Alors que l’Etat a annoncé le déblocage de 50 millions d’euros et la mise à disposition de plusieurs milliers de chambres d’hôtels pour tenter de venir en aide aux quelque 250 000 sans-abris vivant sur notre territoire, le Centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre, le Cash, a mis en place la semaine dernière le premier centre d’hébergement pour les sans-abris atteints du Covid-19. Fait unique en France, le Cash dispose aussi d’un pôle de médecine sociale dont font partie un Centre d’hébergement et d’accueil des personnes sans-abris, un Centre d’hébergement et de réinsertion sociale et depuis quelques jours donc un hébergement Covid-19. Les sans-abris contaminés y sont pris en charge avant de bénéficier des autres structures du Cash. De quoi permettre une prise en charge et un accès aux soins complets, qui ne se limitent pas à une solution d’hébergement d’urgence pour une nuit.
Depuis trois semaines, sept soignants dédiés s’affairent dans ce centre d’hébergement pour les sans-abris atteint du virus. Tous enchaînent les heures, écopent les situations inédites, jonglent avec les vols, les masques chèrement obtenus et les missions que ne leur sont pas dévolues habituellement pour faire en sorte que le confinement de chacun soit le moins mal vécu possible. Lundi, douze sans-abris ayant contracté le Covid-19 y étaient hospitalisés. Au regard de la situation, d’autres devraient arriver dans les prochains jours. Luce Legendre, directrice du Centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre, Valérie Thomas, cheffe du pôle de médecine sociale et Florent Aboudharam, directeur du pôle de médecin sociale ont expliqué à VICE le rôle et le fonctionnement de la structure qu’ils ont créée et chapeautent.
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VICE : Quel est votre protocole de prise en charge des sans-abris suspectés d’être touchés par le Covid-19 ?
Valérie Thomas : Il existe trois manières d’arriver jusqu’à nous. Soit c’est le Samu Social, soit la Bapsa [Brigade d’assistance aux personnes sans-abris, N.D.L.R], soit la RATP qui nous amènent les usagers pour la nuit. Celles et ceux qu’on héberge changent normalement tous les soirs ! Là, on est passé en confinement depuis le 16 mars, on a donc gardé les derniers entrés parce qu’on s’était engagé avec la direction et le pôle médico-social à ne pas les mettre dehors. C’est aussi l’occasion de les prendre en charge sur le long terme. C’est comme ça qu’on a mis en place, un peu avant le confinement, une prise systématique de la température et un dépistage dans une grande tente qu’on avait installée, avec la présence d’infirmiers, de secrétaires, de médecins.
A partir du moment où on en a décelé un petit nombre, on s’est mis en ordre de bataille pour confiner tous les sujets qui avaient été en contact. Nous allons bientôt lever le confinement qui dure depuis huit jours et qui nous a permis de mettre à l’abri personnel soignant et usagers. Ils sont évidemment des citoyens comme les autres, ils ont les mêmes droits en termes de sorties pour acheter des médicaments, avoir des visites médicales, même si c’est une organisation qui n’est pas simple pour nous. On a eu un vrai soutien de l’Agence régionale de santé d’Ile-de-France, de la préfecture des Hauts-de-Seine qui se sont mis d’accord pour accompagner le financement des unités pour sans-abris qui ont parfois des pathologies associées qui augmentent les risques de complication. Etre dans un hôpital, c’est quand même une vraie sécurité et il y a une vraie expertise. On a ouvert 24 lits d’hébergement. On compte en ouvrir 48 avec supervision médicale, aides-soignants formés aux gestes de premiers secours, et un circuit assez vertueux au sein de l’hôpital, notamment le recours aux urgences et au réanimateur en cas de problème.
Luce Legendre : Nous travaillons avec la DRIHL [Direction régionale et interdépartemental de l’hébergement et du logement, N.D.L.R] qui ouvre également en urgence une structure au sud de Paris, à Malakoff, pour abriter les personnes en grande précarité afin d’éviter le passage par des hôtels où ils sont dans des situations d’isolement qui sont pour elles insupportables. Ce qui est intéressant, c’est la mobilisation de tout un tas d’autorités de tutelle et que toutes ces initiatives se coordonnent pour assurer la mise à l’abri et les soins de ces personnes encore en errance.
« Certains sont dépendants à l’alcool et on préfère assurer une distribution »
Justement, le Covid-19 vient s’ajouter à des pathologies déjà existantes mais aussi à des comportements addictifs, quelles mesures mettez-vous en place pour palier à ces problématiques?
VT : Au sein du Chapsa, il y a une consultation médicale quotidienne, assurée par un ou deux médecins, deux infirmières et deux aides-soignantes, qui nous permet de gérer les prises de traitement. Tout n’est pas médical. Parfois, la nécessité c’est de prendre la bonne dose, une injection précise à un horaire précis et là, je dirais que c’est assez calme compte tenu de ce public habitué à beaucoup plus de liberté.
Florent Aboudharam : En ce moment par exemple, on est en train de gérer le manque de tabac car les réserves s’amenuisent. Certains sont dépendants à l’alcool et on préfère assurer une distribution. Ce qui est totalement contraire à notre fonctionnement normal mais au vu du contexte, on a fait le choix de les accompagner dans cette addiction plutôt que d’avoir à gérer des syndromes de manque.
On peut aussi supposer que les profils rencontrés divergent de ce que vous pouvez rencontrer habituellement ?
VT : Historiquement, au Chapsa, c’était vraiment le clochard traditionnel sous les ponts à Paris, avec une alcoolisation chronique et un gros manque d’hygiène. Aujourd’hui, ce n’est pas ça. Les profils sont extrêmement hétérogènes. On a des gens qui travaillent, des migrants qui sont là depuis plus ou moins longtemps et notamment ceux qui sont retraités mais qui restent en France pour leurs droits.
Au vu de ces nouveaux usagers, vous heurtez-vous parfois au refus de la médication et de soins en raison, notamment, du manque d’information, la barrière de la langue, des différences culturelles et cultuelles ?
VT : En général, c’est vraiment une perception du corps, de la maladie, de la santé, on a des niveaux de fatalisme différents. Ce sont des trajectoires, très hétérogènes et on les connaîtra mieux si on travaille avec pendant plusieurs semaines. C’est aussi une des opportunités du Covid-19. Bien sûr, il y a des enjeux qui sont à la fois très individualisés et puis il y a aussi des sous-groupes qu’on voit se dessiner par rapport à leur parcours migratoire. On sait aujourd’hui, que tous ceux qui sont passés par la Libye ont traversé des épreuves invraisemblables et ont des pathologies post-traumatiques en rapport avec leur expérience catastrophique. C’est une petite société assez à part qui est en train d’inventer ses propres règles.
Comment se positionnent-ils par rapport au virus, sa gestion par l’Etat, les pouvoirs publics et la vôtre ?
FA : C’était un peu compliqué au début parce qu’on a dû s’adapter à un fonctionnement qui n’est pas le nôtre, c’est-à-dire garder des personnes 24h/24h alors que normalement nous n’avons personne dans nos murs la journée et avec beaucoup d’organisations médicales et sanitaires qui sont un peu déroutantes parfois. Il a fallu s’adapter pour eux comme pour nous. Aujourd’hui, la situation est plus à l’apaisement parce qu’on a répondu à leur besoin. On a organisé des collectes de dons, notamment pour répondre a ceux des femmes au niveau du matériel d’hygiène. Nous avons aussi collecté des brosses à dents, du dentifrice…
VT : On en est au stade où il y a vraiment des groupes qui se forment, notamment dans les chambres qui ont été confinées, où ceux qui ont compris plus de choses font de l’éducation à leurs pairs. C’est quelque chose qu’on a vu émerger cette semaine. Ils discutent de plus en plus entre eux et viennent demander des précisions. On voit bien que le niveau de connaissance et de compréhension du Covid et des dispositifs, des mesures barrières s’est vraiment amélioré. On a passé un cap.
C’est quand même insuffisant par rapport à ce qui devrait être fait dans une telle situation, surtout que la question des sans-abris faisait partie des grandes lignes du programme d’Emmanuel Macron lorsqu’il était candidat. Sa déclaration du 23 mars à propos de « la mobilisation extraordinaire de la nation », ne vous fait-elle pas bondir ?
LL : Je crois qu’on fait partie de cette chaîne de mobilisation après c’est la multiplication d’initiatives et de coordination avec les autorités, les pouvoirs publics. De toute façon, on ne fait rien tout seul.
FA : Tous les citoyens contribuent à cet effort. On a installé une tente devant le C.A.S.H. pour réceptionner les dons de jeux de société par exemple, pour que nos usagers trouvent le temps un peu moins long et on en a eu énormément. On a encore besoin de sous-vêtements homme et femme qui nous font cruellement défaut. On a utilisé les réseaux sociaux pour solliciter les riverains, on a obtenu des réponses et il faut qu’on continue à en avoir.
Heureusement que les citoyens sont là car malgré les effets d’annonce, les 50 millions d’Euros qui viennent d’être débloqués, les places mises à disposition dans les gymnases…ça va être comme toujours les grands oubliés de l’histoire ?
LL : Je dirais heureusement qu’on est tous là ! On assiste en tant qu’hospitaliers à des choses qu’on n’imaginait pas en termes de solidarité. Ça ne parait pas grand-chose mais on travaille tous les soirs jusqu’à des heures impossibles, sept jours sur sept depuis trois semaines, on est en réunion à vingt heures pour régler les difficultés de la journée, on ouvre nos fenêtres et on entend tous ces gens qui nous applaudissent, ça fait vraiment chaud au cœur.
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