De la narcolepsie à l’art : comment mes troubles du sommeil ont stimulé ma créativité

Au moment de se coucher, Rebis Alobar veille toujours à ce qu’un crayon et un papier se trouvent près de lui. L’artiste américain est narcoleptique et s’est fixé pour mission de retranscrire les visions qu’il a lorsqu’il est atteint de paralysie du sommeil. Vous avez certainement déjà entendu parler de ce trouble du sommeil : ce sont ces fameuses expériences où vous rêvez tout en étant conscient et complètement paralysé. Une expérience pas toujours très réjouissante, cela va sans dire.

Alobar en souffre depuis le lycée, mais plutôt que de subir ces phases sans broncher, il couche sur papier ses rêves une fois qu’il est revenu à lui. Un militaire cornu, une attaque nucléaire de calamar géant, des dominos christiques : s’il ne saisit pas tout le symbolisme qu’ils incarnent, il s’applique à les reproduire aussi fidèlement que possible, soulignés par de gros cernes à l’encre noire.

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Nous avons contacté le Texan, stewart dans le civil, qui préfère présenter ses créations sous pseudonyme. Il nous a raconté comment il transformait ses rêves en art et comment la narcolepsie était perçue dans la culture populaire.

Something About Veterans, Time, and Transformation

Creators : Bonjour Rebis. Depuis combien de temps souffres-tu de narcolepsie et de paralysie du sommeil ? Et quand est-ce que tu as commencé à transformer ça en art ?
Rebis Alobar : La narcolepsie est un désordre génétique, je l’ai donc depuis toujours, en fait. Je ne l’ai cependant identifiée en tant que telle qu’en quatrième. Je m’endormais en cours, quels que soient mes efforts pour rester éveillé et qu’importe combien de temps j’avais dormi la veille, je ne pouvais pas m’empêcher de piquer du nez la journée… Tous les jours. Au début, on me disait que j’étais paresseux, et que je devais faire ça ou ça pour rester attentif mais comme rien ne fonctionnait, mes parents ont commencé à réaliser combien je souffrais de cette situation et m’ont emmené voir un spécialiste du sommeil. Il m’a demandé si j’avais déjà eu la sensation d’être appelé par mon nom alors que je me trouvais seul ou de me sentir paralysé et d’avoir des hallucinations alors que j’étais éveillé. Je me souviens d’un choc : « Comment savez-vous ? » On m’a fait passer des tests, on m’a diagnostiqué narcoleptique et je dois composer avec ça depuis.

L’endormissement inopiné est la caractéristique principale de la narcolepsie, mais il y a de nombreux autres symptômes que les gens connaissent moins. Par exemple, la cataplexie — un sommeil fragmenté (je n’ai pas dormi plus de quatre heures consécutives depuis environ 15 ans) — et, bien sûr, la paralysie du sommeil. Je me souviens, quand j’avais 20 ans, j’ai eu une expérience de paralysie du sommeil si terrifiante que j’ai supplié mes parents de me laisser dormir dans un sac de couchage sur le sol de leur chambre pendant une semaine. C’était humiliant mais c’est à ce moment-là que j’ai compris que je devais trouver un moyen de maîtriser cette situation, ou j’allais passer le restant de mes jours à subir cette peur. Je suis narcoleptique. Je suis paralysé du sommeil. Ces choses font partie de moi, pas d’eux. Pour m’en sortir, je me suis tourné vers l’art. C’était vers mes 20 ans.

Something About Sentience, Misappropriation, and Self-Destruction

Pourquoi dessines-tu seulement en noir ?
Honnêtement, c’est une bonne question. Personne ne me l’a jamais posée avant. Il est d’abord important de réaliser combien ces dessins sont profondément symboliques. Je suis obsédé par l’esprit « symbolique » du réveil. La « conscience de soi », telle qu’on la connaît. C’est fascinant de se dire qu’on est seulement capables de comprendre les symboles. Chaque lettre que vous lisez, chaque pixel, image, son… sont tous des symboles. Toutes ces choses représentent d’autres choses. Je pense que notre subconscient est capable de comprendre plus que ces symboles. Que nous connaissons tous une vérité enfouie et universelle, mais que nous ne savons pas comment l’exprimer. Je pense que l’art vient de là. Les grandes symphonies, peintures, opéras, etc., sont tous une fraction de cette vérité la fait exister sous une forme que nous pouvons appréhender.

Donc, pourquoi le noir ? Imaginons que cette « vérité » est un somptueux et chatoyant globe recouvert d’une couche de goudron. Le goudron est notre subconscient et, pour que le globe existe, il doit être entouré de goudron. Mais le truc, c’est que nous voulons tous le voir à tout prix. Je ressens sincèrement, quand je suis dans cet état de paralysie, que je peux le voir. Mais quand je me réveille, c’est comme si j’étais éjecté de cette substance mais que j’avais toujours le globe entre mes mains. Dans un effort désespéré de garder un peu de ce savoir, je lance le globe, couvert de goudron, sur une toile. Le globe, débarrassé du goudron, se dissout et disparaît, mais le goudron forme une image que notre esprit symbolique peut comprendre.

Something About Solitude, Philosophy, and The Horror Of The Truth

Pourquoi le titre de tous tes dessins commence par « Something About… » ?
Quand j’émerge d’un rêve ou d’un cauchemar, je ressens toujours l’émotion que j’avais à l’état semi-conscient. Je l’appelle « résidu de rêve émotionnel ». Quand je suis toujours couvert de ce résidu, cette émotion subconsciente, je saisis alors mon carnet et je croque le premier truc qui me vient à l’esprit. J’essaie de laisser parler mon subconscient. Ce n’est qu’après coup que je regarde mon croquis et que j’essaie d’analyser ce que je ressentais que je prends conscience de ce que l’image produite a à voir avec mon émotion. « Something About » est une autre manière de dire « pensez aux concepts suivants lorsque vous regardez cette pièce ».

OK. Et c’est quoi la suite pour toi ? Idéalement, j’aimerais sensibiliser les gens sur cet handicap et combien il est étrange. La seule fois où j’ai vu quelqu’un en parler publiquement c’est avec des « personnages stupides » de films comme Deuce Bigalow : Male Gigolo. Un truc du genre : « Hey, cet abruti est narcoleptique et s’endort tout le temps ». Et je comprends que les handicaps peuvent avoir une dimension comique et j’essaie de faire preuve d’auto-dérision aussi. Mais je veux aussi que les gens sachent que l’handicap peut donner à celui qui en souffre un point de vue unique, une forme de talent, etc.

Merci Rebis.

Something About Chance, Faith, Priority, and Disguise
Something About World-View, World-Lines, and Escapism
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