Il y a eu des tonnes de livres, de documentaires et d’émissions sur le black metal, mais, à ce jour, il y en a deux qui se hissent selon moi très au-dessus du lot : Lords Of Chaos (le livre de Michael Moynihan et Didrik Soderlind, édité par Feral House) et True Norwegian Black Metal (le livre de photos de Peter Beste, sorti chez Vice). Si l’on ajoute à ces deux références l’excellent Black Metal : Evolution Of A Cult (chez Feral House également), écrit par le critique musical anglais Dayal Patterson, on obtient un panorama journalistique et photographique quasi-exhaustif sur le sujet. En gros, ce livre complète la « Sainte-Trinité » des ouvrages black metal. C’est un ouvrage passionnant et super documenté, bourré de détails hallucinants sur l’histoire du genre. On y apprend des trucs jamais lus ailleurs. Rien à voir avec une énième compilation de vieilles interviews pénibles. Black Metal : Evolution Of A Cult est tout simplement un chef d’œuvre de journalisme musical, cet art qui décline malheureusement un peu plus chaque jour.
NOISEY : Ce livre est génial. Je suis vraiment impressionné par tout ce qu’on y apprend de nouveau.
Dayal Patterson : Oui, c’était le but.
La plupart des livres sur la musique compilent juste des histoires que tout le monde connaît déjà.
Oui, ça n’aurait servi à rien de faire ça. Je crois aussi que ce livre rend justice aux groupes de black metal qui ont précédé la vague norvégienne, et l’ont directement inspirée. Tu as lu le passage sur Master’s Hammer ? Ou celui sur Blasphemy ? C’est un groupe particulièrement intéressant. Ils ont en quelque sorte donné naissance à tout ce truc de black metal bestial. C’est probablement le premier groupe à avoir ravivé l’esprit des groupes du tout début des années 80, ceux qui avaient appris à jouer et avaient passé le cap du délire satanique… Blasphemy est aussi le premier groupe de black metal formé par des skinheads, et le premier groupe black metal avec un membre noir, il me semble.
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Alors que des groupes comme Bathory et Destruction abandonnaient Satan sur le bord de la route après des années de compagnonnage, les canadiens de Blasphemy s’adonnaient à la barbarie totale, dans la musique comme dans la vie.
J’ai une blague : mon groupe black metal préféré, c’est Fishbone.
Ou Living Color.
Des saxophones partout.
Beaucoup de gens s’amusaient à dire ça. Mais tout le monde sait aujourd’hui que c’est Mystifier le premier groupe de black metal noir.
Le passage sur VON est vraiment passionnant. Je n’avais jamais entendu parler de ce concert à Londres où ils étaient habillés normalement et avaient joué leurs chansons ultra lentement. Tout le monde avait détesté, visiblement.
Moi aussi, j’aime bien cette anecdote. Toute leur histoire est vraiment étrange.
Mais c’est quand on en arrive à tout ce qui tourne autour de Mayhem, Euronymous et Dead que le livre surprend vraiment. Il y a eu tellement de trucs écrits sur ces types que je ne m’attendais pas à apprendre autant de nouvelles choses sur le sujet.
Bien !
Les gens connaissent déjà cet épisode mais je me suis toujours demandé : les corbeaux morts que Dead mettait dans un sac et reniflait avant d’enregistrer ses vocaux, est-ce qu’ils les a tués et enterrés lui-même ?
Non, je ne crois pas. Je crois qu’il les ramassait le long des routes.
Le Tesco Express norvégien.
Après, on sait qu’Euronymous possédait un fusil à pompes et il paraît que Dead chassait les chats dans la forêt, armé de son couteau…
Il était dépressif.
Oui. C’est ma conclusion.
Mais bon, qui ne l’est pas ?
Dead est l’élément catalyseur de tout ce qui va se passer ensuite. Tu ne peux pas sous-estimer son importance, tout comme celle d’Euronymous. Sans eux, le black metal n’aurait jamais évolué de cette façon.
J’étais un gros fan de Lords of Chaos, mais ton livre étudie vraiment le quotidien de cette scène avec minutie.
C’est ce que je voulais vraiment, parce que j’ai lu BEAUCOUP d’interviews sur le black metal durant ces deux dernières décennies, et c’était assez facile pour moi de zapper ce qui avait déjà été dit auparavant. J’ai fait aussi en sorte de parler de l’évolution musicale, et de mettre en avant l’importance que certains albums ont eu en particulier. C’est un voyage de 30 ans, à travers la musique, les personnalités impliquées et les changements culturels.
Il y a aussi beaucoup de photos inédites, notamment des photos en couleurs que je n’avais jamais vues avant.
Il y a 300 photos en tout dans le livre et beaucoup d’entre elles sont effectivement inédites. Les trois photos tirées de sessions de Deathcrush par exemple, ont été retrouvées par Maniac chez ses parents. Il me les a scanné, je ne sais même pas si le reste du groupe les a déjà vues.
Une photo inédite de Maniac, le chanteur de Mayhem, pendant les séances d’enregistrement de leur premier EP, Deathcrush.
L’histoire de la démo de Burzum enregistrée par dessus Kill Em All de Metallica est géniale. Parlons un peu de notre ami Varg.
Ah oui.
Commençons par cette vieille couverture de Kerrang. C’est un document très important dans l’histoire du black metal.
On ne peut pas nier que Varg est un des artistes et musiciens les plus importants dans l’histoire du black metal. Quand bien même il n’aurait brûlé aucune église, ni tué Euronymous, son impact aurait été tout aussi phénoménal. Avec Darkthrone, Burzum a clairement été le groupe black metal le plus influent en termes de son. Chaque mois, un nouveau groupe influencé par Burzum sort de nulle part. Sa présence est toujours palpable. C’est donc, avant toute chose, un musicien incontournable. Cet article dans Kerrang a effectivement eu un impact énorme, et quand tu le lis, tu vois que c’est principalement Varg et Euronymous qui parlent. Cette idéologie extrême, mélangée à l’action frontale, aux croyances religieuses/superstitieuses, et à la musique. Tout ça était explosif. Littéralement.
La démo de Burzum que Varg Vikernes a envoyé à Euronymous (qui voulait sortir l’album sur son label Deathlike Silence), copiée par dessus un album de Metallica. Photo: Black Metal Museum Germany.
Pour moi -et je suis vieux- c’est la dernière fois que la musique metal m’a paru réellement flippante. Les églises incendiées, la vague de meurtres… J’ai adoré la façon dont c’est devenu vrai, complètement taré et malsain.
Oui. Et ce numéro de Kerrang, associé à une poignée d’autres éléments, a fait de la deuxième vague du black metal un phénomène mondial.
Je me rappelle d’un concert d’Immortal à Londres vers 2003. On aurait vraiment dit un sketch.
Immortal ont toujours eu cet élément comique en eux. Dans ce sens, ils étaient peut-être plus proches de Venom que de Mayhem. Ce côté hyper excessif, vaguement second degré.
Y a-t-il eu une autre scène qui se soit approchée de la vague norvégienne, en terme de déviances et de comportements répréhensibles ?
Je crois que la Pologne s’est un peu enflammée aussi, et a été très inspirée par Varg et Euronymous. Ils ont pris un chemin similaire, avec, en plus, toutes les connotations politiques et raciales qu’on peut trouver en Europe de l’Est.
Ces groupes NSBM me font juste rire, et pas dans le bon sens du terme. Il sont à un tel niveau de menace que ça en devient complètement ridicule.
Il y a toujours ce truc complètement contradictoire chez les groupes apocalyptiques ou totalitaires. Et c’est encore pire dans la musique industrielle.
Effectivement, je vois mal tous ces mecs bosser dans une usine, et encore moins dans une de ces usines post-apocalyptiques pour robots escalves sexuels sur lesquels ils semblent tant fantasmer.
Durant la première moitié des années 90, on pensait vraiment que tout ce truc allait avoir un impact phénoménal. Bon, en fait, ça a eu un gros impact, bien plus qu’on aurait pu le croire en tout cas, vu que l’imagerie black metal a maintenant infiltré le mainstream. Hier encore, j’ai vu une photo de Travis Barker de Blink 182 déguisé en King Ov Hell (le bassiste de Gorgoroth)…
En parlant de trucs horribles, j’ai aussi vu le premier concert anglais de Mortiis, à l’Elektrowerkz de Islington. Je l’avais rencontré juste avant. C’était hyper bizarre. Il a « éviscéré » une fille sur scène et a ensuite mangé un morceau de viande dans une cage. Dans ton livre, les anecdotes sur lui sont complètement dingues. Notamment cette manie qu’il avait de se planter des aiguilles dans le radius pendant les fêtes organisées entre les différents groupes de la scène norvégienne.
Oui, il s’enfonçait des pointes dans les os du bras, ce genre de trucs. Il se passait beaucoup de trucs vraiment fous à l’époque. Encore aujourd’hui, d’ailleurs. Le black metal attire toujours des gens extrêmes.
Tu la vois où la folie actuellement ?
Partout. Tu peux même la trouver dans la frange la plus mainstream du black metal, avec des groupes comme Watain, Gorgoroth et Shining. Les premiers groupes black metal à avoir franchi cette barrière, c’est Dimmu Borgir et Cradle of Filth. Et c’est assez logique, puisqu’ils jouaient une musique beaucoup plus accessible. Ils ont exploité tous ces éléments goth, avec beaucoup de synthé, voire des chants féminins dans le cas de Cradle of Filth. Et ces groupes sont toujours populaires. Maintenant le black metal est une forme musicale établie et les groupes peuvent devenir relativement gros, tout en jouant un black metal plus ou moins radical. Il n’y absolument aucun compromis dans la musique de Gorgoroth ou dans le message de Watain.
Un flyer du début des années 90 pour la promo de Gorgoroth, un des groupes les plus endurants et emblématiques de la scène norvégienne.
Mec, j’ai vu Cradle of Filth à l’Astoria en 2002, on aurait dit une version goth de Champs-Elysées.
Oui, c’est le côté divertissement du genre, dont on parlait tout à l’heure.
Ils sont allés beaucoup trop loin dans le délire « Dracula sexy ».
Ouais, ils ont fini par prendre un tournant Hammer/Hellraiser/Tim Burton, et tu ne peux plus du tout les considérer comme un groupe black metal aujourd’hui. Ils n’utilisent d’ailleurs plus l’étiquette. Mais il ne faut pas oublier que leurs premiers disques ÉTAIENT considérés comme black metal à l’époque, et étaient, qui plus est, appréciés par les groupes de la scène norvégienne.
Shining est un cas plus intéressant.
Oui, le paradoxe autour de ce groupe est assez fascinant. Ce sont vraiment les Doors du black metal. Je pense d’ailleurs que les personnalités de Jim Morrison et de Niklas Kvarforth ne sont pas très éloignées. Et leur talent musical est indéniable…
Un Jim Morrison black metal ? Niklas Kvarforth en train d’exorciser un de ses nombreux démons. Photo: Ester Segarra.
Ils ont ce côté Poison idea. Ou peut-être même Mötley Crüe. Ou les deux.
Plutôt Poison Idea, en fait. Mais je persiste à dire que Jim Morrison est sûrement la meilleure comparaison. Ce mec charismatique, auto-destructeur, sociopathe, entraînant des musiciens aussi stricts que talentueux dans des situations complètement chaotiques. Et comme Morrison, il était extrême au niveau de la drogue, du sexe, des relations qu’il entretenait avec ses parents, etc. Il y a un autre truc paradoxal : Niklas m’a dit qu’il aurait voulu que Shining devienne un très, très gros groupe de metal. Un genre de Tokio Hotel black metal, ce sont ses propres mots dans le livre, il me semble. Ou au moins l’équivalent d’Opeth. Mais bon, toutes ses chansons parlent de suicide et le groupe lui-même encourage le suicide… Ce n’est pas vraiment commercial comme approche.
Je sais pas, beaucoup de musique commerciale me donne envie de me suicider. Bien, parle-moi un peu des Légions Noires et de la scène black metal française.
Ça, c’est le pôle opposé. Une des scènes musicales les plus secrètes et anti-commerciales qui ait jamais existé. C’était un cercle de jeunes musiciens français inspirés par la scène norvégienne et la musique d’Emperor, Mortiis, Darkthrone et des groupes des années 80, comme Bathory. Alors que la scène norvégienne prenait de l’ampleur et s’exportait, les Légions Noires étaient, eux, déterminés à garder les choses aussi secrètes qu’Euronymous le souhaitait au départ, même si ça s’était avéré impossible à l’arrivée. Ils ne donnaient leurs disques qu’à des gens en qui ils avaient confiance. Si on peut les écouter aujourd’hui, c’est parce que cette confiance a été trahie et que les disques ont fini par être partagés ou piratés. La plupart de ces types se sont volatilisés dans la nature. Tout ce qu’il nous reste d’eux, ce sont des pseudonymes et des photos floues. Comme Euronymous, ils ont aussi envoyé des menaces de mort, des rats morts, et ce genre de trucs. Mais ils sont surtout à l’origine d’une des plus incroyables formes de black metal jamais créée.
Est-ce que les Légions Noires existent toujours ?
Je ne pense pas. Et il n’y aura jamais rien de similaire, à mon avis. Personne ne pourrait rester aussi secret et anonyme aujourd’hui. En tout cas, ce serait très difficile. Il y a de superbes photos de ces groupes dans le livre.
Inédites ?
Non… En fait, il y en a une de Meyhna’ch prise récemment. Trouver des photos des Légions Noires est suffisamment difficile, alors des photos inédites…
J’ai toujours utilisé le terme « heavy metal français » pour désigner la musique dont le monde n’a pas besoin. Quand les gens me disent que les anglais blancs ne devraient pas faire de rap, je leur réponds : « Tu as raison, ça devrait être interdit. Est-ce qu’on a du heavy metal français ? Je ne crois pas. »
Haha.
Où est ce que le black metal va aller maintenant ?
Partout ! Le black metal ne cesse de prendre de l’ampleur.
Mais aura-t-on un jour de nouveaux Helvete, de nouveaux Varg, de nouveaux Euronymous ?
La question est plutôt : peut-on assister à une nouvelle révolution black metal à l’heure d’Internet ? Je ne crois pas qu’il y aura une nouvelle scène façon Helvete, mais on trouvera toujours des cercles de fanatiques, sans aucun doute. Cette parenthèse norvégienne fut unique et le restera.
Tu parles aussi dans le livre d’une consommation outrancière d’alcool et de drogue dans la scène.
En fait, je pense que la consommation était relativement basse pour une scène musicale formée par des adolescents.
Comparé au gabber ou aux concerts d’Oasis dans les années 90, ok.
Elle a augmenté plus tard. Je veux dire, si l’on excepte le hardcore, la plupart des scènes musicales sont des repères de musiciens qui passent leur temps à sniffer et à boire. Après, des gens comme Varg et Mortiis l’ont fait aussi, oui…
Et le rock chrétien ?
Eh bien, il y a quelques parallèles….
Ce sont deux scènes remplies de gens malades.
Il y a Mysticum, qui a testé TOUTES les drogues. Ils venaient de Asker, en Norvège, et ils revendiquaient à fond ce côté drogué, parce que la scène norvégienne était -en apparence- assez puritaine. Ils avaient l’image d’un groupe d’héroïnomanes, ils faisaient des tas de références au PCP, au LSD, à la cocaïne… Et aux champignons noirs hallucinogènes !
Drogues, sexe et Satan : Cerastes, du groupe Mysticum, sur scène en 1996. Photo: Nihil Archives.
Tu termines le livre en te contredisant un peu sur le futur du black metal. Tu dis que le genre devient sans cesse plus gros et plus ambitieux, mais en même temps tu penses que des albums comme Filosofem, De Mysteriis Dom Sathanas ou même Welcome To Hell, ne pourront jamais être égalés.
Oui, d’un point de vue purement créatif, j’en suis persuadé. D’autres groupes sortiront probablement des disques qui s’approcheront de ces standards. Mais je ne crois pas qu’un groupe puisse surpasser ces disques. C’est comme ça dans n’importe que genre, j’imagine.
Ces disques sont en quelque sorte les Revolver, Pet Sounds et Exile on Main Street du black metal.
Oui, ou les It Takes A Nation Of Millions To Hold Us Back, ou les Doggystyle. Personne n’a réellement réussi à dépasser ces disques , et pourtant ils sont sortis depuis plus de 20 ans.
Quelqu’un a déjà tenté un mélange rap/black metal ?
C’est une idée horrible, mais ça a dû être fait.
Sûrment en France ou à Los Angeles.
Il y a quelques limites mais je pense sincèrement que le black metal est un des genres musicaux les plus vastes qui existent. C’est en partie le sujet du livre. C’est un genre qui est parti dans tellement de directions différentes. Compare par exemple des groupes comme Mercyful Fate, Gorgoroth, Blacklodge, Fen, Vlad Tepes, Negura Bunget, Fleurety, Sigh, et Dødheimsgard. Ça couvre un spectre musical tellement large… Après, bien sûr, il y aura toujours des kids pour penser que le black metal doit sonner comme Mayhem, Darkthrone or Burzum.
C’est moi, ça.
Mais ces groupes sont apparus dix ans après la naissance du truc. La scène norvégienne n’a pas inventé le genre, elle l’a juste renouvelé. Tout a réellement commencé avec Venom. Et le black metal est à l’image de ce conflit permanent entre conservatisme et innovation.
On dirait une phrase de David Cameron.
Ce n’est pas bon signe.
Qui sait ? Il est peut-être à fond dans la scène black metal polonaise.
Black Metal : Evolution Of A Cult sortira le 28 novembre. Vous pouvez pré-commander le livre directement à l’auteur, signé, tamponné et numéroté, avec en bonus un tirage représentant une « couverture alternative ». Vous pouvez aussi commander le fanzine Black Metal : Prelude To The Cult, qui compile des interviews n’ayant pu être utilisées dans le livre, avec entre autres Mayhem, Archgoat, Clandestine, Blaze, Taake, Gorgoroth, Impaled Nazarene, Beherit, 1349/Satyricon, Maniac/Skitliv, Enthroned, Horna/Behexen, Sigh, Marduk et Haded.
Suivez Andy Capper sur Twitter – @andycapper