Culture

Dans l’univers des téléfilms adaptés de l’œuvre de Stephen King

Et si l’imagination débordante du maître incontesté de l’horreur ne se cantonnait finalement qu’à une infinité de variations autour des mêmes histoires manichéennes ? Cette hypothèse, bien connue et redoutée des fans au long cours de Stephen King, devient douloureusement évidente dans les adaptations de ses œuvres en format téléfilm. Il faut avouer que l’auteur brode souvent autour du même patron : dans une petite ville du Maine, une série d’événements a priori indépendants les uns des autres révèle de sombres secrets, et scinde la communauté en deux camps. D’un côté les salauds, de l’autre les forces du Bien, menées par un écrivain alcoolique traumatisé par son père violent. Ajoutez selon l’humeur un être maléfique errant, une femme battue, un enfant avec des super pouvoirs, un sidekick noir sacrificiel, un ancien cimetière indien. Bienvenue dans les mondes fantastiques de Stephen King, et leurs tropes un brin redondants au bout de 56 romans et quelque 200 nouvelles. Pas étonnant qu’il prenne désormais beaucoup plus de plaisir littéraire à décrire ses antagonistes que ses héros, comme dans le très bon Revival ou la très pantouflarde trilogie Bill Hodges. Les personnages de King ont vieilli avec lui, et ses écrits du XXIe siècle alignent un petit cortège de retraités bedonnants, volontiers priapiques, trottinant à la traîne de l’intrigue dans une ambiance cauchemardesque pétrie de trouille des nouvelles technologies.

Ce qui n’a pas changé, c’est son acharnement démiurgique à vouloir retranscrire ses récits de la façon la plus littérale possible dans leurs multiples adaptations pour petit et grand écran, aux postes de producteur et de scénariste. Peu importe que bon nombre d’idées deviennent débiles illustrées telles quelles à l’image, que les effets spéciaux approximatifs soient utilisés en autant de béquilles branlantes, que ses caractérisations, atouts majeurs de ses intrigues souvent éculées, se réduisent à des clichés gênants : l’ego du plus grand auteur horrifique de ces 40 dernières années ne saurait tolérer la sortie de route, la moindre réappropriation de son panthéon.

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Sa fameuse haine du Shining de Stanley Kubrick le démontre avec une intensité rare, confirmée par l’absence quasi-totale de parti pris esthétique dans l’adaptation télévisuelle de 1997. Cette revanche sur le film de Kubrick, supervisée par ses soins, n’est qu’une étape transitionnelle dans le long et assez pénible parcours des adaptations de ses romans en mini-séries télévisées. Des anthologies d’une durée de trois à six heures, diffusées en plusieurs soirées par tranches de 90 minutes sur des networks américains, avant que la furie créative des réseaux câblés ne vienne foutre sa zone. Des productions respectueuses des écrits originels dans les grosses limites d’une diffusion grand public en prime time, pleines de crimes exsangues, de tabous bizarrement suggérés et de violences hors champ, où les faiblesses narratives de King sautent plus violemment au visage que ses monstres de fête foraine complètement pétés.

Parce qu’entre les futures sorties ciné de Ça et La Tour Sombre, l’adaptation en série naze mais gore de The Mist, son éternel rythme pluri-annuel de sorties, sa guéguerre un peu coconne contre Trump sur Twitter, son hégémonie un rien flippante sur les plages et dans le moindre bureau de tabac le plus reculé du monde, Stephen King ne cesse de nous rappeler à quel point il se rapproche de l’omniscient Sutter Cane, l’écrivain maléfique de L’Antre de la Folie de John Carpenter. Parce qu’à un moment, il faudra fatalement faire l’audit des années 1990 et que les mini-séries Stephen King en constituent le furoncle que tout le monde a un peu peur de gratter. Parce que la torpeur automnale se prête bien au marathon de visionnage d’interminables anthologies du Bien contre le Mal ; parce qu’enfin, pour avoir grandi avec ces romans et leurs flopées de transpositions, j’ai quelques comptes à régler avec mon adolescence, voici le compte-rendu critique intégral, chronologique et inévitablement parsemé de mauvaise foi de toutes ses mini-séries.

Les Vampires de Salem, Tobe Hooper (2 X 90 minutes, diffusé les 17 et 24 novembre 1979 sur CBS)

Le galop d’essai boxe hors catégorie. Un budget correct, un casting alignant James Mason, Fred Willard, Geoffrey Lewis, Bonnie Bedelia, un David Soul tout juste relevé de ses obligations sur la série culte Starsky et Hutch, et surtout Tobe Hooper à la barre, remplaçant au pied levé d’un George Romero peu amène des contraintes télévisuelles. Dommage pour lui, il aurait pu ajouter à son tableau de chasse la traumatisante scène d’apparition en lévitation à la fenêtre, responsable à elle seule d’une génération de terreurs nocturnes. Si la mise en scène tient toujours la route presque 40 ans plus tard, pour les effets spéciaux, c’est une autre paire de manches. Et côté rythme, Hooper instaure la terrible norme des mini-séries de Stephen King : deux heures d’exposition lentes à se pendre, une ultime demi-heure à l’hystérie inappropriée. Préférer, très largement, la version sortie en salles françaises amputée de moitié.

« Il » est revenu de Tommy Lee Wallace (2 X 96 minutes, diffusé les 18 et 20 novembre 1990 sur ABC)

OK, nous voilà rendus au cœur du Mal. La mère de toutes les mini-séries Stephen King, la responsable de 75 % des cas cliniques de coulrophobie (la peur des clowns), grâce à la performance mémorable de Tim Curry dans le rôle de cet enfoiré de Grippe-sou – en fait, une grosse araignée qu’un inhalateur d’asthme et une fronde suffisent à blesser grièvement. Que reste-t-il de nos souvenirs pétochés, 24 ans après sa première diffusion sur M6 ? Surtout la terrifiante scène d’introduction et cette réplique, « Ils flottent tous en bas, Georgie», qui devrait suffire à vous glacer l’échine d’effroi. Passées les scènes avec Tim Curry, à l’impact bien amoindri dans la monstrueuse VF d’époque, reste une histoire absurde animée par des personnages encore plus absurdes campés par des acteurs en sous-régime. Network oblige, les scènes d’angoisse reposent beaucoup sur la potentielle globophobie (la peur des ballons) du spectateur, et la fameuse scène de gang bang juvénile tant décriée du livre brille par son absence. Ouf.

Compte à Rebours de Kenneth Fink, Allen Coulter, Michael Gornick et Stephen Tolkin (6 X 40 minutes, diffusé du 16 juillet au 22 août 1991 sur CBS)

Encouragé par les succès de l’adaptation de Ça et de la série Twin Peaks, Stephen King rêve de son propre show et vend à CBS cette histoire originale d’homme de ménage en plein rajeunissement suite à une explosion dans un laboratoire top secret. Je ne me rappelais que de la jaquette avec ses fameux yeux verts fluo (effet cheapos typique des mini-séries Stephen King), et pour cause : Golden Years est chiant comme la pluie. Mais alors, vraiment, une pluie de mi-octobre, un mardi à 14 h 32. Je veux bien que le boom des séries dans les années 2000 soit passé sur les habitudes de spectateurs avec hargne, mais il y a des limites à tout, foutredieu. Deux choses à retenir : le personnage de Felicity Huffman anticipe de façon assez sidérante le look et les attitudes de Dana Scully dans X-Files, et l’une des caractéristiques cruciales des mini-séries Stephen King s’y fait jour : les héros sont tellement neuneu et cucul la praline qu’on se range quasi illico du côté des bad guys – en l’occurrence le mercenaire moustachu campé par R. D. Call, toujours classieux, même quand il bute un chien d’aveugle dans un gunfight mou.

Les Tommyknockers de John Power (2 X 90 minutes, diffusé les 9 et 10 mai 1993 sur ABC)

Taxez-moi de subjectivité, mais de toutes les histoires de petites communautés du Maine sombrant dans la folie écrites par Stephen King, Les Tommyknockers est la plus ratée, du genre à ne pas regretter que l’auteur ne s’aventure pas plus dans la science-fiction. Sans surprise, la mini-série se révèle totalement grotesque, illustration débile mais étrangement enthousiaste du déroulé dramatique du roman. En VF notamment, les interprétations de Jimmy Smits et de l’impayable Traci Lords rayonnent de stupidité, et des scènes aussi maladroites que les poupées tueuses ou le distributeur de Coca meurtrier deviennent hilarantes. Gros festival de lumières vert fluo, Les Tommyknockers ne sauve définitivement pas la mise dans son final OVNIesque.

Le Fléau de Mick Garris (4 X 90 minutes, diffusé du 8 au 12 mai 1994 sur ABC)

De toutes les mini-séries Stephen King, voici celle qui a pris le plus gros coup derrière la nuque. L’œuvre clé du romancier, celle à côté de laquelle toutes les autres sont comparées, se transforme en une abominable bondieuserie où les scènes les plus terrifiantes sont expurgées de leur angoisse intrinsèque par l’incompétence crasse de Mick Garris, yes man docile, soucieux de transformer un récit apocalyptique parmi les plus angoissants jamais écrits en téléfilm propret. Le casting à lui seul est une ode, une chanson de geste aux pires choix imaginables. Randall Flagg, ennemi totem des romans de King, est souillé à jamais par les vestes en jean, les cheveux longs et les rictus idiots de Jamey Sheridan. Molly Ringwald et Laura San Giacomo y disent adieu à leur carrière. Pour interpréter Harold Lauder, personnage aussi grotesque que complexe, clé de basculement de l’intrigue, ils ont choisi Corin Nemec. Parker putain de Lewis. Il fait ce qu’il peut, à savoir pas grand-chose. Pour reprendre la phrase répétée sans cesse par le personnage de Tom Cullen, M-O-O-N, ça s’écrit saloperie de navet interminable.

Les Langoliers de Tom Holland (2 X 90 minutes, diffusé les 14 et 15 mai 1995 sur ABC)

Une dizaine de passagers émerge d’un roupillon à bord d’un avion de ligne, où tout le reste de l’équipage a disparu dans une faille spatio-temporelle en images de synthèse encore plus datées que celles du Cobaye (film pas du tout inspiré de Stephen King, contrairement à ce que prétendait son affiche). Vous voyez dans le trailer ce petit d’homme qui court, le visage déformé par la peur, le cabotinage, l’absence de peur du cabotinage ? C’est l’hilarant Bronson Pinchot dans le rôle non moins hilarant de Craig Toomey, un cadre virant fou meurtrier en une heure chrono parce qu’il va louper sa réunion. Par ailleurs, votre seule planche de salut durant ces trois heures de rationalisation d’une intrigue miroir inversé de The Leftovers. Quid des 2 % de disparus ? Bah grosso modo ils s’emmerdent, et manquent se faire bouffer par des gros pac-men de synthèse bitumivores.

The Shining de Mick Garris (3 X 90 minutes, diffusé du 27 avril au 1 er mai 1997 sur ABC)

L’anecdote est connue : Kubrick accepta une nouvelle adaptation du roman par Stephen King à condition que ce dernier s’engage, par écrit, à ne plus jamais donner son avis sur le chef-d’œuvre horrifique de 1980, qu’il tenait (et tient sûrement toujours) en grand mépris. King signe sa gribouille, débauche son dévoué Mick Garris qui n’avait rien de mieux à faire, pond son script de la justice où, enfin, les arbustes animaux reprennent la place qu’ils n’auraient jamais dû quitter : celle de menace qui disparaît dès que l’on se retourne. ABC, la grande chaîne des mini-séries Stephen King, autorise un peu plus de violence que d’accoutumée. Côté casting, Stephen King se case en caméo de chef d’orchestre zombie, Steven Weber entame sa carrière prestigieuse de visage masculin des adaptations de King (on le retrouvera dans Désolation et Nightmares & Dreamscapes), Melvin Van Peebles se la joue bizarrement, Rebecca de Mornay clôt tous les béguins des ados à mommy issues des années 1990, et Courtland Mead fait une entrée fracassante dans le quinté des pires enfants acteurs de tous les temps. Mick Garris, lui, souffre ostensiblement dans chacune de ses tentatives de se démarquer du film de Kubrick.

La Tempête du siècle de Craig R. Baxley (3 X 85 minutes, diffusé du 14 au 18 février 1999 sur ABC)

Quand je parlais d’idée devenant débile illustrée telle quelle, je pensais spécifiquement, avant une quinzaine d’autres exemples à la louche, à cette scène où le mystérieux démon errant André Linoge (hashtag anagramme biblique) vole au-dessus des nuages en tenant tous les enfants de Little Tall Island par la main. Ce devrait être une scène traumatisante, le pivot du dilemme moral posé aux habitants par ce fils de putain maléfique, et c’est risible. Mais au moins, contrairement à 85 % du reste du téléfilm, il s’y passe plus ou moins quelque chose.

Rose Red de Craig R. Baxley (3 X 85 minutes, diffusé du 27 au 29 janvier 2002 sur ABC)

On ne change pas une équipe qui perd : King et Baxley rempilent trois petites années plus tard pour revisiter cette fois-ci le sous-genre de la maison hantée. Des médiums (média ? saloperies de pluriels latins) doucement loufoques mais complémentaires, ça va sans dire, tentent de canaliser l’énergie négative d’une maisonnée pas super excentrée pour une bicoque enchaînant les affaires de morts suspectes. Casting presque sympa, rythme plus soutenu que d’habitude, dernier épisode bien taré sans devenir trop gênant, Rose Red honore vaille que vaille le concept absurde d’horreur familiale perpétuée par les productions Stephen King pour ABC. Craigounet salopera ses beaux efforts dans la préquelle The Diary of Ellen Rimbauer l’année d’après.


Kingdom Hospital
de Craig R. Baxley (pilote de 75 minutes + 12 X 40 minutes, diffusé du 3 mars au 15 juillet sur ABC)

Stephen fait une grosse fixette (à raison) sur la série The Kingdom – L’Hôpital et ses fantômes de Lars Von Trier, et prouve que la chaîne ABC est vraiment prête à accepter n’importe quoi avec son nom apostrophe S sur la comm’. King rappelle son Craigo dingo, reprend les grandes lignes et même certains éléments les moins évidents de la série originale (les coryphées trisomiques, typiquement), ajoute une somme limite envahissante d’auto-références à ses œuvres littéraires, comme pour imposer sa paternité frauduleuse au produit. Le résultat est exactement ce à quoi on pourrait s’attendre d’une adaptation américaine de Lars Von Trier par un mignon de Stephen King, avec pour seul intérêt l’évolution notable de la violence acceptée en prime time sur ABC depuis « Il » est revenu.

Salem’s Lot de Mikael Salomon (2 X 90 minutes, diffusé les 20 et 21 juin 2004 sur TNT)

Cette deuxième adaptation du roman vampirique signe la rupture avec l’ère ABC pour les transpositions télévisuelles de Stephen King. Les diffusions sur le câble autorisent des atmosphères ténébreuses, de la violence graphique, des castings plus convaincants (quand bien même Rob Lowe était à l’époque un bon gros has-been des familles, à peine toléré dans les Austin Powers). Et vous savez quoi ? Ça n’améliore pas forcément les résultats. Surtout en conservant les mêmes durées amphigouriques avec tant d’attente avant décollage. Samantha Mathis entame sa carrière prestigieuse de visage féminin des adaptations de King (on la retrouvera dans Under The Dome et Nightmares & Dreamscapes).

Nightmares & Dreamscapes de Brian Henson, Mark Haber, Rob Bowman, Mikael Salomon, Sergio Mimica-Gezzan et Mike Robe (8 X 45 minutes, diffusé du 12 juin au 2 août 2006 sur TNT)

Anthologie d’adaptations de nouvelles tirées des recueils Rêves et Cauchemars, Danse Macabre et Tout est fatal. Malheureusement, la production tape à grande majorité dans les mauvaises nouvelles du King, les rebuts, les hommages trop appuyés, les fausses bonnes idées trop fragiles pour s’étaler sur 500 pages ou plus. La meilleure histoire du lot, Le Grand Bazar : Finale (rien à voir avec Le Bazaar de l’épouvante, ça devient technique), manque cruellement de souffle pour un récit de fin du monde.

Bag of Bones de Mick Garris (2 X 80 minutes, diffusé les 11 et 12 décembre 2011 sur A&E)

Et c’est un tout petit retour gériatrique dans l’univers Kingien (Kingesque ?) pour cette baderne de Mick Garris. Le mercenaire profite des nouvelles potentialités transgressives de la fiction télévisuelle pour filmer Pierce Brosnan en grandes séances de communication avec sa femme morte via les lettres-magnets du frigo de sa maison de campagne. Quelques flashbacks en jump scares pour réveiller le public de Remington Steele et l’affaire est dans le sac, d’os.

22.11.1963 de Bridget Carpenter (pilote de 80 minutes + 8 X 55 minutes, diffusé en streaming du 15 février au 4 avril 2016 sur Hulu)

Les mini-séries Stephen King diffusées en quelques soirées événementielles sur les grandes chaînes ont fait leur temps. L’heure est aux séries au long cours, comme Haven (5 saisons de 2010 à 2015), Under The Dome (trois saisons de 2013 à 2015) ou la récente The Mist, dans lesquelles l’esprit du King tourne en rond jusqu’à s’enfoncer dans le sol. L’avenir pour les œuvres de Stephen se niche, peut-être, dans ce genre d’adaptation en une dizaine d’épisodes (le pas terrible M. Mercedes connaît actuellement le même sort dans une adaptation plutôt honorable), à condition de relever le niveau et de sortir, enfin, de l’adaptation littérale. Le sourire de cette grosse coquine de James Franco ne suffit pas à compenser les énormes carences esthétiques et rythmiques de ce qui est pourtant l’un des meilleurs livres récents de Stephen King. L’ajout du sidekick idiot énamouré de Marina Oswald ralentit encore plus l’intrigue, et le dernier épisode figure l’apocalypse traumatique du bouquin comme le ferait un film The Asylum. Comme toujours, l’émotion est morte, pendue dans une maison construite sur un ancien cimetière indien.