeles (artubr, Flickr)

Tous profils bienvenus

Quelles que soient ses méthodes et son rythme, le coach esportif doit être à la hauteur. Mais comment acquérir l’expérience nécessaire ? Faut-il avoir été un grand joueur pour prétendre au poste ? Là encore, les avis sont partagés. Shaunz a pu asseoir sa légitimité grâce à son passif de gamer : il a longtemps fait partie des 50 meilleurs joueurs d’Europe. Sa formation d’ingénieur lui a également transmis des bases en gestion de projet, en encadrement… Pour lui, la connaissance du jeu reste primordiale. « Un entraîneur de foot connaît le foot, détaille-t-il. (…) Si tu n’as pas une certaine légitimité, les joueurs peuvent se retourner contre toi quand ça ne va pas, te dire que tu n’apportes pas assez. La seule chose qui marche c’est d’avoir quelqu’un de complètement à l’extérieur, qui ne connaît presque rien au jeu. »

En effet, toutes les équipes ne disposent pas d’un coach venu du jeu vidéo. PM explique : « Astralis est l’une des plus importantes teams sur CS. Ils n’ont pas d’analystes, mais ils ont une psychologue qui a été recrutée pour l’encadrement moral des joueurs, et uniquement pour ça. Elle n’a aucune expérience dans le gaming. Ça reste une exception. » Ce n’est qu’après l’arrivée de cette psychologue, Mia Stellberg, qu’Astralis est parvenue à remporter un Major (la catégorie de tournois la plus prestigieuse de CS). Bien sûr, s’offrir les services de tels professionnels n’est pas à la portée de toutes les équipes. « Plus tu baisses de niveau, plus le coach va avoir de casquettes pour des raisons de moyens, rappelle PM. Et plus tu montes, plus tu auras une personne par poste. »

Fabien Bacquet, le manager de la toute jeune écurie Gentside Esports, est convaincu que les meilleurs vétérans ne font pas les meilleurs coachs : « Je ne pense pas que ce soit obligatoire d’avoir l’expérience. Dans d’autres sports, c’est aussi une affaire de compréhension. Tous les coachs ne sont pas forcément d’excellents joueurs. Je pense que ça facilite. Ceux qui n’ont pas un super niveau doivent aller gagner le respect, comme dans n’importe quel sport. Lorsque tu es un jeune entraîneur de foot, c’est pareil. Mais dans l’esport comme ailleurs tu as une finalité, un jugement, c’est le résultat. » Et pourtant, Gentside Esports a fait le choix de ne pas avoir de coach.

Un poste fragile

« Je l’ai toujours dit, rappelle Brokenshard. Ne pas avoir de coach, c’est mieux qu’en avoir un mauvais. » Fabien Baquet explique : « Aujourd’hui, même à un niveau qui ne le mérite pas, tout le monde veut avoir un coach. Je pense que c’est un effet psychologique. Pourquoi on n’en n’a pas ? (…) On considère qu’il y a trop de gens autour des équipes. La matière première vient des joueurs. Notre philosophie c’est d’aller à l’extrême : on part de la base, des cinq joueurs. J’essaie de les mettre dans les meilleures dispositions et on avance. » Reste que Gentside Esports réfléchit sérieusement à prendre un entraîneur. « On est arrivés à un niveau où on est la troisième équipe française, précise Fabien Bacquet. On veut aller gratter au-dessus. On souhaite qu’un des joueurs sorte de son rôle pour passer coach. Il a la confiance du groupe, il est du cru, il sait comment on fonctionne… »

Finalement, le coaching dans l’esport n’est pas si éloigné de son grand frère, le sport dit « traditionnel » : rôles multiples, missions exigeantes, pression importante… Les univers sont différents mais les mécaniques restent les mêmes. Et si le métier de coach n’est pas encore pleinement établi sur LoL ou CS, la jeunesse de la discipline esport n’est pas la seule responsable. Pas facile de faire émerger une stabilité de l’emploi d’entraîneur quand la réalité économique évolue aussi rapidement. Une série de contre-performances et vous prendrez probablement la porte. Comme les entraîneurs en bord de pelouse…