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Voilà plus d’un siècle que les images pornographiques ont commencé à s’immiscer dans la société et aux yeux d’un public avide d’excitation. Malgré les modes de consommation différentes, évoluant avec le temps et la technologie, en 2016, l’idée reste la même : le spectateur lambda matte du porno pour s’exciter. La grande différence, d’après le sociologue Florian Vörös, enseignant à Paris 8 et auteur d’une thèse et d’essais sur la question, c’est qu’aujourd’hui, il est consommé de manière de plus en plus diversifiée par un public de plus en plus large.
Salut Florian. Vu que tu as écrit toute une thèse là-dessus, tu dois être capable de me dire pourquoi l’Homme s’est mis à regarder du porno. A la base, qu’est-ce qu’il recherchait ?
Avant tout, je pense que quand on regarde un porno, on recherche une intensité d’expérience. On peut aussi feuilleter un magazine ou parcourir des sites web pour s’informer, passer le temps, rire avec des amis, partager avec un partenaire, etc. Il y a beaucoup d’usages possibles. Et on peut aussi ressentir du dégoût face à certaines images. Mais le plaisir de voir, d’écouter et de (se) toucher est quand même au cœur des pratiques de visionnage.
Alors ce début, c’est quand justement, à l’époque moderne tout du moins ?
On estime que la première forme de consommation de pornographie « de masse », c’est la manipulation de cartes postales érotiques à la fin du XIXème siècle. Il faut tout de même savoir que le terme « pornographie » est un néologisme du XVIIIème siècle qui désigne à la base des écrits de médecins hygiénistes sur la vie des prostituées. Ça n’avait rien à voir avec le plaisir sexuel. Puis le mot a été utilisé par des bibliothécaires et des archivistes pour classer des objets sexuels qui posaient problème, des ruines de Pompéi aux ouvrages libertins du XVIIIème siècle. On fait ce qu’il faut pour les tenir éloignés des publics dits vulnérables : les femmes, les classes populaires, les populations colonisées et les jeunes. La pornographie telle qu’on l’entend aujourd’hui, sous forme de divertissement, ça commence à la fin du XIXème. Et encore, les seules à utiliser le terme sont les ligues anti-pornographiques, parce qu’à l’époque, c’est encore un mot très savant. Quoi qu’il en soit, il est alors synonyme de danger et permet à ces ligues d’attirer l’attention sur la distribution plus ou moins légale ou clandestine de cartes postales érotiques, très tendance à l’époque.
On trouve quoi sur ces cartes postales ?
Des illustrations qui jouent beaucoup sur les imaginaires coloniaux. On y évoque les plaisirs de l’exotisme, et parmi ceux-ci, le porno évidemment. Plus souvent, ce sont des femmes nues avec un regard implicitement masculin posé dessus. Ce qui change avec ce type de consommation, c’est que le plaisir visuel devient central, alors que jusque-là, on se concentrait beaucoup sur l’écrit. A partir de là, de nouveaux outils apparaissent, notamment les films tournés en maisons closes au début du XXème siècle.
Qui a accès à ces premiers films. Où est-ce qu’on peut les voir ?
Ce sont des films clandestins qui sont surtout réservés à un usage interne aux maisons closes. On les diffuse pendant que les clients attendent. Ce sont des productions artisanales qui vont perdurer jusque dans les années 70, destinées à une circulation clandestine, et qui interviennent dans un contexte de visionnage très masculin. Aux Etats-Unis, où on les regardait plutôt dans le cadre des fraternités universitaires, c’est ce qu’on appelait les stag movies. C’est donc un type de circulation assez confidentiel. Le visionnage homosocial masculin, qui exclue les femmes, a souvent un rapport ambivalent à l’homosexualité masculine, entre la paranoïa homophobe et les plaisirs polymorphes de la camaraderie masculine.
Malgré ce constat, est-ce qu’on a déjà des pistes à l’époque selon lesquelles les femmes s’y intéresseraient elles aussi ?
On a une trace assez drôle de l’intérêt des femmes pour la chose, qui nous vient de Baudelaire, qui s’indigne dès 1859 de la vulgarité de ces « milliers d’yeux avides » qui « se penchent sur les trous du stéréoscope » dans un « amour de l’obscénité » qui toucherait selon lui notamment les femmes de la bourgeoisie. Dans les archives policières britanniques de la fin du XIXème siècle, exhumées par l’historienne Lisa Sigel, on retrouve aussi tous types de publics, homme ou femme, qui investissent des galeries, qui seraient un peu les ancêtres des salles d’arcade, sauf qu’on y trouve des images érotiques à voir sur des dispositifs proto-cinématographiques, comme le mutoscope par exemple. Dans ces archives, la police fait remarquer la présence des femmes de classe populaire et le danger que ça pourrait représenter en termes de désordres sociaux. On a ces traces, relatives au contrôle social, mais la signification du point de vue du spectateur ou de la spectatrice, lui, n’a pas été archivée.
Est-ce qu’on sait si ces premières pratiques s’accompagnent d’une forme de libération sexuelle ?
Tout le monde n’est pas d’accord sur ce qu’est que la libération sexuelle. L’industrialisation du porno gay dans les années 70 a participé de la création de nouveaux imaginaires, de nouveaux espaces et de nouvelles sociabilités, où pouvaient s’exprimer des pratiques sexuelles stigmatisées. Pourtant, le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire y voyait aussi, dans le sillage des années 68, une forme de standardisation capitaliste et patriarcale du désir homosexuel.
Emmanuelle est encore vue par certains comme un point d’orgue de la libération féminine.
Je pense que c’est surtout l’arrivée de réalisatrices féministes et l’interpellation des femmes comme consommatrices de pornographie qui a changé la donne. Les femmes sont souvent réduites en objet d’un désir masculin dans notre culture visuelle patriarcale. Que des femmes s’approprient le regard pornographique est donc transformateur. Les enquêtes auprès de spectatrices montrent que le visionnage de porno crée un espace d’autonomie sexuelle pour des femmes qui sont enjointes à faire passer leur plaisir après la satisfaction de celui des hommes. Ces enquêtes montrent néanmoins que l’idéal de « femme sexuellement libéré » est excluant pour celles qui ne correspondent pas aux canons de beauté dominants et ne disposent en raison de la double journée de travail que de peu de temps libre pour le loisir et le plaisir sexuel.
Donc, contrairement à ce que certains ont pu dire, la pornographie ne dissout pas forcément la norme sociale…
Non, c’est un mythe. La pornographie met en scène un monde utopique où toutes les contradictions et tensions sociales se résolvent dans la promiscuité sexuelle. C’est un monde merveilleux – enfin surtout pour les hommes – où les femmes sont toujours disponibles.
Est-ce qu’en établissant la loi X en 1975 – et en interdisant ainsi le visionnage de certains films aux moins de 18 ans – l’Etat décide de faire de l’ingérence dans la sexualité des Français ?
En fait l’Etat n’a pas attendu la loi X pour s’immiscer dans l’intimité des Français, puisqu’il censure la pornographie depuis le XIXème siècle. Ce qui change avec la loi X, c’est que l’on accorde à la pornographie une place dans notre paysage médiatique et urbain, mais une place marginale et stigmatisée.
Alors qu’Emmanuelle et consors avaient permis de glorifier un peu l’image du cinéma érotique et porno, le X le fait tout de même retomber dans les bas fonds, non ?
Avec la loi X, les films pornos sont cantonnés à des espaces de production et de diffusion dépréciés. Les sex-shops voient en même temps leurs vitrines s’opacifier et être relégués aux quartiers de gares. C’est aussi à ce moment là qu’un nouvel imaginaire de la honte de consommer du porno se met en place, avec par exemple le stéréotype du vieux pervers en imperméable.
Justement, à partir de ce moment-là, est-ce qu’on continue de venir voir du porno pour se divertir, ou est-ce qu’on vient s’y branler ?
Ça pouvait être un usage individuel ou une manière de se retrouver en groupe. Samuel Delany (ndlr : auteur de science-fiction américain) a beaucoup fréquenté les salles de Times Square jusqu’à leur fermeture récente et il a pu constater les raisons très diverses qui poussaient les gens à venir voir du porno en salles. Dans Time Square Red, Time Square Blue , il raconte que comme dans les salles de quartier, les gens pouvaient venir s’y réchauffer. Ça pouvait être un lieu de drague gay, un lieu de prostitution, un refuge pour clochards qui pouvaient venir y dormir toute la journée… Il note aussi qu’il a vu des vrais liens d’amitié s’y former et qui se développent autour de ça.
La VHS et l’arrivée du porno du samedi soir de Canal Plus a mis fin à tout ça, ou en tout cas, ça a complètement modifié le rapport qu’on entretenait au porno…
Oui, parce que les cassettes marquent une domestication du porno audiovisuel, où progressivement, le principal lieu de consommation est devenu le foyer, alors qu’avant il s’agissait d’espaces publics ou semi-publics. C’est un processus qui va se poursuivre avec le câble, le satellite, et en France, effectivement avec Canal Plus, qui, les premiers, vont diffuser du porno à la télévision.
Pour la première fois, le public va pouvoir intervenir sur le déroulement des images avec la télécommande, ce qui va être renforcé avec le DVD, qui va fragmenter par scènes, puis la vidéo en ligne qui va finir par permettre de regarder plusieurs films en même temps. Cette possibilité d’intervention s’accompagne d’une nouvelle forme d’archivage. C’est une question qui va se poser puisqu’en arrivant dans le cadre de l’espace domestique, comment éviter qu’il pose problème à la famille ou au couple ? L’imaginaire du porno est à priori incompatible avec les relations de couple ou les relations familiales.
En quoi cette domestication a changé la manière dont on regardait du porno ?
Cette sexualisation de l’espace domestique crée un nouvel enjeu : disposer d’une chambre à soi où visionner du porno. A l’adolescence, le visionnage et la masturbation permettent, pour certains, de se créer un monde intime, à l’abri du contrôle des parents. Ça prend aussi une dimension particulière pour les filles, dont la sexualité est davantage contrôlée que celle des garçons. L’accès à une gamme diversifiée de pornographies est aussi important pour les ados LGBT.
Comme vous l’avez dit, Internet n’est que l’évolution de cette domestication, mais est-ce que ce mode de communication n’a pas modifié la consommation de manière toute aussi radicale ?
Du point de vue des usages, visionner du porno devient une pratique numérique parmi d’autres, prises dans les usages multitâches des ordinateurs, des smartphones et des tablettes. Ces écrans sont désormais tactiles et se rapprochent du regard du public. C’est aussi une pratique de plus en plus mobile, comme on le voit avec l’échange de sextos et de photos amateursur les applications de drague géolocalisée. Je m’ennuie, je ne sais pas quoi faire sur mon téléphone, je vais aller sur Facebook, ou regarder du porno. Ça a ancré encore plus profondément le porno dans la vie quotidienne.
Dans quel sens ?
Ce n’est plus un loisir exceptionnel comme quand on allait au cinéma ou qu’on mettait une cassette dans un magnétoscope. C’est devenu un type d’image qui va beaucoup plus s’inscrire dans la routine. Les spectateurs et spectatrices m’ont beaucoup parlé du porno qu’ils regardaient le matin pour se réveiller, ou le soir pour se calmer, ou au moment de la pause au boulot. Le porno véhicule encore un tas d’idées sur la masculinité et la féminité qui sont très importantes, mais en plus, il joue une fonction dans la vie des gens. Aujourd’hui, les gens en parlent souvent en utilisant la métaphore du médicament, ou de l’aliment. Ça va pimenter, ça va calmer, ça va servir de palliatif… Le type d’images devient secondaire par rapport à l’effet que ça leur provoque.
Est-ce que cette consommation quotidienne n’a pas tué finalement cette « intensité d’expérience » dont vous parliez, liée depuis toujours au spectacle pornographique ?
Avec les technologies domestiques, l’expérience de la pornographie se situe souvent entre la banalité du quotidien et l’exotisme de fantasmes extravagants. Certains y voient la mort d’une authentique cinéphilie pornographique. Je pense que le visionnage de long-métrages en salles obscures est une petite parenthèse dans l’histoire du porno.
Avec le numérique, on revient à des formats plus courts, focalisés sur l’exposition spectaculaire des organes génitaux.
Puisque la boucle semble bouclée, aujourd’hui, en 2016, comment le consomme-t-on ce porno et pourquoi est-ce qu’on continue à en regarder ?
Si le plaisir est toujours un élément central, les enquêtes de Clarissa Smith, Martin Barker et Feona Attwood auprès du public montrent des motivations très variées. Chez le public plus âgé, il y a souvent l’idée de se maintenir en forme sexuellement, alors que chez les plus jeunes, l’envie de découvrir et le souci d’apprendre sont centraux. Pour les personnes qui vivent leur sexualité à travers le couple, le partage de porno peut être une manière de maintenir le désir et d’entretenir la relation. Pour les personnes qui vivent leur sexualité à travers des rencontres occasionnelles, le porno se situe souvent à l’interstice entre fantasme et réalité, puisque la personne dont on examine les photos sur un site de drague est aussi celle avec qui on aura un rapport quelques minutes ou quelques jours plus tard.
Le porno n’est pas réductible à la masturbation et les usages du porno sont beaucoup plus divers qu’on ne le pense !
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