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Dave Bett a créé l’identité visuelle du Hardcore Youth Crew et du rap des années 90

Comment une photo live d’Elvis peut être plus hardcore qu’une photo de Judge ? Il y a un petit moment, j’ai décidé de prêter plus attention à l’origine des covers et des layouts de tous ces disques hardcore devenus mythiques. Et Dave Bett est un parfait exemple avec lequel commencer. En 88 et 89, il s’est quasiment occupé de tout le graphisme des disques de chez Revelation Records, soit les albums les plus important du hardcore de la fin des années 80. La compilation NYC Hardcore : The Way It Is, Break Down The Walls de Youth Of Today, Speak Out de Bold, Start Today de Gorilla Biscuits et Bringin’ It Down de Judge portent tous sa signature. Rien que ça.

Sa collaboration avec Revelation débute en 1987, lorsque Bett est embauché comme directeur artistique de Important, alors distributeur des labels indé Relativity et Combat Records. C’est à cette époque que Jordan Cooper, boss et créateur de Revelation Records, contacte la boîte. Il a besoin de déléguer tout ce qui concerne le packaging de ses disques. Bett, qui vient de quitter un job dans la pub pour un travail-passion, vient de se marier, est papa, et est d’habitude cantonné à designer les albums de Joe Satriani (la tête de gondole du label avec Death) ou des covers de groupe d’étudiants. Il va alors découvrir une scène totalement inconnue pour lui. « Je savais ce qu’était le punk, mais on peut dire que j’ai reçu une éducation hardcore aussi expéditive que rigoureuse ! »

Pour Bett, qui ne compte pas non plus sur Rev’ pour arrondir ses fins de mois, l’expérience musicale et personnelle est unique. Plus que du simple divertissement, il découvre des gens qui vivent leur culture, Ray Cappo le fascine, et il devient bientôt pote avec BJ Papas, le photographe, Steve Martin d’Agnostic Front et Armand Majidi de Sick Of It All, qui bossera plus tard avec lui chez Relativity. Côté pratique, Jordan Cooper avait déjà son truc en tête quand il traitait avec Bett, il lui transmettait un paquet de photos avec des consignes précises. Le plus souvent, Bett ne créait pas à partir de rien, il avait des directives et du matos à utiliser. Réticent au début, il s’adapte vite au truc et s’éclate dans un déluge de couleurs, de symétries et de photos de mecs jeunes et en rogne.



Le LP de Gorilla Biscuits a été conçu de cette façon. Le dessin au dos était signé Anthony ‘CIV’ Civarelli, le chanteur, et Walter Schreifels (guitariste de GB) avait également ajouté sa touche au layout. Un travail d’équipe au top. Dave Bett le dit lui-même dans une interview unique parue sur le site Double Cross :

« C’est celle que j’ai préféré faire, parce qu’il y avait de l’humour dedans. Le design « évolutionniste », le lettrage multicolore, l’homme des cavernes au dos, et cette superbe photo de mecs à fond sur scène. Cette fois-là c’est le groupe lui-même qui a collaboré avec moi, pas uniquement Jordan. Je me souviens qu’ils passaient chez moi pour voir où j’en étais. Tout s’est super bien passé et il y a encore des gens qui viennent me voir pour me demander si je suis bien le mec qui a fait la pochette de Start Today. Je n’avais aucune idée à l’époque à quel point leur musique, et cet album en particulier, allait devenir aussi influente. »

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Bien que Bett n’était pas en charge de TOUT ce qui sortait sur Revelation, il a eu une influence définitive sur le design du label. Sa recette se résumait en deux ingrédients très simples : une photo live en noir et blanc, le nom du groupe et le titre de l’album en lettres capitales, en gras et sans serif. Une template qu’il va répéter à l’infini en dehors du hardcore (voir les albums ci-dessus). La police était justifiée ou alignée au centre et quelques fois des barres étaient ajoutées en guise d’éléments graphiques. La compilation New York City Hardcore est souvent citée comme le modèle ultime de layout, et symbole du label Revelation.



La photo de BJ Papas, prise en 1988 à l’Anthrax, club du Connecticut, est en quelque sorte le who’s who du hardcore new-yorkais de l’époque, la version numérotée (qui aurait dû figurer dans le livre Radio Silence) a finalement été publiée par une âme charitable qui traînait sur le forum Livewire Records. Mieux que copainsdavant : 1. Gus Pena (Discipline) 2. Walter Schreifels (Gorilla Biscuits), 3. Matt Warnke (Crippled Youth, Bold), 4. Mark McNealy, 5. un kid du Connecticut qui était à tous les concerts, 7. Arthur Smilios (GB), 9. CIV (GB), 10. Ray Cappo (Youth of Today), 13. Luke Abbey (GB), 12. Becky Tupper ou Alison Birkenhead, 14. Raybeez (Warzone), 15. Porcell (Youth of Today), 16. Caine Rose (Fed Up/4 Walls Falling), 29. Un des frères Bloomquist.



Cet héritage qui s’est perpétué dans le graphisme hardcore est en grande partie dû au travail de Dave Bett. Le LP de Judge, son dernier boulot pour Revelation, est un autre disque qui fait office de marque déposée du style. Et l’inspiration de Dave Bett vient directement d’Elvis Presley. Bon ok, le caractère gras est plus gras que jamais. Mais la photo ? Si on regarde de plus près, on s’aperçoit que personne dans le public ne mate le guitariste, ils ont tous l’air de se faire chier royalement derrière cette grosse barrière. C’est quoi le problème ? Sans le vouloir, la pochette traduit l’ambiance de l’époque, les influences metal s’installent dans le hardcore et ne se cachent plus, le public ne sait plus comment réagir pendant que Judge, sûrs d’eux, sonnent plus lourd que jamais en posant le genou au sol. Y’a de ça, non ?



Pour revenir aux typos, on se doute que Jordan Cooper voulait des polices qui reflétaient le côté franc et direct du hardcore. Dave Bett et lui « passaient énormément de temps à causer lettrage ». Il voulait tout le temps mettre la main sur des typos qui n’étaient pas encore disponibles sur ordinateur, en transfert, ou qui avaient été très peu utilisées. La police de Judge existait en fait de A à Z depuis 1981 sous le nom « Princetown Regular ». (Il existe une version similaire au nom encore plus adéquat : « Varsity & College Font Pack)

David Bett a aussi mis la touche finale au logo de Revelation Records (dont vous pouvez voir la version originale ici). Et c’est le logo qui est utilisé à chaque sortie du label depuis 1989. D’autres personnes ont également participé à la confection de l’image de marque du label, comme Ray Cappo, de Youth Of Today, qui insistait pour que Revelation ait une réelle identité visuelle en s’inspirant notamment des coloris jaune et noir du label californien Dangerhouse. Et c’est Alex Brown, membre de Side By Side puis Gorilla Biscuits, qui eut l’idée de mettre la lettre R au milieu d’une étoile (comme le logo de Texaco créé en 1981).

Dave Bett ne s’est pas cantonné au hardcore, bien qu’il soit resté fidèle à la musique. Il a aussi été l’auteur de nombreux layouts de rappeurs dans les années 90, de Eazy E au Wu-Tang Clan en passant par Common et Fat Joe. Et on y retrouve les mêmes ingrédients qui constituent son style, une photo centrale, de la bichromie, et un usage minimaliste (ou maximaliste) du lettrage. Par la suite, il a travaillé pour Sony BMG et réalisé des covers pour Bruce Springsteen, Aerosmith, John Legend et a même été nominé aux Grammy Awards pour une édition limitée de l’album Scarlet’s Walk de Tori Amos, en collaboration avec Sheri Lee. Aujourd’hui, il est directeur artistique chez Columbia Records.

La majorité des artworks réalisés par Dave Bett sont visibles directement sur Discogs.

Marion pense le design différemment. Elle s’occupe du site Harsh Forms.