Dee Dee Ramone est une des personnes les plus étranges que j’ai jamais rencontré. À chaque fois qu’on le croisait, on ne savait pas si on allait tomber sur le bon Dee Dee ou le mauvais Dee Dee. Dans les années 90, quand on m’a demandé d’écrire la préface de son bouquin, Lobotomie, je l’ai décrit comme « le dernier spécimen vivant d’authentique rock star, un vrai bad boy qui s’en est sorti, et qui, en le faisant, a changé la face du rock’n’roll. Dee Dee était l’archétype du raté dont la vie était un désastre. Il a été prostitué, pseudo-voyou, consommateur et vendeur d’héroïne, complice dans un vol à main armée – et poète de génie destiné à une mort prématurée, dont la vie a été sauvée par le rock ‘n’ roll.
Autant le dire tout de suite : je doute qu’on verra un nouveau Dee Dee Ramone débarquer de sitôt. Le rock d’aujourd’hui est trop propre. Et si je devais émettre un diagnostic sur les souffrances de Dee Dee, je ne saurais vraiment pas quoi dire. Il était à ce point unique.
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L’interview qui suit a été faite en 1989, quelques mois après qu’il ne quitte les Ramones. Il m’a appelé et m’a dit qu’il voulait vider son sac. Et parce qu’on était amis depuis 1976, j’ai été content de le laisser parler – ce qu’il a fait pendant près de dix heures.
DEUTSCHLAND ÜBER ALLES
Mes parents s’engueulaient beaucoup. Je ne veux pas revenir dessus, mais je m’en garde des souvenirs très précis – je veux dire je me souviens de plein d’autres choses ignobles, et de quelques trucs bien aussi – mais, globalement, j’ai eu une enfance plutôt triste.
Pour oublier tout ça, je m’étais fabriqué un monde imaginaire. J’ai grandi en Allemagne et quand je suis allé à l’école, j’ai raté mon CP et je n’y suis plus jamais retourné. En fait, j’ai essayé d’y retourner le semestre suivant, et tous mes potes étaient en CE1 – alors j’ai filé en douce au bout du couloir – et ils m’ont demandé, « Tu vas où ? »
Je leur ai dit « Je rentre chez moi ! »
Ça c’était à Munich, c’était une école de l’armée américaine pour les enfants de militaires qui étaient postés là-bas. On n’habitait pas au centre-ville, on vivait en banlieue, et il y avait des terres agricoles et pleins de maisons bombardées et ce genre de trucs. Je traînais dans le coin et je jouais sur des balançoires – j’imaginais pleins de choses intenses – je me prenais pour un pilote de chasse.
J’ai aussi vécu à Pirmasens, qui est un petit village sur la frontière française. Le côté Allemand s’appelait la Ligne Siegfried et le coté français la Ligne Maginot. Je déambulais souvent autour des vieux bunkers et je regardais s’il y avait des reliques de guerre. J’en ramassais tout le temps : des vieux casques, des masques à gaz, des baïonnettes et des ceintures de mitrailleuses. Ça a duré un an, après j’ai commencé les à vendre – mais je jouais avec aussi.
J’ai toujours été fasciné par les symboles nazis – que je trouvais régulièrement dans les décombres en Allemagne. Ils étaient tellement cools. Ils étaient tellement beaux. Ça faisait vraiment super chier mes parents.
Une fois mon père a dit un truc vraiment ridicule. J’avais trouvé une épée Luftwaffe qui était splendide, et je savais que j’aurais pu la garder ou la vendre une fortune, au moins 80 marks. Quand je l’ai ramené chez moi, mon père s’est crispé et m’a sorti un truc super malsain genre « As-tu conscience du nombre de nos gars qui sont morts à cause de ça ? ».
Je me suis dit, ok, ce mec est un vrai trouduc. Je ne croyais pas mon père capable d’un truc aussi pathétique. A compter de ce jour, je l’ai considéré comme une putain de blague – et je n’ai plus jamais eu peur de lui.
LES DROGUES
Je ne sais plus comment je me suis mis à la morphine – j’imagine que j’étais au mauvais endroit au mauvais moment. J’avais pleins de copains américains en Allemagne, leurs pères étaient soit dans le Département d’Etat, soit dans l’Armée de l’Air. Ils étaient tous très jeunes et très excités par le fait de vivre dans un pays où on pouvait boire de l’alcool à n’importe quel âge.
Alors ils buvaient tous. Mais je ne traînais pas trop avec eux. Je préférais passer du temps tout seul dans mon monde imaginaire, tu vois ? Je ne voulais pas qu’on me dérange. J’ai toujours considéré le fait de prendre des drogues comme une activité très solitaire. Je le faisais toujours tout seul, généralement dans un couloir ou sur un toit.
J’ai commencé par la morphine – il n’y avait pas d’herbe ou d’héroïne ou de trucs du genre en Allemagne. J’ai commencé très tôt, vers 12 ans. J’échangeais des poignards et d’autres trucs contre des syrettes de morphine avec des soldats que je connaissais. J’allais dans les bases de l’armée et je faisais mon troc là-bas. Ils vendaient ça dans de grandes bouteilles en plastique, 50 cents les 2,5ml. On allait au centre commercial du coin et on se défonçait là-bas – tout le monde se défonçait là bas, c’était le carnage. Mais c’était bien, parce qu’il y avait des toilettes propres.
C’est marrant, mais je n’ai pas fumé d’herbe avant l’âge de 15 ou 16 ans – en gros, le moment où je suis arrivé aux États-Unis. Je n’aimais pas l’alcool. J’ai essayé quelques fois – mais je n’ai jamais vraiment su boire.
Souvent, mes parents me foutaient dehors. Ils se foutaient de ce que je faisais, tant que je ne jouais pas de la guitare à la maison. J’ai commencé à en jouer vers 12 ans. Je voulais vraiment en jouer. Je ne sais pas pourquoi. J’ai écouté du rock très tôt parce que ma mère adorait ça – elle me disait toujours quoi écouter. C’est elle qui m’a fait découvrir les Beatles, Ricky Nelson, et tout le reste.
Mais le vrai truc ça a été quand les Rolling Stones sont venus s‘interposer entre ma mère et moi. Je savais que ma vieille ne pouvait pas les écouter, tu vois ? Ensuite quand j’ai déménagé aux États-Unis, j’ai entendu Jimi Hendrix pour la première fois. C’était en 1966 ou 67, quelque chose comme ça. Là, j’ai su que j’avais trouvé MA musique.
L’AMÉRIQUE
Je détestais les Etats-Unis – les enfants n’étaient pas cools, ils s’habillaient mal. Il n’y avait pas l’air d’avoir une culture jeune très développée – et la culture jeune qu’ils avaient ne vendait franchement pas du rêve. Tout semblait sortir d’une chaine de montage. Il y avait des trucs supposément cools où tout le monde allait, comme ces maudits head shops (boutiques fourre-tout où l’on vendait des fripes, du tabac, des feuilles à rouler, des publications alternatives et quelques drogues légales). Je n’ai jamais accroché.
Plus tard, quand j’ai commencé à mieux savoir qui j’étais, j’ai commencé à aller en boîte. C’était les débuts du disco à New York. Il y avait ces clubs où les jeunes espagnols et italiens sortaient à la fin des années 60. C’était des clubs pour gamins – la plupart étaient de simples bars sans alcool. Mais ils faisaient partie des premières discothèques – comme le Sanctuary, Superstar et Tamburlaine. C’est là où j’allais. Et j’y allais vraiment méga-sapé. La totale.
Quand j’avais 15 ans, j’ai fait du stop jusqu’en Californie, mais je me suis fait arrêter en chemin. J’ai pas super envie de revenir là-dessus, mais je vais en parler vite fait. Je me suis fait arrêter en Indiana pour vol à main armée. J’ai demandé à mon père s’il pouvait payer une petite caution pour me faire sortir. C’est la première fois que je lui demandais quelque chose, tu vois ? J’étais désespéré. J’avais très peur, c’était un endroit vraiment craignos. Et mon père m’a dit, « Vas te faire foutre, tu peux rester moisir là-bas ! Tu le mérites ! ». Et il a raccroché.
Je suis resté là-bas un bon bout de temps. C’était dur.
En fait, je faisais du stop et je suis tombé sur ces mecs qui venaient de Flint, dans le Michigan. Ils étaient complètement tarés et ont commencé à m faire un peu peur. Ils n’arrêtaient pas de parler de trucs dégueulasses, n’arrêtaient pas de dire qu’ils voulaient couper la tête de quelqu’un. Ils voulaient étrangler quelqu’un. Ils avaient du fil de fer et ils voulaient étrangler quelqu’un.
Ils se sont finalement arrêtés à une station essence à South Bend dans l’Indiana, où ils ont fait un hold-up. On s’est tous fait arrêter.
La police nous est tombée dessus parce que le type qui conduisait a voulu pousser leur caisse pourrie à fond et il a calé. On a tous pris cher.
Quand je suis finalement sorti de prison, je suis allé à Chicago. Je me suis débrouillé pour chopper un ticket de bus, parce que ça me rendait trop parano de refaire du stop. Je voulais vraiment pas voir de flics. Je ne sais plus dans quelle direction j’ai pris le bus – quelque chose comme Amarillo, au Texas. Et puis je suis allé sur l’autoroute et j’ai recommencé l’auto-stop.
Je suis tombé sur des gens très sympas avec qui je suis allé jusqu’à Newport Beach, et c’est là que j’ai passé ma première nuit en Californie. La nuit d’avant j’étais à Las Vegas je me souviens avoir pensé, « Mec, il faut que je parte d’ici ; c’est le pire endroit de la Terre ! »
Donc le jour d’après j’ai pris de la mescaline et je suis arrivé à Los Angeles raide défoncé. J’aimais pas le Sunset Strip, alors j’ai fait du stop de Sunset Boulevard à la Route 1, que j’ai ensuite remontée jusqu’à Big Sur. Je suis allé à cet endroit appelé la Gorge. L’accès n’était pas facile, il fallait nager jusqu’à l’entrée et marcher le long d’un ruisseau, sous les falaises – et puis ça s’ouvrait sur des bois magnifiques. J’y ai vécu comme un Indien pendant des mois, jusqu’à ce que je retourne à Los Angeles.
J’avais tellement voyagé en Europe et à travers le monde – je ne me suis jamais vraiment remis de ces chocs culturels. J’avais du mal à trouver ma place – et je n’aimais vraiment pas l’Amérique. Et je n’aimais pas la Californie non plus. C’était vraiment trop bizarre.
Je faisais du stop vers le Tapanga Canyon et ce motard m’a pris en route. Il m’a demandé, « Tu vas où ? »
J’ai répondu « Nulle part, je zone».
Alors il m’a amené sur les collines – et en haut de la colline il y avait ce plateau avec des tas de groupes électrogènes et des amplis. Il y avait un groupe de musique bizarre, qui jouait de la musique vraiment psychédélique et ils m’ont demandé si je voulais un peu d’acide. J’ai dit ok, et j’en ai pris un peu, mais quand ça a commencé à monter, j’ai pas vraiment aimé. Du coup, j’ai demandé à partir, et le motard m’a fait : « Bien sûr je t’amène! ». Il roulait à genre 3000 km/h sur un petit chemin qui serpentait le long de la montagne – C’était horrible.
Puis j’ai fini par prendre du STP ou un truc du genre – et j’ai fait un trip cauchemardesque de quatre jours. À la fin, quand j’ai commencé à bien redescendre, je suis allé chez ce barbier sordide et je lui ai demandé de tout me couper ! [Rires]
LES RAMONES : LE DÉBUT
Il fallait que je fréquente des gens différents en fonction des drogues que je voulais prendre. Joey Ramone ne prenait pas de drogue. Il a essayé, mais il n’y arrivait pas. Il paniquait. Une fois, après avoir fumé de la weed, il s’est mis à convulser sur le sol en position fœtale, en hurlant « Je pète un câble ! Je pète un câble ! »
À l’époque, Joey peignait – il hachait des carottes et la laitue et des navets et des fraises et mélangeait le tout pour peindre avec ! [Rires] Ses peintures étaient très bonnes – et puis il essayait de faire des cassettes avec tout un tas de sons différents. Ses parents avaient un appartement au 20ème étage, il y avait des éclairs dehors et il a placé un micro sur le balcon pour enregistrer le tonnerre – et la foudre a frappé le micro et a tout brûlé ! Il me faisait venir, dribbler avec une balle de basket pendant une demie-heure pour l’enregistrer. Puis il l’écoutait toute la journée dans un état second.
Joey et moi, on avait l’habitude de se poser sur les marches de la banque sur Queens Boulevard avec une bouteille de vin – pendant que John allait se planquer dans le couloir sniffer de la colle. Alors John était excité et Joey était crevé – enfin bref.
Johnny Ramone avait cessé de prendre des drogues dures à ce moment-là. C’était vraiment un fumeur d’herbe. Ça a été la première personne qui m’a fait fumer de la vraiment bonne weed – personne ne connaissait la bonne weed à l’époque, à part John. Il disait: « Dee Dee, je te promets, trois barres de ce truc et tu seras vraiment perché ! »
Je disais « OK », et il avait raison.
Ouais, il y avait beaucoup de colle, de Tuinal et de Seconal – c’était la teuf ! Tu pouvais pas sortir la tête du sac ! On appelait des numéros sur le téléphone, ça faisait, « Bip, bip, bip , bip, bip », et on écoutait ça pendant des heures. Puis on reniflait un peu plus de colle, parce qu’on connaissait les numéros à composer pour entendre ces sons étranges.
John était ouvrier dans le bâtiment au 1633 Broadway, et je me suis fait transférer là-bas. J’étais préposé au courrier dans le bureau de l’immeuble. Je déballais le courrier dans la matinée et je le triais. J’avais mon panier et je répartissais le courrier en fonction de l’organisation des bureaux de l’office. Je déposais le courrier, je bavardant un peu avec les gens – et puis je recommençais, environ dix fois par jour. Donc John et moi on se retrouvait tous les jours pour le déjeuner et généralement on allait au Métropole boire quelques bières. Le Metropole était un bar go-go, et quand on était un peu bourrés on allait au magasin d’à côté mater les guitares. Mais je trouvais ça nul d’être dans un groupe. Je pensais qu’il valait mieux travailler, tu vois, s’accrocher à son job.
Et puis un jour de paye, on a acheté des guitares et décidé de monter un groupe. John a acheté une Mosrite et j’ai pris une Danelectro.
C’est Tommy Ramone qui a vraiment lancé le truc. Les Ramones ne seraient rien sans Tom. On était vraiment des novices, on n’avait aucune idée de comment faire les choses, mais Tommy pouvait vraiment être hyper chiant. Tommy était un control freak, il était comme une mère perpétuellement en colère contre ses gosses.
Tommy a fini par craquer très tôt. Tous nos batteurs ont craqué. Tous les deux ans, un batteur se cassait – et le reste du groupe était super content, parce qu’on se débarrassait de quelqu’un. La seule consigne qu’on leur donnait c’était « joue plus vite ». Chaque nouveau batteur devait jouer plus vite que le précédent.
Une fois on était devant un hôtel et un fan est venu vers nous. Il a sorti un stylo et a demandé un autographe a Tommy. Tommy lui a dit « C’est pas un couteau, si ? Tu vas pas me poignarder, hein ? »
Les concerts des Ramones, surtout les tous premiers en Angleterre, étaient hyper violents. Et Tommy était tout petit alors c’était vraiment dur pour lui. John était très méchant avec Tommy, et puis Joey a commencé à faire pareil. Je m’entendais bien avec Tommy parce que je n’étais évidemment pas en compétition pour être le chef du groupe – alors que Joey et John se battaient sans relâche pour ça.
Je me souviens la première fois qu’on a joué hors de notre ville et que je n’ai pas pu toper de drogue ce matin-là. On est allé dans un endroit atroce de Nouvelle-Angleterre, sur l’océan, un bar horrible qui s’appelait le Frolics, un dancing sordide qui puait la bière, tu vois ?
J’étais en train de tomber malade. C’était l’hiver, il faisait froid – après ça on est allés dans un motel minable. J’ai été dans pas mal d’endroits craignos, mais ce motel était vraiment hyper dégueulasse. En plus, j’étais fiévreux, j’étais en sevrage. Alors j’ai pris une couverture et je l’ai mise au-dessus du lavabo et j’ai commencé à faire couler l’eau. Et je me suis assis sous la couverture, sous l’évier. J’essayais de m’imaginer que j’étais assis sous une chute d’eau, juste pour oublier l’endroit où j’étais.
On voulait à tout pris se casser, mais on avait un seul van. On a du rester là-bas trois jours et le troisième, j’étais une épave. On détestait être loin de New York et cette nuit a été la plus froide de ma vie. Et quand on a arrêté de jouer, ce flic est venu vers nous et a sorti son énorme flingue, et nous a dit : « Vous feriez mieux de continuer à jouer ! »
Il était vraiment bourré et ça a duré genre une heure. On voulait partir mais c’était le bordel absolu. Donc le lendemain matin, on a appelé Danny Fields, notre manager, et on lui a dit : « Danny, on ne fera plus jamais ça ! »
Et il a juste dit : « Ok, vous jouez ici ce soir et là-bas demain ! »
CHINESE ROCKS
J’ai écrit cette chanson pour faire chier Richard Hell, parce qu’il m’a dit qu’il allait écrire une chanson meilleure que « Heroin » de Lou Reed. Alors, je suis rentré chez moi et j’ai écrit « Chinese Rocks ». Je l’ai écrit tout seul, dans l’appartement de Debbie Harry au croisement entre First Avenue et First Street. J’ai toujours écrit mes chansons avec les mêmes couplets et refrains, comme « 53rd & 3rd ». C’est toujours la même chose – pour que je puisse recaser à chaque fois « My girlfriend’s crying in the shower stall ».
Puis je l’ai prise et je l’ai montrée à Richard Hell – et il a ajouté un truc, il a mis cette phrase : « It’s hot as a bitch, I shoulda been rich, I shoulda been digging a Chinese ditch », c’est pour ça qu’il est crédité sur ce morceau. On était constamment en compétition les uns avec les autres, et il en a tiré parti, parce que c’est un beau parleur, un type très intelligent. Il voulait à tout prix être le mâle alpha, même s’il ne l’a jamais vraiment été, tu saisis ? Les gens qui ont utilisé ma chanson – de Lee Childers à Johnny Thunders, en passant par Richard Hell – ils ne m’ont jamais vraiment respecté en tant qu’écrivain.
Johnny Thunders me saoûlait avec cette chanson – il était super pénible avec ça. Ce mec était bon dans tout ce qu’il faisait, alors pourquoi s’en prendre à ma chanson ? Je veux dire, j’adore sa chanson « I Love You », je pense que c’est une chanson géniale, mais je ne sais vraiment pas pourquoi il m’a volé « Chinese Rocks ».
Je veux bien croire que « Chinese Rocks » est un bon morceau – mais franchement, ce n’est pas la meilleure chanson du monde.
Les Ramones m’ont dit qu’ils ne joueraient pas « Chinese Rocks ». J’avais un appartement sur 10th Street avec cette fille Pam, avec qui je sortais. Un soir, Jerry Nolan est venu me voir, je lui ai montré la chanson et Jerry a dit : « Parfait ».
J’ai donc donné la chanson à Jerry et j’ai dit : « Bah jouez-la les mecs »
Et puis les l’album « L.A.M.F. » des Heartbreakers est sorti, et ils avaient tous leurs noms sur la chanson. Je pense que tout le monde sait que c’est vraiment dur d’être un junkie, mais je ne sais vraiment pas pourquoi il me l’a volé cette chanson.
SID VICIOUS
Sid avait pour habitude de me suivre partout quand on était à Londres. Il n’était pas dans les Pistols à l’époque – et il était hyper gentil. C’était juste un gamin, tu vois ? Il n’était pas fou, il était très gentil, très innocent.
Et puis, un soir, il y a eu cette grosse fête – c’était l’été, et à Londres, il n’y avait pas la clim. C’était là où tout le monde faisait ses soirées, ça s’appelait Country Cousin ou Country Club. Ils servaient simplement de la bière et du vin et tout le monde était fracassé. Les chiottes entières étaient remplies de vomi, de pisse et de merde – dans l’évier, dans les toilettes, par terre – partout !
C’était vraiment dégueu, et John Lydon ou quelqu’un d’autre m’a demandé: « Dee Dee, t’as besoin de quelque chose? »
J’ai dit : « Ouais, je veux du speed ! »
Alors, tout d’un coup je me suis retrouvé avec une tonne de speed dans la main. J’ai commencé à sniffer comme un fou, j’étais complètement défoncé, et j’ai croisé Sid qui m’a demandé : « T’as un truc pour qu’on se défonce ? »
J’ai dit : « Ouais, j’ai un peu de speed. »
On est donc allés dans la salle de bain et Sid a sorti ses outils. Il a bourré sa seringue de speed – après quoi il l’a plantée dans les chiottes avec tout le vomi et la pisse dedans et il s’est injecté le bordel, à froid, sans sourciller.
Je suis resté sur le cul. A ce stade, j’avais déjà vu pas mal de trucs mais alors ça…– et lui, il m’a lancé un regard un peu étourdi après quoi il m’a demandé : « Mec, où t’as eu ce truc ? »
PHIL SPECTOR
Travailler avec Phil Spector c’était un cauchemar. Déjà, on n’avait pas une thune. Ça faisait quatre-cinq ans qu’on était ensemble et on était fauchés. On était dans un motel pourrave à Culver City – avec juste assez d’argent pour acheter deux maudits Tuinals et une bière tous les jours. Et Phil était complètement fou, je n’ai jamais rencontré quelqu’un de plus barge que lui. On le détestait et on détestait sa musique, mais lui m’aimait beaucoup.
Il sortait tout le temps des armes à feu, et il avait deux gars avec lui qui étaient armés de la tête aux pieds. Johnny Ramone a géré le truc – il a dit à Phil d’arrêter avec ça, sinon on partait. Alors Phil a dit : « OK les gars, allez-y, cassez-vous ! Je ne vous laisserai pas partir ! ». On est restés assis là pendant deux jours. Il nous tenait en otage avec ses flingues, et on a dû rester là dans le salon, à l’écouter jouer « Baby, I Love You » sans discontinuer. [Rires]
Je ne sais pas ce qu’il buvait. Je ne pouvais pas le savoir parce qu’il buvait dans ce grand gobelet d’or incrusté de bijoux, on aurait dit Dracula avec son verre de sang, alors je lui ai dit « Phil, fais-moi gouter ça… »
Et il a dit : « OK, Dee Dee » et c’était du vin casher.
Je le détestais. Je n’aime pas parler de lui. Je n’aime pas les gens du monde de la musique qui cherchent désespérément à prouver quelque chose et finissent par devenir amers. Il était tout ça à la fois.
L’enregistrement a été un cauchemar, ça n’aurait pas pu être pire. Une fois, il a fait jouer à John les premiers accords de « Rock ‘n’ Roll High School » pendant quelque chose comme sept ou huit heures. Phil était assis là, à écouter dans un état second, et enfin Johnny lui dit: « Ecoute, je laisse tomber, je retourne à New York ! »
Phil a dit : « Non, essaie encore, il y a quelque chose que j’essaye d’entendre. » Et il était assis là, hébété – ça sonnait exactement pareil à chaque fois que John le jouait, je ne sais pas ce qu’il voulait entendre.
Phil était toujours super violent quand j’étais là. J’avais l’impression de faire ressortir quelque chose de mauvais en lui. Il semblait toujours être en compétition avec moi comme s’il voulait me prouver qu’il était plus viril que moi, alors que je m’en foutais. Et puis, un soir, j’en ai eu marre et je l’ai remis à sa place. J’ai été super dur avec lui – mais je devais le faire. J’en avais assez.
L’album a pris une éternité à démarrer car Phil ne voulait même pas nous dire où nous allions enregistrer. Puis, finalement, il nous a donné une liste de trois studios, tous situés à 50 miles de distance, et nous a dit : « Appelez celui-ci tous les jours à telle heure et ils vous diront à chaque fois dans lequel nous enregistrerons ».
Il était parano à ce point. Il a loué trois studios – il a réservé des sessions dans les trois studios, qu’il a payé d’avance. Quand il sortait de chez lui, c’était toute une organisation entre ses armes et ses gardes du courp.
End of the Century a été notre disque le plus vendu, mais il a presque ruiné notre carrière parce que les gens qui ont acheté l’album venaient nous voir pour entendre « Baby, I Love You », et dès qu’on commençait à jouer, ils se cassaient. Sur la tournée qui a suivi, on jouait dans des salles à moitié vides, on hallucinait complet. Ce n’est que quelques années plus tard, quand j’ai écrit « Too Tough To Die », qu’on a commencé à remonter la pente .
On revenait de la maison de disques à New York un soir avec le groupe et ils ont mis sur un morceau de End of the Century dans la voiture, je crois que c’était : «I’m Affected ». Je ne pouvais pas croire à quel point c’était nul ! C’était horrible ! Et je n’aimais pas du tout notre version de « Baby, I Love You ». Mais alors pas du tout.
Quelques-unes des pires merdes que j’ai écrites sont sur cet album. Je ne veux même pas te citer les titres des chansons, mais c’est vraiment le pire de ce que j’ai pu faire. Après avoir écouté cet album, j’ai dit : « Plus jamais ! »
QUITTER LES RAMONES
Je ne sais plus quand j’ai quitté les Ramones, je ne m’en souviens pas. Il y a eu beaucoup de changements dans ma vie durant les cinq ou six derniers mois que j’ai passé avec le groupe. J’ai quitté ma femme, j’ai quitté le groupe, et j’ai quitté ma petite amie – c’était difficile, tu sais ? Je devais le faire parce qu’il fallait que je devienne enfin moi-même. Je ne suis pas une marionnette – je ne voulais plus être un petit garçon. Je ne voulais pas grandir, et beaucoup de choses me saoulaient avec les Ramones.
Un truc qui a toujours été important à mes yeux, c’est d’être moi-même. Je n’écris pas pour être associé à un certain style ou à une image bien définie. J’écris ce que je ressens au moment où je le ressens. J’écris de façon courante. Je ne cherche pas à recréer le passé. C’était ça qui était important dans les Ramones. Et c’était difficile à gérer.
J’étais aussi fatigué de mon look de gamin – coupe au bol et perfecto. Et franchement, je nous trouvais ridicules. On était rien de moins que quatre trentenaires qui essaient de se faire passer pour des délinquants juvéniles.
La seule chose pour laquelle ça vaut le coup de lutter, c’est pour devenir un homme. Savoir si tu veux devenir un adulte ou non. Je pense que c’est mieux d’être un adulte – être en paix avec soi-même et ne pas s’accrocher désespérément à des choses qui appartiennent au passé.
J’en avais juste marre de jouer dans un groupe revival. Tu vois, je voulais dire des trucs sur la vie, des trucs positifs. Je ne sais pas si ce que je faisais à l’époque était juste – et je ne pense pas que les jeunes qui achetaient les albums voulaient entendre ce que j’avais à dire de toute façon. J’aurais été capable d’écrire des chansons sur le fait de se mettre à genoux et de prier pour la paix, tu sais ? C’est vraiment ce que je ressentais à l’époque – mais c’était impossible de le faire avec les Ramones, car ils étaient très sectaires, bourrés de préjugés, très réacs. Moi j’étais plutôt à gauche, politiquement. Ça aurait causé des ennuis.
Personne dans le groupe ne voulait grandir à part moi, ce qui est assez bizarre parce que j’étais paradoxalement le plus autodestructeur des Ramones. Je passais mon temps à foutre la merde. Je leur ai fait beaucoup de mal, mais quand je leur faisais du mal, ils me le rendaient au centuple.
Les Ramones ne représentent rien d’autre que de la haine pure.
Alors, maintenant que je peux écrire ce que je veux et que je n’ai plus à me censurer, il y a tous ces trucs incroyables qui sortent et dont j’ignorais l’existence. J’ai toujours su que je pouvais écrire de bonnes chansons. Mais quand j’écoute un album des Ramones aujourd’hui, il y a vraiment très peu de choses qui me plaisent.
Il y a toutes ces chansons d’amour qu’écrit Joey, où il se lamente sur son cœur brisé. Je trouve ça terriblement embarrassant. J’ai toujours pensé qu’une rock star ne devait jamais avoir le cœur brisé. Tu dois briser les cœurs et être un tombeur, pas être un pleurnicheur. Et c’est tout ce que Joey faisait dans ses chansons, pleurnicher. Ça me faisait chier.
Alors j’ai essayé d’écrire des trucs plus sérieux. Je pense que je le faisais juste pour qu’ils comprennent. Mais au final, tout ce dont le rock ‘n’ roll a besoin, c’est de trois mots et d’un refrain.
Et ces trois mots devraient être assez bons pour tout dire.
En 1975, Legs McNeil a co-fondé le Punk Magazine, qui est une des raisons pour lesquelles vous utilisez ce mot aujourd’hui. Il a également écrit Please Kill Me, ce qui fait de lui un genre de Studs Terkel du punk. Parallèlement à son travail de chroniqueur pour VICE, il écrit également sur son blog personnel, pleasekillme.com
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