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Dans les salons du Beaujolais aux origines du vin nature

Vin nature, vin sain, vin vivant, peu importe le nom, tant qu’il y a… le flacon. Officiellement, le vin nature n’existe pas : il ne connaît ni label, ni définition réglementaire. Alors posons ça là : le « vin naturel » est un vin artisanal. Fait à partir de raisins cultivés en bio ou en biodynamie, il est vinifié avec le moins d’intrants possibles. La majorité des additifs autorisés en conventionnel est bannie à la cave. Un phénomène devenu mondial, qui existait avant l’invention de la chimie et qui a repris racine, dans les années soixante, au nord de Lyon, dans le Beaujolais.

Jules Chauvet a laissé derrière lui de nombreux écrits. Toutes les photos sont de Christophe Sales.

Au commencement du vin nature, donc, il y avait un penseur. Un « père spirituel » nommé Jules Chauvet. Il venait du Beaujolais et il a marqué toutes les générations qui ont suivi.

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Jules est tombé dans la barrique de vin tout petit. En 1907, pour être précis. Né dans une famille de négociants en vin, il devient chimiste pour percer les mystères de la fermentation. Le décès prématuré de son père, en 1942, le ramène à la vigne. Il s’appuie sur ses travaux scientifiques pour opérer une marche arrière : au lieu d’emprunter l’autoroute de la chimie, en pleine construction dans les années 1960, il opte pour le travail de la terre, naturellement, et la vinification, sans artifice mais avec vigilance.

Illustration : des vignes « enrichies en produits magiques »

Dans les années soixante-dix, la voie rapide de la chimie est embouteillée et le vigneron se retrouve bien seul. « Jules a longtemps prêché dans le désert », regrette sa nièce Bénédicte Chauvet, 52 ans, membre de l’Amicale Jules Chauvet.

À droite, avec chimie, à gauche, sans chimie

Il lutte contre les « produits magiques » : les herbicides, les fongicides, les pesticides… Et puis, petit à petit, le « vieux réac » convertit ceux qui passent chez lui propulsant un mouvement, celui du vin naturel. « Son discours s’est répandu grâce à ses stagiaires, qui peu à peu, se sont installés à leur compte », affirme Bénédicte Chauvet.

Mathieu Lapierre, sosie de son père, Marcel Lapierre.

Marcel Lapierre, un vigneron emblématique du Beaujolais, né en 1950, est de ceux-là. Venu se former chez Jules Chauvet, « il cherchait à renouer avec les manières ancestrales, mais avait besoin de comprendre », retrace Mathieu Lapierre, 36 ans, son fils – mêmes initiales, même tignasse blonde et même métier. « Jules Chauvet a donné beaucoup d’outils de compréhension à la génération suivante, il leur a donné confiance en leur montrant que c’était possible. »

Alors Marcel et ses copains, forment la deuxième génération. Cette bande d’empêcheur-de-tourner-en-rond est formée de Jean Foillard, de Guy Breton, de Jean-Paul Thévenet, de George Descombes et d’Yvon Métras. On les surnomme le gang Lapierre. Leurs vins dits « naturels » investissent les tables lyonnaises et parisiennes et leur offrent une certaine renommée, ce qui leur permet de traverser sans trop de dommage la tempête économique qui sévit en Beaujolais.

Car au tournant des années 2000, le Beaujolais va mal. La faute, entre autres, au Beaujolais nouveau, devenu un argument marketing et une manne financière dans laquelle les vignerons se sont tous engouffrés… puis avec le temps, la source se tarit, la clientèle n’est plus au rendez-vous. Trop de goût de banane, trop de mal de crâne, les ventes de Beaujolais nouveau s’effondrent, passant de 66 millions de bouteilles en 1984 à 25 millions en 2016.

« Le beaujolais, c’est la nature avec ses parfums, sa lumière, ses infinis, le repos du soir, l’enthousiasme du matin. »

Et cette vague de mauvaise presse s’abat sur tout le Beaujolais emportant avec elle les crus. Tous logés à la même enseigne, les prix stagnent voire baissent, appauvrissant les vignerons. Certains tiennent le cap, en changeant leur fusil d’épaule.

Jean-Claude Lapalu.

Si Jean-Claude Lapalu, vigneron de son état et maître à penser de nombreux jeunes padawan du vin, ne s’est pas fait avaler tout cru, c’est parce qu’il s’est mis au vin naturel, découvert sur le tard. Et que ceux-là continuaient à bien se vendre.

Les cuvées de Jean-Claude Lapalu.

« Je suis la dernière génération qui a vécu la transformation, j’ai vu mon père labourer avec son cheval puis passer à la chimie, j’ai repris de la même manière », raconte ce grand homme au visage buriné. « Ce boulot ne me passionnait pas mais dans les années soixante-dix, dans le Beaujolais, les enfants étaient vus comme des bras », se remémore-t-il lucide. Il voit alors la vigne, comme un travail alimentaire. Peu à peu, il se met à transformer ses raisins en vin, joue à l’apprenti-chimiste en autodidacte : chaptalisation (ajout de sucre dans le vin pour faire monter les degrés d’alcool), levures industrielles… Il suit paisiblement la norme quand un jour, un client lui demande un vin sans ajout de sucre, il tombe des nues : « Je ne savais même pas qu’on pouvait faire ça ! »

Le client, fin dégustateur, repère son talent et lui assène : « mais Lapalu, tu vas chercher au chais, ce que tu ne sais pas faire à la vigne. » Cette claque lui fait opérer un virage à 180 degrés : il change sa façon de faire, choye ses vignes et ses raisins, qui devenus sains, n’ont plus besoin de traitement en cave, au chais, comme disait l’autre. Il devient un vigneron « nature ».

Lapalu comme Lapierre sont souvent cités comme exemple par la génération suivante, qui, échaudée par la crise avait le choix entre se faire la malle – ils sont 29 % de moins entre 2004 et 2008 – ou foncer dans le tas. Même Mathieu Lapierre, fils du fameux Lapierre, a longtemps refusé l’héritage de son père alors qu’il allait « hériter d’une Rolls Royce. »

« J’ai choisi le parcours de cuisinier car les études proposées en viticulture n’étaient qu’une voie de garage », assume-t-il.

Puis… il y trouve des similitudes : « cuisinier et vigneron, c’est le même métier sauf qu’il n’y a qu’un service par an et qu’il dure trois mois : les vendanges et la fermentation. » Il décide alors d’y revenir

Pierre Coton, essayant de se remémorer où est-ce qu’il a laissé trainé ses vignes, du côté de Brouilly.

Une sorte d’épidémie dans le monde du Beaujolais nature. Le père de Pierre Cotton a un jour dit à son fils, 28 ans aujourd’hui, d’aller faire autre chose que du vin. Dont acte, il devient mécanicien moto et part, sur son deux-roues donc, dans une autre région viticole, la Loire, mais les vignes le rattrapent : « À 50 ans, tu n’as pas envie d’être dans un garage. » À 26 ans, il reprend les vignes parentales, conscient de la difficulté mais enthousiaste : « la vigne, c’est le meilleur moyen d’assouvir son côté créatif. » Il change tout, à commencer par la clientèle du père, habituée à acheter des vins à prix bas, trop bas d’ailleurs au goût de Pierre vu l’engagement de son père dans la vigne. Les parents Cotton n’utilisaient pas de chimie sur leurs parcelles mais dans la cave, « il modelait leur vin pour l’adapter au goût de la clientèle. » Lui travaille naturellement à la vigne et à la cave et a trouvé une nouvelle clientèle au point d’afficher « sold out » dès la mise en bouteille.

De Lapalu à Cotton, tous ressentent une fierté d’inscrire « Beaujolais » sur leurs flacons. Comme Jules Chauvet, avant eux, conscient du magnifique potentiel de ce petit vignoble : « Le beaujolais, c’est la nature avec ses parfums, sa lumière, ses infinis, le repos du soir, l’enthousiasme du matin. »


Toutes les photos ont été prises lors des salons du Beaujolais suivants :
Bien Boire en Beaujolais
La Biojolaise
La Beaujoloise
Bojalien