Le monde est plein de surprises. Un matin, on se lève et on s’aperçoit que les objets qui nous entourent au quotidien sont en fait des gâteaux, que le Vésuve est d’abord le nom d’un volcan avant d’être celui du resto préféré de Tony Soprano et que le travail d’un archéologue consiste surtout à étudier des restes de nourriture carbonisés plutôt que de mettre la main sur l’Arche d’Alliance avant les nazis.
Archéologue justement, c’est le métier de Véronique Zech, conseillère scientifique de l’exposition Dernier repas à Pompéi inaugurée le 8 juillet dernier au musée de l’Homme (à ne pas confondre avec la « balade immersive » proposée par le Grand Palais qui n’a visiblement pas lésiné sur les nuées ardentes et les coulées de lave en 3D). Comme son nom l’indique, l’exposition propose – avec l’aide d’objets prêtés par le musée archéologique national de Naples – de se plonger dans les habitudes alimentaires des Romains de l’époque.
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Ce travail de reconstitution n’aurait pas pu être fait sans archéobotanistes – que les fans d’Arte ont pu découvrir à l’œuvre dans l’excellent documentaire Naachtun – La cité maya oubliée – une branche de l’archéologie qui réunit plusieurs disciplines dont celle choisie par Véronique : la carpologie, à savoir l’étude des fruits et des graines. L’objectif ? Retracer les relations entre les sociétés anciennes et le monde végétal grâce aux traces laissées par l’homme. Et des traces, Pompéi en regorge. « C’est un site exceptionnel de ce point de vue là », approuve Véronique qui explique étudier essentiellement les restes végétaux conservés sous formes carbonisées. Pour les néophytes, cela signifie que les végétaux ont été en contact avec une source de chaleur sans combustion complète. Les restes sont noircis mais conservent leur forme et leur dimension. Ils sont d’autant plus identifiables que certaines espèces concernées existent encore aujourd’hui.
« Les blés qui étaient cultivés à grande échelle en Italie à l’époque romaine, comme l’amidonnier, sont pour la plupart tombés en désuétude même si on en trouve encore dans l’agriculture biologique. », précise-t-elle.
La forme que prennent les restes végétaux dépend aussi de la zone d’étude et le climat. Ils peuvent être desséchés comme en Égypte ou congelés dans des sols glacés. En région tempérée, la carbonisation est l’état de conservation le plus souvent observé. C’est le cas à Pompéi. « Les grandes vagues de chaleur qui ont fossilisé la ville ont conservé un instantané de la vie quotidienne », ajoute l’archéobotaniste précisant que certaines carbonisations sont aussi liées aux rôles des végétaux dans différentes sphères de la vie quotidienne. « Par exemple, les résidus de pressage des olives, qu’on appelle des grignons, un ensemble de noyaux et de pulpe, servaient de combustible dans les fours et dans les thermes. On a retrouvé beaucoup de noyaux d’olives carbonisés du fait de leur utilisation et pas que de l’éruption. »
« Si les repas pompéiens ont l’air si riches et variés en ingrédients, c’est aussi parce qu’ils racontent, en sus d’un patrimoine culinaire, l’histoire d’une cité ayant su profiter de sa situation géographique pour s’enrichir et se développer »
Que parvient-elle à tirer de ces éléments ? Véronique dégage trois grands axes d’informations. Le premier sur l’environnement des sites – « Tout ce qui relève de la production des végétaux, la mise en culture des espèces, leur acclimatation ». Le deuxième est lié à l’alimentation, les modes de consommation, les méthodes de stockage, l’évolution du patrimoine culinaire et la manière dont les végétaux sont transformés – « on travaille sur les préparations alimentaires à base de céréale comme les restes de pain ». Le dernier point concerne l’utilisation des végétaux dans des sphères plus symboliques et « cultuelles » comme pour les rituels funéraires et la crémation des corps qui impliquait des matières végétales et animales.
Au fil de ses recherches, Véronique peut tomber sur quelques pépites. « À Pompéi, il y a beaucoup de choses qu’on ne s’attendait pas à trouver, en tout cas pas aussi tôt, comme des agrumes ou des plantes exotiques qui forment aujourd’hui le patrimoine culinaire méditerranéen. Patrimoine que l’on a l’impression de connaître alors qu’il est essentiellement constitué d’espèces qui ne sont pas indigènes à la région. »
À travers l’exposition, l’archéobotaniste entend montrer cette diversité végétale. Elle retrace même les différentes étapes qui ont mené à cette richesse culinaire : « Les premières espèces qui s’implantent en Italie ce sont les céréales qui proviennent du Croissant fertile. On note ensuite plusieurs grandes vagues d’arrivée notamment fruitières : d’abord l’olivier, la vigne, le figuier ou le grenadier que l’on peut reproduire de manière assez simple par semis, marcottage ou bouture. Puis viennent les espèces qui dépendent de la greffe pour être maintenues à l’identique – une technique de propagation agricole plus sophistiquée décrite par Théophraste au 4e siècle avant JC. »
Pruniers, cerisiers, pommiers et poiriers s’enracinent progressivement dans les terres. Viennent ensuite l’abricot et la pêche, qui arrivent de Chine. Outre les agrumes mentionnés plus haut, Véronique note aussi la présence de sésame, espèce oléagineuse domestiquée en Inde. Si les repas pompéiens ont l’air si riches et variés en ingrédients, c’est aussi parce qu’ils racontent, en sus d’un patrimoine culinaire, l’histoire d’une cité ayant su profiter de sa situation géographique pour s’enrichir et se développer.
Relativement modeste en taille (15 à 20 000 habitants quand Rome à son apogée en connaîtra plusieurs centaines de milliers), situé sur un plateau volcanique qui domine le littoral, Pompéi aura servi de port et de carrefour commercial aux grandes villes voisines. Pion essentiel dans l’acheminement des marchandises venues d’Extrême-Orient, elle est, de fait, en contact avec des continents éloignés. Véronique souligne aussi l’héritage samnite de la ville, population qui occupait les lieux avant les Romains mais avait adopté leur mode de vie (participant à leurs côtés à l’effort de guerre contre Carthage). Les Samnites, qui sont à l’origine d’une vague d’une vague d’urbanisation et de construction de monuments publics à Pompéi, bénéficiaient déjà de l’arrivée de fruits, de plantes et d’épices exotiques par les mêmes routes commerciales.
« Ce qui rend le cas de Pompéi unique pour les archéologues c’est que les restes végétaux sont associés à leur lieu de vie et aux ustensiles, souligne Véronique. La plupart du temps, on doit surtout faire avec des poubelles, des fosses d’aisances et des rejets, on arrive généralement à reconstituer certaines activités par déduction mais là, tout est en contexte et en situation. »
Sur les habitudes alimentaires des Romains, on savait déjà beaucoup de choses, notamment grâce au traité culinaire d’Apicius. Par ses mosaïques et ses fresques remarquablement bien conservées, Pompéi avait apporté sa pierre à l’édifice, dévoilant l’équivalent d’un herbier de l’époque ; vergers et arbres fruitiers étaient représentés dans certaines domus, et des scènes de banquets qui finiront par forger une image d’Épinal du quotidien des Romains. Aujourd’hui, la ville parle encore et ses restes végétaux rétablissent quelques vérités. « Les choses préservées à Pompéi peuvent nous aider à en comprendre d’autres moins bien préservées ailleurs comme en Gaule où la culture est essentiellement transmise par voie orale, renchérit Véronique qui souligne la cohérence des rituels dans l’Empire Romain. Certaines pratiques sont communes à toutes les provinces.
La multiplication des sources est de toute façon primordiale pour définir au mieux les habitudes alimentaires de l’époque. Et les récents travaux apportent une perspective très différente de celle donnée par les textes – reflet d’une alimentation sophistiquée réservée aux gens aisés. « Les sources écrites concernent vraiment l’Italie et les grands domaines, abonde Véronique. Ils s’adressent en plus à une élite qui sait lire et manier différentes langues. » Et l’archéologue de conclure : « L’idée c’était aussi de pouvoir reconstituer une histoire globale, ne pas parler seulement des élites mais aussi de la vie des personnes ordinaires et des paysans de l’époque qui ne sont pas forcément mis en lumière dans les textes. À travers l’exposition, on essaie aussi de leur rendre une voix. »
Dernier repas à Pompéi, du 8 juillet 2020 au 4 janvier 2021 au musée de l’Homme, 17 place du Trocadéro, 75006 Paris.
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