Sur le papier, ce devait être un « festival de musique immersif aux frontières de l’impossible ». Ce fut un désastre. Fyre, le nouveau documentaire Netflix du réalisateur Chris Smith, nous montre Billy McFarland, entrepreneur en technologie et fondateur du festival, dire aux plus grands mannequins du monde qu’ils vont « vendre du rêve au perdant moyen ». La réalité allait être tout autre.
Pour ceux qui n’ont pas suivi, le Fyre Festival semblait avoir été imaginé comme un répit passager à un flot interminable de mauvaises nouvelles. Une poignée de gosses de riches payant jusqu’à 12 000 dollars pour vivre une « expérience » dont le seul véritable marketing a été un post Instagram de Kendall Jenner et son #squad, pour finalement arriver et trouver des matelas trempés par la pluie, des tentes de fortune, de la nourriture de merde et… littéralement pas de festival. Si vous détestez les riches, c’est un plaisir pour les yeux, jusqu’à ce que vous réalisiez l’impact de la cupidité et des illusions de McFarland sur les habitants des Bahamas.
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Le Fyre Festival était le premier de ce type à exploiter réellement le pouvoir des réseaux sociaux – les billets étaient sold out en moins de deux jours, bien qu’il s’agisse d’un festival totalement nouveau et n’offrant quasiment aucune information en matière de logistique – mais c’était également le premier à connaître une mort aussi virale et publique. Pour paraphraser la Bible : Instagram a donné, Twitter a repris. Ou, comme l’a dit une des personnes interrogées : « De puissants mannequins ont construit ce festival, une photo de fromage sur du pain grillé l’a détruit. » Mais, comme tout dans la vie, le fiasco ne s’est pas arrêté là.
J’ai discuté du documentaire, coproduit par VICE Studios, avec son réalisateur, Chris Smith.
VICE : Bonjour, Chris. Qu’est-ce qui vous a décidé à faire ce documentaire ?
Chris Smith : Comme tous ceux qui ont vu les gros titres et assisté à l’implosion [sur Twitter], je pense que j’étais curieux de savoir s’il y avait quelque chose de plus dans l’histoire.
Et ensuite ?
À ce moment-là (septembre/octobre 2017), je venais de terminer un autre film. J’ai rencontré une journaliste de VICE US qui avait couvert le Fyre en détail. Elle m’a dit tout ce qu’elle savait et, à partir de là, nous avons commencé à comprendre qui était impliqué et quelle était l’histoire. Elle m’a donné des contacts et j’ai rencontré Marc Weinstein, qui était consultant pour le festival. Nous avons fini par faire une interview de trois heures et demie avec lui et nous avons eu une idée précise de l’histoire à raconter.
Vous avez témoigné du fiasco du Fyre sur Twitter ; je ne sais pas si vous avez trouvé ça drôle, mais ça a été hilarant pour beaucoup de monde. Même en regardant le documentaire, ça reste drôle. On a du mal à se sentir désolé pour ces personnes – en tout cas, moi j’ai du mal – jusqu’à ce qu’on comprenne à quel point cela a affecté les travailleurs locaux et les habitants de l’île.
Je me suis senti désolé pour les Bahamiens. Mon idée était de donner un visage humain au festival, de le rendre accessible, afin que vous compreniez ce qui s’est passé, qui était impliqué. Ce n’était pas juste une bande de stars en train de faire la fête. Il y avait de vrais professionnels qui essayaient de faire leur travail du mieux qu’ils pouvaient malgré les obstacles imprévus qui se dressaient continuellement. Pour en revenir aux Bahamiens, MaryAnn [une restauratrice locale qui a fini par dépenser 50 000 dollars de ses économies pour réparer les dégâts laissés par le Fyre] a dit : « J’aurais adoré voir ce qui se serait passé si les Bahamiens étaient allés dans un autre pays et avaient agi de la sorte. » Il y aurait eu un tollé. Et pourtant, ces gens sont venus dans leur pays, ont agi de la sorte, puis sont partis, sans aucune répercussion. Elle a eu l’impression que le gouvernement ne les avait pas protégés non plus.
Pensez-vous qu’ils obtiendront une quelconque réparation, ou qu’ils tireront quelque chose de positif de ce documentaire ?
J’ai parlé à MaryAnn hier. Cela fait des mois que nous essayons de créer un compte GoFundMe pour elle, car tous ceux qui ont vu le film jusqu’à présent ont demandé : « Comment pouvons-nous aider MaryAnn ? » Son histoire se démarque. Elle a fait beaucoup de sacrifices et toute cette affaire l’a terriblement affectée.
Je trouve ça absurde qu’il y ait eu de grands procès, comme celui du blogueur qui a reçu 2,5 millions de dollars à titre de compensation, et que MaryAnn n’ait rien eu.
Il faut savoir que ces 2,5 millions de dollars sont symboliques – il est très probable qu’il ne verra jamais cet argent. Il doit attendre que Billy McFarland rembourse les 27,4 millions de dollars qu’il a été condamné à payer, d’après ce que j’ai compris. Sauf que Billy McFarland est en prison pour six ans.
Que pensez-vous de McFarland après avoir tourné ce film ? Avez-vous essayé de le contacter à un moment donné ?
Je pense que c’est une personne compliquée et c’est ce qui fait de lui un personnage aussi intéressant et énigmatique. Nous devions le filmer à deux reprises – nous étions installés et prêts à partir – mais ça a été repoussé à chaque fois. Et puis, finalement, il a demandé à être payé. Nous avons refusé ; tant de gens avaient souffert de différentes manières à la suite de ce festival, cela semblait injuste.
Je trouve ça dingue qu’il ait eu l’audace de demander de l’argent.
Surtout après avoir vu le film, n’est-ce pas ?
C’est vrai. Selon vous, que dit le film sur la condition humaine et la volonté des gens de simplement… composer avec les événements ?
Je pense que les gens ont tendance à vouloir croire que quelque chose est réel. C’est une extension des réseaux sociaux, où nous nous mettons souvent sous notre meilleur jour. Je pense que le film aborde vraiment cette idée de perception par opposition à la réalité, et ce, à plusieurs niveaux. Ce festival de luxe était trop beau pour être vrai. En fin de compte, il était voué à l’échec. Ensuite, il y a la perception de Billy lui-même : il avait une Maserati, il vivait dans un penthouse, il voyageait dans des jets privés. Selon lui, si vous avez l’air de réussir, les gens vont croire que vous réussissez. Il disait à qui voulait l’entendre que son entreprise générait des revenus de plusieurs millions de dollars, alors qu’en réalité, on parlait de 660 000 dollars.
Dans le film, Andy King, l’un des producteurs de l’événement, dit que 24 heures avant le festival, il ne pensait qu’à Woodstock. À l’époque, personne ne parlait des overdoses de drogue, du manque de nourriture et des embouteillages quotidiens. Et si Woodstock a pu passer à travers cela en termes de publicité, peut-être que le Fyre Festival le pourrait aussi. Sauf qu’à Woodstock, il y avait vraiment des concerts, ce qui est déjà une grande différence, mais c’était aussi une époque totalement différente. Il est intéressant de se demander si Woodstock aurait survécu aujourd’hui, à l’ère des réseaux sociaux et des mises à jour en direct.
Quand les gens sortent des projections, ils ont tous une opinion très forte sur ce monde et ce qui s’y passe. En ce qui concerne Woodstock, oui, je pense que si le public avait anticipé le cauchemar que ça allait être de s’y rendre, cela aurait pu avoir un impact sur le festival. Mais les groupes à l’affiche étaient d’un autre calibre. Les gens étaient disposés à supporter beaucoup de choses pour les voir.
Pensez-vous que nous vivons dans un monde où tout le monde se fout de ce qui se passe dans la réalité du moment que c’est stylé sur Instagram ? Personnellement, j’ai l’impression que la plupart des participants y sont allés juste pour pouvoir s’en vanter.
Je pense que les souvenirs sont remplacés par les réseaux sociaux ou les photos. Marc Weinstein, qui était consultant pour le festival – c’est une anecdote qui ne figure pas dans le film –, travaille dans ce milieu depuis toujours. Il m’a raconté que sur place, les gens ont souvent l’air de passer un moment horrible, mais quand vous regardez leurs réseaux sociaux, ils ont l’air de s’amuser comme jamais. Et un an plus tard, ils reviennent sur cette photo et vous disent qu’ils ont vraiment passé un bon moment.
Il a fait la même chose pendant le Fyre, non ? Il a posté une photo de cette plage soi-disant idyllique sur Instagram, alors qu’en réalité, il était dans tous ses états car il devait trouver de quoi loger plus de 1 000 personnes.
Oui ! J’ai adoré l’interviewer car il a pris beaucoup de recul sur cette expérience. Il admet qu’il se sent coupable – je vous recommande de lire son article sur le sujet. Nous le faisons tous, c’est le problème. Peut-être pas à ce point, mais ça reflète assez bien notre époque, même si j’ai l’impression qu’il y a un élan de sincérité sur les réseaux : au Nouvel An, j’ai vu beaucoup de gens poster des trucs du genre « au lit avant minuit », vous voyez ? Mais peut-être que c’est ce qui est cool maintenant, je ne sais pas.
Il y a beaucoup d’histoire d’arnaques en ce moment. Qu’est-ce que ça dit de notre société ?
Je veux dire, c’est plus intéressant que de raconter une histoire à propos de quelqu’un qui se réveille tous les jours à la même heure et qui va au travail ! Billy était énigmatique. Je trouve qu’ils ont tout de même du mérite pour avoir essayé de faire vivre aux gens une expérience différente de tout le reste. C’était criminel, mais pour moi, c’était tellement plus complexe que ce qu’on a pu lire en une des journaux, à savoir que « des riches sont allés sur une île et sont restés coincés ».
Vous pensez donc que ce n’était pas une escroquerie et que McFarland souhaitait réellement que le festival ait lieu ?
Absolument. Une telle arnaque n’aurait jamais marché. Ce que Billy voulait plus que tout – à mon avis – c’était être au centre de ce monde. Il voulait être Le Mec que les mannequins et les influenceurs admiraient.
Pensez-vous qu’il retournera à ce style de vie ?
Billy a tout pour réussir. Il est très concentré, très déterminé, très intelligent et, surtout, je pense qu’il a beaucoup appris.
Merci, Chris.
FYRE : Le meilleur festival qui n’a jamais eu lieu, disponible dès aujourd’hui sur Netflix.
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