La vie est parfois éblouissante. Alors que vous imaginiez votre existence réduite à l’ennui et l’amertume d’un après-midi dans un centre commercial surclimatisé, vous voilà en train de faire l’amour avec un autre être humain sur le lit de votre 20m2. Vous remerciez ce récent et inespéré match Tinder qui vous a conduit à aujourd’hui être en couple – donc à faire le ménage plus souvent, voir vos potes moins souvent et gesticuler sur un vélo elliptique deux fois par semaine. Vos testicules durs comme du granit et vos yeux plissés ne trompent pas : vous allez jouir. Le râle lourd qui émane subitement de votre gorge, accompagné d’un ultime coup de bassin trop appuyé vient confirmer cela. Vos corps entremêlés, le temps semble s’être arrêté : il n’y a plus de beaux parents à recevoir un dimanche midi ni d’identifiant de sécurité sociale à retrouver mais seulement la possibilité de l’existence d’un Dieu bienveillant.
Pourtant, quelque chose vient faire voler en éclat ce bonheur accidentel. Brutalement, votre visage se fige comme si un agent de sécurité venait de vous taser le menton et le reste de votre corps sombre dans une rigidité cadavérique extrême. Vous n’êtes plus cette personne nue et tendre sur lequel se repose votre partenaire, mais un éléphant de mer en surpoids, incapable de se secouer jusqu’à l’eau. Naïf, vous faites d’abord mine de ne pas savoir et fuyez la réalité. Mais après quelques minutes de déni où des sueurs froides glissent sur votre front, vous acceptez votre condition : vous avez envie de chier.
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Si déféquer est une besogne banale où chacun d’entre nous s’acquitte d’une centaine de kilos par an de matière fécale – à l’exception de Jack Dorsey, PDG de Twitter –, vous voilà plongé dans la psychose et la honte à l’idée de terminer votre processus naturel de digestion à seulement quelques pas de la personne qui vient de vous offrir une fellation. Imaginer un instant que votre meuf puisse entendre un bref sifflement s’échappant de votre anus, ou pire, le bruit fugace d’une crotte frappant l’eau vous pousserait sans doute à demander l’euthanasie. En couple, chier dans le même espace vital est un cap à passer, de même que l’orgasme prostatique et la prise de poids. Pour vous aider à traverser cet océan de détresse sans vous noyer de honte, voici ce qui risque de se produire et comment l’éviter.
Noyé sous la pression, vous allez perdre le contrôle et faire n’importe quoi.
Toujours allongé sur le lit, vous pensez d’abord que vous pourrez sans problème attendre jusqu’au lendemain. Vous êtes lâche, la fuite est donc naturellement votre première option. Mais petit à petit, vous commencez à tourner en rond tel un Golden Retriever resté cloitré toute la journée sans son maître. Pris d’une violente crise de panique, vous comprenez qu’il vous sera impossible d’échapper à votre destin. Coincé avec votre partenaire, celle-ci voit bien que quelque chose ne va pas, mais égoïstement, jamais elle ne dira un mot. Dans ces moments-là, c’est chacun pour soi. Comme pour l’infidélité, en parler revient à faire exister cet acte pour vous deux. Elle se contentera de vous regarder dépérir, avec cette petite moue que vous avez lorsque votre pote a loupé son concours. Il vous faut donc penser à la suite et anticiper : vous êtes enfermé avec votre partenaire dans un logement faisant la taille d’une grosse voiture cinq places et dont les murs sont aussi épais que ceux d’un Étape Hôtel de bord d’autoroute.
Noyé sous la pression, vous allez perdre le contrôle et faire n’importe quoi. Sans raison, vous allez prétexter ne pas avoir sommeil pour subitement allumer la musique en pleine nuit et tenter de masquer votre méfait. Prendre cette route ne fera qu’accentuer l’image qu’aura votre partenaire de vous assis sur la cuvette des toilettes, poussant toute votre force pour sortir ce corps étranger. De même que toute proposition de type « Tu ne veux pas regarder un film ? » pour ensuite vous faufiler aux toilettes quelques minutes après l’avoir lancé, en précisant bien « T’inquiète pas laisse tourner j’arrive ! » est vraiment prendre votre amie pour une conne. Partez du principe qu’elle n’est pas bête, et qu’elle sait très bien ce qui se passe sous ses yeux. Et ce pour deux raisons. La première est qu’elle aussi doit passer par là tous les jours. La seconde est qu’elle paniquerait également a l’idée d’être dans cette situation. Premier conseil : comme dans toutes les situations où l’on fait quelque chose de honteux, le meilleur moyen de s’en sortir est toujours de la fermer.
À la suite d’un élan de courage, vous avez passé la porte des toilettes en expliquant bien « Je passe dans la salle de bain un instant » pour éviter tout soupçon. Tétanisé par le silence qui règne dans cette minuscule pièce immaculée, tous vos choix conditionneront votre survie et auront donc un impact sur la suite des événements. Voyez les choses du bon côté : vous êtes dans un monde civilisé et des murs (oui, je sais) vous séparent de celle que vous aimez, et qui jusque-là vous aime encore. Comme l’écrivait Stendhal dans Le rouge et le noir, « Le pire des malheurs en prison, c’est de ne pouvoir fermer sa porte. »
Comme vous avez affirmé un petit passage rapide dans la salle de bain, chaque minute supplémentaire passée à l’intérieur fera de vous un suspect. Vous cherchez autour de vous des solutions, tout en sachant que le moindre mouvement est entendu de l’autre côté de la pièce. Vous êtes au cœur du plus complexe des Escape Game, celui où il est impossible de gagner mais où vous pouvez néanmoins choisir comment perdre. Comme vous avez fait un Baccalauréat L option cinéma suivi d’une licence en Arts du Spectacle option jeux du cirque, vous pensez que provoquer un autre son couvrira le vôtre. Vous jugez bon d’allumer le robinet d’eau pour masquer la chute d’un éventuel objet, mais cela est bien inutile et ne ferait que ruiner vos espoirs. D’un point de vue logique, le fil d’eau parfait qui va s’écouler du robinet – car vous ne serez pas en train de vous laver les mains – ne correspond pas au bruit d’un fil d’eau utilisé par quelqu’un qui se lave « vraiment » les mains. Il sera trop « parfait ». Ça n’a aucun sens.
À vous d’aviser en fonction de quel problème vous préférez vous justifier.
Pensez alors à ces gens qui sautent des fenêtres d’un immeuble avec leur chat dans les bras lors de violents incendies. Ne pouvant leur procurer de parachute, les pompiers déploient un vaste coussin pour les réceptionner en vie. Ici, c’est pareil. L’idée est d’amortir le choc de tout ce qui pourrait tomber de votre orifice. Ainsi, fabriquer un genre de coussin flottant dans la cuvette des toilettes est une solution. Il vous suffit de blinder le trou de papier toilette jusqu’à ce que rien ne puisse plus s’immerger. Mais attention : si vous en ajoutez trop, la canalisation pourrait se boucher – et bon courage pour expliquer cela à votre meuf. Si vous n’en ajoutez pas assez, vous pourriez tout simplement réveiller tout le monde sans être préparé. Enfin, notez que si vous terminez votre digestion sur ce coussin flotteur, votre offrande ne sera plus immergée et l’odeur pourrait être rapidement un facteur de suicide collectif. À vous d’aviser en fonction de quel problème vous préférez vous justifier. Encore une fois, le temps joue contre vous.
Mais une autre variable doit être prise en compte : vous ne savez jamais ce que votre corps vous réserve. Gardez en tête qu’il pourrait y avoir des surprises peu agréables. Suivant ce qui se profil à l’horizon, le bruit, l’odeur et la réception ne seront pas les mêmes. On ne porte pas les mêmes baskets suivant le sport que l’on pratique, n’est-ce pa ? Pensez à adapter votre subterfuge en fonction de votre portée. Sachez donc écouter votre corps : cette intense transpiration qui coule sur vos tempes est un bon indicateur, par exemple, de même qu’une sensation de brûlure. Si quelque chose de plus délicat semble débarquer, vous pourrez toujours dire que vous êtes malade et espérer un peu de pitié.
Ça y est, le mal est fait : vous avez chié. Un silence de cathédrale habite les toilettes et plus largement l’appartement. Plus aucun retour en arrière n’est possible. Si votre corps commence timidement à se décontracter comme si vous veniez de terminer un oral de droit fiscal, l’envie de vous dissoudre vient prendre le relai. Vous imaginez déjà votre partenaire écœurée et prête à tout pour récupérer son ex qui lui, ne chiait pas bien sûr. À l’inverse des dix dernières minutes, vous forcez votre lavage de main afin qu’elle puisse bien entendre que vous êtes propre. La main posée sur la poignée de porte, vous hésitez une seconde. Rappelez-vous, vous ne savez pas si votre partenaire a entendu quelque chose. L’objectif est de sortir la tête haute.
Deux choix s’offrent alors à vous. La première, plus court-termiste, consiste à sortir d’un pas certain et à vous diriger immédiatement vers la cuisine en racontant n’importe quoi afin de créer une nouvelle situation censée supprimer la scène précédente de l’esprit de votre partenaire. Votre copine, qui a évidemment tout compris mais n’en dira rien, se pressera sans doute de vous parler de cette vidéo qu’elle vient de regarder afin de ne pas vous mettre mal à l’aise. Tous les deux savez, mais inutile d’en parler. Son simple regard vers la porte des toilettes parfaitement fermée suffira. La seconde, plus long-termiste consiste à jouer cartes sur table. Brisez la glace en faisant une blague de type « Bon, j’espère que tu n’as rien entendu ! ». Ce moment sera l’un des plus triste de votre existence. Vous serez comme après avoir raté une blague devant tout le monde. Le néant s’installera tout autour de vous et aucune relation sexuelle ne sera possible. Mais cela pourrait payer sur le long terme car les prochains accidents seront plus commodes à assumer.
Au lieu de vous morfondre, pensez juste à Friedrich Nietzsche qui écrivait en 1882 dans Le Gai Savoir que « Quel est le sceau de la liberté acquise ? Ne plus avoir honte de soi-même. » Sinon, pensez juste à passer aux toilettes du restaurant avant de rentrer.
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