Depuis quelques mois, des chevaux, juments, poneys, mules ou encore des ânes, sont retrouvés morts un peu partout sur le territoire français et les causes de leur trépas sont loin d’être naturelles. Les équidés ont été assassinés et atrocement mutilés dans des circonstances qui relèveraient parfois d’un épisode de True Detective. Certains ont été égorgés, poignardés en plein cœur, ou encore assommés avec des briques. Puis, leur œil, museau, ou parfois même appareil génital ont été proprement sectionnés et retirés. Enfin, un détail vient relier cette dizaine de cas suspects : presque à chaque fois, l’oreille droite des bêtes a été soigneusement découpée et embarquée.
Cette semaine, un nouveau cheval est venu s’ajouter à cette sordide liste. À Saint-Colombe-du-Gand, pas loin de Saint-Étienne, un propriétaire découvrait vendredi dernier son cheval mort – sans traces de sévices. Il le déplace en bordure de pré pour faciliter la tâche de l’équarrisseur qui doit passer le récupérer. Sauf que le lundi matin, le propriétaire s’aperçoit que le cadavre du cheval a été mutilé. Son œil a été enlevé, son museau coupé et il lui manque une oreille. La droite.
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Comme à chaque fois, une enquête est ouverte – ici pour « vol et recel d’organes d’animaux » – et le dossier vient s’ajouter à la petite pile qui commence à se former sur les bureaux des agents de l’OCLAESP. Cet office de la gendarmerie nationale, dédié à la lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique, chapeaute la dizaine d’enquêtes gérées par les services locaux. « Logiquement ce nouveau cas devrait venir s’ajouter aux dix autres enquêtes sur lesquelles nous travaillons », éclaire le service communication de la gendarmerie nationale. Or, contrairement aux dix autres affaires de chevaux mutilés retenues jusqu’ici, la mutilation est survenue post-mortem. Une nouveauté.
« Une véritable volonté de porter atteinte aux équidés de manière générale tout en gardant une oreille en trophée » – Service central du renseignement territorial
Et ce détail ne fait pas seulement tiquer les services de police. « Ce dernier cas me pose problème : il semblerait que cela ait été fait en deux temps, s’interroge Claire Juillet. C’est la première fois que cela se produit, ou du moins la première fois qu’on s’en rend compte. » Responsable de la section cheval de la Coordination Rurale, un syndicat agricole, Claire Juillet travaille depuis quelques temps sur une carte où elle recense ces étranges meurtres de chevaux. Et pour elle, les mutilations n’ont pas commencé cet été. En 2013, Claire Juillet trouvait déjà la trace d’un premier cas et d’une oreille – droite – sectionnée. Depuis, elle en comptabilise une grosse trentaine.
Concernant la récente multiplication des cadavres d’équidés en 2020, la spécialiste reste prudente. « Quand je regarde les cas datant de cette année, j’ai l’impression d’en avoir de partout, mais est-ce une véritable accélération ? Est-ce qu’on n’a pas simplement plus de cas déclarés ? Est-ce que la médiatisation des affaires ne donne pas de mauvaises idées à d’autres ? » Claire Juillet s’est aperçue que pour plusieurs cas relevés les années précédentes, aucune plainte n’avait été déposée. Difficile donc de comparer les années.
« Je ne mène pas d’enquête, je laisse ça à la gendarmerie et à la police. Mais les professionnels du secteur me mettent au courant d’un certain nombre de choses, » pose-t-elle calmement, quoiqu’un peu décontenancée par ces affaires. Cette férue de cheval n’est pas du genre à s’emballer, ni à fomenter des théories farfelues. « Il faut prendre avec beaucoup de précautions ce qui se passe, pour éviter de rentrer dans un délire total. »
Si certaines pistes plus ou moins baroques – un « gang de tueurs de chevaux », des rites sataniques ou encore la sorcellerie – commencent à agiter le microcosme, ainsi que les médias locaux et nationaux, l’affaire est prise au sérieux. Le Service central du renseignement territorial (SCRT) a rédigé une note sur ces affaires. Note dans laquelle, la découpe parfaite de l’oreille pose tout autant question. Pour le SCRT, il y a « une véritable volonté de porter atteinte aux équidés de manière générale tout en gardant une oreille en trophée ».
Difficile pour le moment de dresser de véritables liens entre les affaires. « Ces faits touchent des animaux aux profils très variés et de partout en France », embraye-t-on du côté de la communication de la gendarmerie. En février dernier, Demon du Médoc, un trotteur de Vendée qui commençait à se faire un nom dans les hippodromes français subissait le même sort. Quelques jours plus tôt, c’était un cheval d’un lycée agricole de Moselle. Plus récemment, une jument dans un pré du Jura ou encore une pouliche d’un an et demi en Saône et Loire, lacérée au niveau de l’encolure et dont l’appareil génital a été mutilé. Sans compter les cas suspects relevés dans les pays limitrophes, comme la Belgique ou l’Allemagne, dont les services de police ont été contactés par l’OCLAEST afin d’envisager toutes les pistes.
« Ceux qui s’en prennent aux équidés en possèdent une connaissance pointue »
« Ce qui est étrange, c’est qu’il arrive que plusieurs cas surviennent dans un délai extrêmement court, dans des lieux très éloignés, » tâtonne Claire Juillet, en regardant sa carte. « Ce qui pourrait laisser penser qu’il n’y a pas qu’un seul groupe. » Ce que la spécialiste a aussi remarqué c’est qu’apparemment aucun cheval de trait n’a pour le moment été concerné, alors que tous les autres types d’équidés semblent avoir été visés. « Est-ce un hasard ou bien est-ce que le volume de l’animal est dissuasif ? Puisque dans l’ensemble, ce sont plutôt des animaux pas très grands qui sont concernés. »
Si Claire Juillet évite au maximum les suppositions, il y a bien deux choses dont elle est à peu près certaine.
La première est que ceux qui s’en prennent aux équidés en possèdent une connaissance pointue. Dans plusieurs cas, on s’est aperçu que les chevaux avaient été maitrisés à l’aide d’un tord-nez, un instrument de contention qui s’applique sur la lèvre supérieur du cheval et produit une sorte d’anesthésie locale pour immobiliser les animaux. « Pour utiliser un tord-nez, il faut déjà savoir que ça existe, et pour s’en servir correctement, il faut avoir une connaissance assez poussée du monde du cheval, pointe-t-elle. La grande majorité des cavaliers n’ont jamais utilisé cet outil, et seraient bien incapables de s’en servir correctement. »
La seconde, c’est que les tueurs agissent au moins à deux. « Un homme fait en moyenne 80 kilos, un cheval 500. Si vous arrivez à immobiliser un cheval avec un lasso – comme c’est apparemment le cas dans plusieurs affaires – difficile de lui sectionner l’oreille aussi nettement avec votre seule autre main de libre. » Sauf dans les cas, où les animaux ont été tués avec une arme à feu, comme en novembre 2017 dans le Lot, où un cheval a été abattu d’une balle dans la tête. Avant de se faire dépouiller de son oreille. La droite déjà.
« C’est pourquoi on conseille aux gens de ne pas intervenir eux-mêmes lorsqu’ils repèrent une activité suspecte », indique Claire Juillet, qui recommande plutôt de contacter les services de police. « Se retrouver face à quelqu’un armé d’un couteau ce n’est pas rigolo, mais d’une arme de poing encore moins. Ce n’est pas le moment de jouer au Zorro des campagnes. » Elle conseille aussi, dans le cas de découverte de cadavre, de pratiquer rapidement à une nécropsie pour comprendre ce qui est arrivé à l’animal et ainsi de faciliter le travail des enquêteurs. Après cet ultime conseil, la spécialiste s’inquiète de ce sentiment de montée en puissance dans l’atroce au fil des affaires, mais espère bien que les enquêtes déboucheront bientôt sur quelque chose de concret. « Ceux qui font ça vont bien finir par se faire attraper, tout le monde commence à être sur le qui-vive. »
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