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​De l’Europe à la Ligue 2, la triste dégringolade de l’AJ Auxerre

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Le moment est culte. 19 mars 1997, stade de l’Abbé-Deschamps. En plein quart de finale de Ligue des champions, alors que son équipe est menée 1 à 0 face à Dortmund, qu’il ne reste qu’une poignée de secondes à jouer et que l’AJ Auxerre est à deux doigts de se faire sortir avec les honneurs de la plus prestigieuse des coupes d’Europe, Guy Roux, bonnet vissé sur la tête, tape un sprint des familles en direction d’une des tribunes. Quelle mouche a donc piqué l’ami rondouillard au point de l’obliger à foncer tête baissée vers les gradins en plein match de son équipe ? Un spectateur qui avait eu la mauvaise idée de vouloir garder un ballon envoyé vers lui quelques secondes plus tôt par un défenseur allemand. Le duel à distance entre Guy Roux et le chapardeur d’un soir tournera, ça coule de source, à l’avantage de Monsieur Cristaline.

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Cette scène, complètement dingo et surréaliste, résume à elle seule ce que représentait l’AJ Auxerre dans le cœur des Français. Un petit club familial, rural, sans grands moyens financiers, géré de A à Z par un personnage haut en couleur pour qui un sou est un sou, et qui pourtant brille régulièrement sur la scène nationale et européenne. Aujourd’hui, presque 20 ans après, jour pour jour, la flamme auxerroise s’est peu à peu consumée et le club de l’Abbé-Deschamps se débat désormais dans les bas-fonds de Ligue 2 pour éviter une relégation en National. Que l’on supporte ou pas l’AJA, personne n’est insensible à la situation difficile que traverse ce club qui nous a tant fait rêver. En même temps, à bien y regarder, le cas auxerrois avait tout d’une anomalie, une sorte de miracle permanent qui ne pouvait durer indéfiniment. Et à travers la douloureuse chute du club ces dernières années, c’est toute l’évolution récente du football qui est dépeinte.

On ne dépense pas l’argent qu’on n’a pas

Guy Roux

Ce qui faisait la force de la l’AJA à l’époque, les clés de son insolente réussite, tenaient en gros en deux points fondamentaux : une gestion financière saine et une politique sportive basée sur un centre de formation de haut niveau. En ça, la caricature du père Guy Roux chez les Guignols avait quelque chose de bluffante : un éleveur de champions près de son pèze. Sur le papier, le plan était simple : former de jeunes talents qui permettent au club de faire des coups en championnat et en coupe d’Europe avant de les vendre, une fois ceux-ci arrivés à maturité, dans des clubs plus huppés et de remplir le tiroir-caisse pour réinvestir dans la formation et maintenir une équipe première de bon niveau. Tout ça sans jamais faire de folies sur le marché des transferts. Un cercle vertueux implacable, quoi. « Une gestion économique à la papa, précise Patrick Bonnot, journaliste sportif à L’Yonne Républicaine et grand spécialiste de l’AJA. Guy Roux disait toujours “On ne dépense pas l’argent qu’on n’a pas”. C’est un principe un peu rétro mais qui a fait ses preuves durant une trentaine d’années. C’était un entraîneur qui gérait à la fois son équipe mais aussi tout ce qui se passait dans le club, notamment les dépenses. Et on voit qu’à cette époque, il n’y a jamais eu d’excès à ce niveau-là même s’il y a pu parfois avoir quelques petites erreurs, ce qui est normal dans le football. »

Seulement voilà, à cette époque, tous les clubs de foot professionnels n’avaient pas encore décidé de mettre le paquet sur la formation. Ce qui, de fait, laissait tout loisir aux plus modestes de tirer leur épingle du jeu en recrutant les jeunes les plus prometteurs du pays. Le centre de formation auxerrois jouissait ainsi d’une solide réputation et, quand Guy Roux se déplaçait en personne dans la famille d’un jeune qui lui avait tapé dans l’œil, ça avait du poids. Depuis, tous les grands clubs ont rattrapé leur retard et l’AJA en a fatalement fait les frais. Avec l’explosion des revenus des clubs et des transactions financières liées aux transferts, l’AJA ne fait plus le poids face à des écuries aux carnets de chèques mieux garnis.

Guy Roux et son sponsor fétiche, en train de communier avec le public de l’Abbé-Deschamps après la victoire de l’AJA 4-0 contre Utrecht en Europa League en 2003. Photo Reuters de Charles Platiau

Le cas d’un Djibril Cissé, entré au club à 17 piges et revendu 6 ans plus tard pour 21 millions à Liverpool, ne pourrait plus exister aujourd’hui. « Aujourd’hui, le moindre joueur qui fait une bonne saison, y compris en Ligue 2, va tout de suite affoler les marchés et les propositions qui arrivent sur les bureaux des clubs sont très difficiles à refuser, d’autant plus si le club en question accumule les déficits d’exploitation comme c’est le cas à l’AJA, confirme Christophe Lepetit, économiste du sport au Centre de droit et d’économie du sport. Les clubs sont contraints de vendre leurs pépites très tôt et n’ont donc pas de retour sportif sur investissement. Or, la concurrence, qui à l’époque se faisait autour de joueurs ayant 23-24 ans, se fait aujourd’hui dès l’âge de 16 ans pour les joueurs européens et de 18 ans sur les joueurs extra-communautaires. »

A ce titre, l’arrêt Bosman n’a pas non plus favorisé les petits clubs formateurs. Explication de texte avec Lepetit : « Avant l’arrêt Bosman, les clubs formateurs étaient relativement protégés dans le sens où les quotas de nationalités qui étaient imposés dans les différents pays permettaient aux clubs de garder la plupart de leurs joueurs. C’est pour ça qu’un club comme Auxerre pouvait garder relativement longtemps ses talents formés. A partir du moment où vous n’avez plus ces quotas de nationalité, et qu’en plus vous avez une explosion des revenus des gros clubs de foot un peu partout en Europe, un club comme Auxerre se retrouve fatalement exposé. » Mais il serait trop facile de voir dans le dangereux déclassement actuel de l’AJ Auxerre le seul spectre de la main invisible.

Djib’ et son fameux maillot PlayStation 2. Photo Reuters de Charles Platiau

L’AJA n’a pas non plus la gueule de Calimero et si le club en est là aujourd’hui, c’est qu’en interne aussi les choses ont merdé à un moment donné. Pour Patrick Bonnot, « la situation est devenue préoccupante à partir du moment où Guy Roux est parti. » Il faut bien avouer que même si le club avait déjà connu des saisons compliquées avec Roux, au moins celui-ci savait tenir les cordons de la bourse et les dérapages financiers étaient bien rares. Après son départ du banc en 2005, le club a continué à tenir un temps son rang de solide équipe de Ligue 1, mais la gestion du porte-monnaie n’était plus tout à fait la même. D’ailleurs, le dernier exploit sportif auxerrois sur la scène européenne, avec une qualification pour les phases finales de Ligue des champions en 2010-2011, a fait office de cadeau empoisonné et précipité la chute du club en Ligue 2. « La Ligue des champions, qui a été une aubaine parce que ça remettait Auxerre sur la scène internationale, a aussi entraîné beaucoup de frais, avec notamment des prolongations de contrat démesurées, explique Patrick Bonnot. Et quand Auxerre a été relégué en L2, le club s’est retrouvé avec des salaires astronomiques sur les bras. La coupe d’Europe entraîne de belles rentrées d’argent mais ça engendre aussi beaucoup de contraintes pécuniaires et il faut savoir raison garder. Or je pense qu’il y a eu un peu de déraison dans la manière dont les choses ont été gérées. »

Cédric Hengbart a tout connu avec l’AJA. La folie d’une qualif’ en Champion’s League d’un côté, la tristesse d’une relégation en deuxième div’ de l’autre. Pour lui, en plus du départ des cadres comme Pedretti ou Mignot et de celui du coach Jean Fernandez, l’AJA a surtout souffert d’un contexte lourd autour du club : « Il y avait des guerres internes. Le coach en place à l’époque, Laurent Fournier, n’était absolument pas soutenu par les dirigeants alors que chez les joueurs c’était tout l’inverse. Avec l’opposition entre monsieur Dujon et monsieur Bourgoin (duel pour la présidence, ndlr), l’ambiance n’était pas bonne. Quand on arrivait le matin aux entraînements, même si on essayait de se concentrer que sur le foot, on sentait bien qu’il se passait des choses au-dessus et forcément ça nous affectait. C’était un environnement très compliqué. Pendant des années, ça a bien marché avec Guy Roux parce que, malgré les difficultés que le club a pu rencontrer, tout le monde était derrière lui et à aucun moment les gens ont essayé de le tailler par derrière, à l’inverse de ce qui s’est passé quand on est descendu. Il y avait pas mal de monde qui commençait à nous enfoncer, à enfoncer les coachs. Ça ne pouvait pas marcher. »

Cédric Hengbart dans ses oeuvres. Photo Flickr via Michael Guibert.

Une fois en Ligue 2, les choses ne se sont malheureusement pas arrangées pour l’AJA. La deuxième division n’est pas une étape facile à aborder et, à moins de parvenir à ne pas y traîner trop longtemps, elle peut vite devenir un enfer pour un club plus habitué aux joutes de L1. Là encore, les dirigeants ne sont pas exempts de tout reproche. « Quand ils tombent en Ligue 2, analyse Christophe Lepetit l’économiste du sport, ils tardent à se mettre vraiment en mode Ligue 2. Est-ce qu’ils ont fait le pari d’une remontée quasi immédiate en L1, comme d’autres clubs avant eux ? Si c’est le cas, ce fut un échec et là vous le payez ensuite sur plusieurs exercices. Et puis il faut aussi se souvenir qu’il y a eu un changement d’actionnaires en cours de route. Tout ça n’a pas non plus aidé le club à trouver sa voie et à s’adapter à sa nouvelle réalité. »

La réalité, aujourd’hui, c’est qu’Auxerre va devoir se battre jusqu’à la dernière journée pour arracher son maintien en Ligue 2 et espérer repartir de bon pied avec son nouvel actionnaire chinois (ORG Packaging). Dans le cas contraire, si le pire devait se produire, qui sait ce qui adviendra de l’AJA ? Pour Patrick Bonnot, une descente serait « une catastrophe. Je pense qu’il aurait énormément de mal à remonter immédiatement. » Christophe Lepetit ne se montre pas plus optimiste: « Une descente serait dramatique pour le club. Si la Ligue 2 c’est déjà pas mal compliqué, ça le serait encore plus en National où, pour le coup, il n’y a pas du tout de modèle économique. Si ça arrive, il faut espérer pour le club que cela ne dure pas et qu’il parviendra très vite à remonter. Sans oublier que c’est encore plus difficile à réaliser aujourd’hui avec la mise en place des barrages. » On n’en est pas encore là et il faut espérer que les joueurs de Cédric Daury sauront trouver les ressources nécessaires pour éviter au club de connaître pareilles destinées. Peut-être s’inspireront-ils de la devise du club, gravée à l’entrée du stade de l’Abbé-Deschamps : « L’AJA est bâtie sur pierre, l’AJA ne périra pas ».

Cet article a été rédigé par la rédaction de VICE Sports, sans la moindre influence de la part du sponsor.