Dans mes souvenirs chaotiques du lycée, je garde en mémoire une certaine fascination pour les looks improbables de certains de mes camarades de classe. La perfection classieuse des jeunes filles populaires posées dans la cour, les quelques gothiques timidement cachés au fond des couloirs et les punk en train de fumer tranquillement derrière les bâtiments en béton. Ces styles et cette façon de se présenter au monde étaient une manière comme une autre pour les jeunes générations un peu perdues dans leurs vêtements de trouver une identité et une communauté de gens qui partagent les mêmes valeurs, passions et vision du monde. Aujourd’hui, certains de ces looks sont datés, fatigués, voire même ringards.
Sur les réseaux sociaux, et surtout TikTok, les nouvelles esthétiques et cultures alternatives qui se développent en masse depuis quelques années ont des noms bien plus exotiques et colorés comme Dark Academia, Cottage Core, Old Money ou encore Coquette et Y2K pour les plus connues. Quelques designs aux sonorités plus étranges encore comme Lobotomie chic, Bubblegum Witch ou Coffin Wood ont aussi leur moment de gloire fugace. Un patchwork de créativité, façon « mood board » sur Pinterest, qui dépasse de loin nos vains efforts stylistiques de jeunesse.
Videos by VICE
« On est passés d’une époque où il fallait attendre chaque mois l’arrivée d’un nouveau magazine de mode pour connaître les dernières tendances, à une situation où on est constamment assailli de nouveaux styles et esthétiques », analyse Louisa Rogers, maître de conférence en marketing de la mode. Ces nouveaux styles qui se développent à une vitesse fulgurante sur les réseaux sociaux donnent parfois naissance à de nouvelles tendances plus ou moins puissantes. Difficile alors, pour les néophytes, de reconnaître ce qui constitue un style qui ne durera que quelques heures à celui qui marquera la culture des nouvelles générations.
« On constate finalement que les esthétiques qui réussissent à s’inscrire sur la durée avec de fortes communautés sont celles qui ont une histoire particulièrement intéressante », analyse la chercheuse. Si on ajoute à cela l’arrivée d’une pandémie nous laissant tous recroquevillés chez soi, il y a selon la chercheuse « une forte volonté de romancer notre vie », une vie idéalisée faite de longues balades sous les feuilles d’automne, un livre à la main, dans une petite maison de campagne à faire de la confiture et à nourrir les lapins ou bien une vie riche et luxuriante loin des problèmes du bas monde… Aujourd’hui, les esthétiques nous font rêver d’une vie qu’on aimerait mener et qui, grâce aux réseaux sociaux, nous semble un peu plus proche qu’avant. Voici donc un guide de tous les styles sur TikTok.
Dark Academia
Dans l’éclairage tamisé d’une bibliothèque anglaise, sur un campus parsemé de feuilles aux teintes rouges et orangées de l’automne, un livre sous les bras, vous regardez les gouttes de pluie tomber par la fenêtre. D’une certaine façon, le style Dark Academia ressemble à une version plus prosaïque de Harry Potter, sans baguettes et sans magie. Plus qu’un style vestimentaire, c’est une ambiance, un environnement, une façon de vivre : un amour de la littérature, des longues discussions philosophiques au coin du feu, une ambiance mélancolique, presque nostalgique, sur des campus iconiques tels que ceux de Harvard et Cambridge. Bref, un mélange de références intellectuelles un peu clichées qui veut s’éloigner de l’imaginaire du cinéma américain fait de fraternités, beuveries, et de bizutages.
« C’est une esthétique qui existe depuis le milieu des années 2010 sur des réseaux comme Tumblr ou Instagram mais qui a explosé au moment de la pandémie, détaille Mina Le, une vidéaste et commentatrice de mode américaine. Lorsque toute une génération d’adolescents s’est retrouvée loin de l’école, ils ont commencé à fantasmer et romancer l’environnement scolaire. » Même si la fermeture des universités est le rêve de tout étudiant qui se respecte, le Dark Academia apparaît alors comme une réponse à l’éloignement forcé des amphis et de la vie romantique des campus universitaires.
Dans son article What’s Dark about Dark Academia, la chercheuse Ana Quiring explique ceci : « Faire partie de la communauté du Dark academia permet à quiconque de faire partie d’un monde qui semble à priori inaccessible. Ici, pas besoin de rentrer dans une université Ivy-League pour pouvoir lire les écrits d’Ovide. Au contraire, lire les Métamorphoses avec ses amis en ligne pourrait être mieux, plus amusant, que d’avoir cette lecture dans une école d’excellence. Cette tendance est une sorte d’astuce, un raccourci vers une éducation prestigieuse sans les dépenses, le contrôle ou la pression des parents. »
Ce qui est particulièrement amusant dans toutes ces esthétiques, c’est qu’il est désormais possible de les décliner à volonté et de mélanger les genres. Si jamais l’ambiance sombre et mystérieuse du Dark Academia ne convient pas à votre personnalité mais que vous aimez tout autant cette communauté littéraire et élitiste, vous pourrez sûrement trouver votre bonheur dans ses dérives plus lumineuses comme le Light ou le Pastel Academia.
Cottage Core
Quand certains s’imaginent à flâner le long des couloirs d’une prestigieuse université, d’autres envisagent plus simplement faire l’école buissonnière. Pensez fleurs et jardins, un petit chalet bucolique à la campagne et des soirées passées en robe en dentelle à lire de la poésie, à donner à manger à des lapins tout en préparant des tartes à la fraise. Eh bien, tout ça, c’est le Cottage Core. Comme le Dark Academia, le Cottage Core est plus qu’une esthétique, c’est un état d’esprit et une communauté qui partage le même amour pour la nature et d’une version nostalgique et idéalisée du passé.
« Encore une fois, l’explosion de cette esthétique est directement liée au sentiment d’oppression que beaucoup de personnes ont ressenti pendant le confinement, analyse Louisa Rogers. Bloqués dans des villes sans contact avec la nature, certains ont ressenti ce désir de retourner à une vie plus simple et romantique ; où les femmes n’avaient pas le droit de vote et pouvaient se contenter de s’occuper de leurs jardins et de leurs maisonnettes », ajoute la chercheuse avec ironie. Car il faut bien l’avouer, il y a quelque chose d’un peu paradoxal dans cette nouvelle esthétique.
Non seulement, cette nostalgie d’un passé romantique est une jolie façon d’oublier les situations souvent terrifiantes dans lesquelles vivaient les femmes de l’époque mais c’est aussi un monde loin de la technologie. Or, ses adeptes qui sont aussi bien urbains que ruraux ne ratent pas une occasion pour partager cette version idéalisée de leur vie sur les réseaux sociaux. Mais justement, il s’agit là d’une vision idéale et romancée, peu importe qu’il soit ou non fidèle aux contes historiques. Cette esthétique, on la retrouve d’ailleurs dans certaines pratiques vidéoludiques qui ont explosé lors du confinement comme sur Animal Crossing où entretenir son jardin, faire des couronnes de fleurs et préparer de délicieux gâteaux aux fraises était une façon comme une autre de s’échapper du monde.
« La haute couture a très bien répondu au Cottage core avec des collections de marques comme Loveshackfancy qui ont repris cette tendance avec succès, poursuit Louisa Rogers. Beaucoup de femmes avaient besoin de retrouver ce style rose, pastoral et naïf pour retrouver leur féminité. Pas facile quand on a passé deux ans en pyjamas et en survêtement. » Comme souvent, ces tendances donnent aussi lieu à leurs propres petites dérives. Une esthétique en influençant une autre et une mode en entraînant encore une autre. Parmi celles-ci, il y a par exemple le Royal Core, une version régalienne ambiance couronnes et diadèmes, parfois épée à la main, en courant sur leurs terres médiévales. Si jamais cette esthétique vous intéresse, voici un compte qui pourrait vous plaire.
Old Money
Chemises boutonnées, gilets en laine sur les épaules, cardigans, polos, bandeaux et mocassins aux tons beiges, crème ou foncé dans un décor somptueux à jongler entre dîners chics, jardins luxuriants, voiliers de luxe, manoirs et country clubs. Nous voici dans le Old Money. Dans une vidéo entièrement dédiée à cette nouvelle tendance sur les réseaux, la YouTubeuse Mina Le, explique justement que cette esthétique n’est pas nouvelle puisqu’elle trouve son origine dans le style preppy qui était imposé par les grandes écoles américaines dans les années 1950.
Des vêtements simples, de grande marque qui dénotent du savoir vivre très soigné, strict et traditionnel des grandes familles aristocrates. Ces dernières années, la volonté de se différencier des nouveaux riches de Los Angeles, dans le style de la famille Kardashian, et la fascination pour les aventures trépidantes de la famille royale britannique ont finalement remis ce style au goût du jour.
« Cette esthétique est très clairement un rejet du style très « nouveau riche » qu’on a été surreprésenté dans les années 2010 par les riches influenceurs et les jeunes milliardaires adolescents en sweat à capuche », analysait la journaliste Hillary Hoffower dans un article pour Insider en octobre dernier.
« En même temps, qui n’aimerait pas aller se promener dans la roseraie de son domaine familial ou prendre des vacances sur un yacht immense, s’amuse Mina Le. Aujourd’hui, beaucoup de gens sont attirés par ce style parce qu’il incarne cette volonté d’aller chercher des inspirations nouvelles dans ce qui a été oublié ou abandonné ; comme le style rococo français par exemple. C’est une façon de s’évader du traumatisme de notre époque pour aller vers un monde plus simple, plus chic et élégant où on hérite aussi bien du style que de l’argent de sa famille. »
Bimbo Core
« Parfois, une simple vidéo d’un défilé Chanel des années 80, soudainement remis au goût du jour par une influenceuse en vogue sur les réseaux sociaux, peut en quelques jours relancer une mode ou une tendance qu’on avait longtemps oubliée, raconte Mina Le. Dans ces situations-là, qui peut dire si c’est la culture Internet qui influence la haute couture ou si c’est l’inverse. » Aujourd’hui, il est parfois difficile de comprendre à quel point les réseaux sociaux – notamment TikTok et son algorithme impénétrable – jouent un rôle dans la façon dont les modes et les cultures alternatives se développent auprès des nouvelles générations.
Qui d’ailleurs aurait cru qu’un jour le style ostentatoire de Paris Hilton pourrait faire un comeback ? Pourtant, grâce à TikTok et au retour de la mode nostalgique des années 2000 – qu’on appelle aussi le style Y2K – les jeunes femmes se réapproprient désormais le style hyper féminin et scandaleux de la bimbo. Mettre des mini-jupes, des corsets et un rouge à lèvres rose bonbon serait presque aujourd’hui considéré comme un acte de résistance face à un monde qui a longtemps considéré que tout ce qui touchait à la féminité était faible voire stupide.
Le rose vif de la Barbie est à la mode et ça ne devrait pas s’arrêter de sitôt. Pour la première fois, cette couleur iconique est apparue dans la collection Pink PP de Valentino et devrait beaucoup faire parler d’elle lors de l’arrivée du nouveau film Barbie sur les écrans dans le courant de l’année avec la célèbre Margot Robbie en tête d’affiche.
Maximalisme
« Avant de sortir, jetez un dernier coup d’œil dans le miroir et enlevez un accessoire », conseillait sagement la célèbre créatrice de mode Coco Chanel. « Les maximalistes, elles, font tout l’inverse… Avant de sortir de chez elles, elles ajoutent toujours quelque chose » s’amuse en souriant la créatrice de contenus Sara Campz dans l’une de ses vidéos sur TikTok. Son adage à elle, c’est d’empiler les couches de vêtements, de mélanger les textures et les couleurs dans un feu d’artifice de rayures fluorescentes et d’accessoires extravagants.
De façon plutôt étonnante, une des meilleures personnes pouvant définir l’essence même de cette esthétique, n’est autre que l’auteur Umberto Eco qui disait ceci dans son ouvrage La structure du mauvais goût : « Là où le bon goût est sage, le mauvais goût est grivois. Là où le bon goût est minimaliste, le mauvais goût est maximaliste. Là où le bon goût chuchote, le mauvais goût crie : « Regarde ! Réagis ! Ressens ! »
Comme beaucoup de ces tendances qui se développent sur les réseaux sociaux ces dernières années, l’esthétique Maximaliste n’est pas apparue en un jour. « Une grande majorité de ces styles trouvent leur origine au Japon, explique Louisa Rogers. Après avoir vécu dans un monde très restreint au niveau de l’immigration, immergés dans leur propre culture, ils se sont soudainement retrouvés avec un flux massif d’influences culturelles extrêmement diversifiées et une exposition à la culture populaire des quatre coins du monde qui a donné lieu à une explosion de nouveaux styles et modes au Japon avec notamment la street fashion japonaise, aussi appelée le Harajuku. » La beauté du Maximalisme – qui tire justement ses origines du côté extravagant et avant-garde du street style japonais – repose sur l’excès et une forme d’éclectisme. Cette esthétique a toujours été associée à l’extravagance de ses artifices et un style non fonctionnel.
Bien sûr, cette apparente accumulation de vêtements pose nécessairement la question de nos propres modes de consommation capitaliste. Pourtant, cette esthétique a toujours été fondamentalement intégrée dans une culture de la seconde main, du recyclage et du DIY. Même si certaines marques profitent toujours de la rapidité avec laquelle les nouvelles tendances se développent pour inciter les jeunes internautes à se lancer dans des razzias de shopping en ligne, comme en parlait Mina Le dans cette vidéo dédiée au sujet.
Coquette
Dans un article publié sur Nylon en février dernier, une créatrice de contenus appelée Lacey Tanner, décrivait son style de cette façon : « Quand je pense à l’esthétique Coquette, je pense immédiatement à l’hyper féminité, à la délicatesse et à la nostalgie. Le style coquette parvient à combiner des éléments simples et ornementaux, classes et ludiques. C’est un mélange de tendances, comme le soft pale grunge de 2014, le ballet core, l’esthétique de la fille française négligée, l’académisme romantique, ainsi que beaucoup d’autres. »
Une tendance aussi romantique, féminine que girl power, c’est un des styles dans lequel se reconnaît aussi énormément la créatrice Mina Le : « Il y a quelque chose de très amusant derrière chaque esthétique parce qu’elles portent toujours leur propre univers et histoire. D’un point de vue extérieur, c’est très intéressant de voir les gens s’amuser avec ces différents styles et catégories pour développer leur propre sens du style et leur identité. » Avec la montée en puissance de la Coquette avec sa maille pointelle, ses robes à froufrous, ses corsets et ses débardeurs en dentelle, des marques comme Pretties et Brandy Melville ont également connu leur heure de gloire.
That Girl
Allongée sur mon lit à regarder un myriade de vidéos sur les esthétiques, j’ai fini inévitablement par tomber sur ces filles aux looks parfaits et aux corps fuselés dont la vie semble faite de yoga, de fitness et d’abominables lattés au concombre. En quelques plans rapides, elles m’enjoignent alors à me bouger les fesses et partir dans une morning routine du tonnerre pour moi aussi, devenir « that girl ». A l’inverse de la girl next door – cette figure féminine déconcertante de spontanéité, pleine d’imperfections et de charme – That Girl représente un idéal : celui de la meilleure version de soi-même, atteignable à force de persévérance. C’est celle qui a érigé la confiance en soi en discipline pour atteindre le plus haut niveau de bonheur et qui baigne dans un bien-être esthétique dont elle abreuve ses followers.
Réveil aux aurores sans appuyer douze fois sur le bouton snooze, exercices de Pilates parfaitement exécutés en brassière et cycliste seyants, concoction et absorption d’un jus vert détox. Cette anti-girl next door est sûrement la pire des tendances de ces dernières années. Dans leur livre intitulé Confidence culture, les autrices Shani Orgad et Rosalind Gill, comparent même cette injonction au self-care à une sorte de culte : « Qui pourrait être contre le fait d’avoir confiance en soi ? C’est tellement considéré comme allant de soi que personne n’oserait s’y opposer. Mais je pense qu’il est bon de se méfier des choses qui sont placées dans cet espace où elles ne peuvent pas du tout être interrogées. »
Fairy Grunge, Clown Core, Kid Core ou Y2K Pop Funk
« Les nouvelles générations qui ont totalement grandi avec les réseaux sociaux n’ont pas le même rapport que nous à leur image en ligne, détaille Louisa Rogers. Ils ne considèrent pas les médias sociaux comme un reflet fidèle de la réalité. Ils considèrent que ce sont des choses différentes. Certains de mes étudiants peuvent montrer une réelle anxiété sociale lorsqu’ils sont avec moi et ensuite se montrer sans complexe à des millions de personnes en ligne. Pour ma part, j’ai du mal à réconcilier les deux. Pour eux, ils voient une forme de sécurité derrière l’écran. » C’est dans cet environnement que la majorité des esthétiques qui ont explosé ces dernières années ressemblent à des versions extrêmes et excentriques de nos modes passées.
Dans l’une de ses vidéos, Mina Le évoque finalement un des principaux paradoxes de ces nouvelles tendances : quand bien même il est beaucoup plus facile de passer d’une esthétique à une autre, il n’est pas toujours facile de sortir du lot. « C’est devenu plus difficile de se démarquer, poursuit Louisa Rogers. Et ça a poussé les nouvelles générations vers des façons plus extrêmes d’exprimer leurs identités en s’éloignant des cultures alternatives plus traditionnelles comme le goth, le grunge, la fille preppy, qui sont en réalité devenues clichés. » Face au flux massif d’images et d’informations, on a parfois l’impression que malgré les plus folles excentricités, notre look et notre identité ressemblera forcément à quelqu’un d’autre en ligne. Ainsi, une seule esthétique ne suffit plus. Il faut parfois l’enrichir et créer son propre patchwork de styles comme Y2K Pop Punk ou Maximalist Fairy Grunge.
« Au fond, je pense que ces esthétiques ne sont ni bonnes ni mauvaises, confie Mina Le. Les gens adorent se mettre dans des cases et tant mieux si ça leur fait plaisir mais personnellement, je trouve que ces différentes esthétiques sont surtout une façon de s’amuser avec notre style et nous aider au fur et à mesure à trouver notre propre identité qu’elle soit Dark Academia, Kidcore, Clowncore ou Coquette.
Clémence est sur Twitter.
VICE France est sur TikTok, Twitter, Insta, Facebook et Flipboard.
VICE Belgique est sur Instagram et Facebook.