Une semaine avec des nettoyeurs de laboratoires de crystal meth

En général, quand le pick-up de Jennifer McQuerrey Rhyne déboule devant une maison, cela signifie que les voisins n’y ont pas vu la moindre activité depuis des semaines entières. Son camion Toyota est parsemé d’autocollants faisant la promotion de son site, www.wvmethcleanup.com, ce qui ne laisse aucun doute planer sur les raisons de sa venue. Souvent, les gens du quartier se ruent vers elle pour lui demander des informations sur les anciens locataires du laboratoire de méthamphétamine qu’elle est venue nettoyer.

En décembre dernier, je suis allé la suivre pendant sa journée de travail. Quand je suis arrivé à Clarksburg, en Virginie-Occidentale, Jennifer m’attendait devant un appartement situé au rez-de-chaussée. Elle n’avait pas encore revêtu sa tenue de travail, mais ses deux associés, Heath Barnett et Joe McQuerrey – son père – portaient déjà leurs bottes et leur combinaison de protection, le visage dissimulé sous d’imposants masques à gaz. Ils ont vidé l’appartement de son matériel, qu’ils ont ensuite déposé à l’arrière du pick-up. La porte était restée entrouverte, me laissant apercevoir une partie de la cuisine. Jennifer attendait la mère du propriétaire de l’appartement, qui était censée venir les payer.

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Un type portant un survêtement et un sweat à capuche criblé de trous de cigarettes s’est approché. Il a évoqué l’ancienne locatrice, que j’appellerais Rachel.

« Rachel traînait dans des trucs louches, a-t-il déclaré. Elle postait des annonces d’escort sur BackPages.com et voyageait un peu partout dans le pays. »

Cheveux teints en rouge et piercing au coin de la lèvre, Jennifer, du haut de ses 43 ans et de ses 1m50, l’a patiemment écouté. Elle est habituée à entendre de ce genre de récit. Les gens viennent fréquemment la voir, dans l’espoir d’entendre quelques ragots, d’apaiser leurs inquiétudes ou de récupérer leurs créances.

« Depuis qu’elle vit ici, j’ai dû lui prêter 800 dollars », a expliqué le type en survêt. « J’ai entendu qu’elle louait une chambre dans une maison de Bridgeport, et je me demandais si vous en saviez plus là-dessus.

– Non, je ne sais rien, a répondu Jennifer avec un sourire, tout en consultant son téléphone.

– J’aimerais au moins récupérer mon matelas gonflable, a ajouté le type.

– Je suis désolée, mais on doit tout envoyer à la déchetterie. La méthamphétamine a tout contaminé.

– Bon, OK, je peux comprendre », a rétorqué le type avant de partir.

C’est à cause de rencontres comme celles-ci que Jennifer garde un Ruger 380 dans son pick-up. Mais elle sort rarement son pistolet. En réalité, elle ne l’a emmené qu’une seule fois avec elle, alors qu’elle devait nettoyer l’appartement d’un immeuble en ruines occupé par une horde de toxicomanes.

Sauf mention contraire, toutes les photos sont de l’auteur

Ce laboratoire de Clarksburg est un cas très particulier, car il n’a pas été découvert par la police. Rachel s’est évaporée du jour au lendemain – après un loyer impayé, le propriétaire a envoyé un agent d’entretien pour voir ce qu’il s’était passé. Il a déverrouillé la porte et trouvé des cuillères et des seringues éparpillées dans le salon.. Le sous-sol abritait tout le matériel nécessaire à un producteur amateur de crystal meth : du sel, des pains de glace, du Destop et des bouteilles de soda de duex litres dont un tuyau sortait des goulots.

« J’ai prévenu la police et ils m’ont dit de sortir d’ici », m’a raconté l’agent de maintenance, qui préfère garder l’anonymat. « Je commençais à avoir des maux de tête et la nausée. »

Ce n’est pas une scène rare en Virginie-Occidentale. Comme beaucoup de populations rurales à travers les États-Unis, les habitants y fument une quantité impressionnante de méthamphétamine. En 2013, 533 laboratoires de méthamphétamine ont été découverts dans cet État. À la fin du mois de novembre 2014, les chiffres étaient en baisse de 40 %, avec seulement 290 installations saisies – mais la consommation de drogue demeure une pratique bien ancrée sur cette terre parcourue de rivières et de collines où la densité de population atteint rarement les 500 habitants au kilomètre carré. La méthamphétamine de Virginie-Occidentale ne provient plus uniquement de laboratoires improvisés. La préparation requiert des médicaments contre le rhume et la fièvre, de l’ammoniaque déshydratée, de l’eau et d’un métal nécessaire à la réaction, le tout, agité et secoué dans une bouteille. Nul besoin d’être Walter White pour appliquer ce procédé, qui confine l’espace de stockage à un placard, un coffre de voiture ou un sac à dos.

Peu importe sa taille, à chaque fois qu’un laboratoire est découvert et que la police a exclu tout risque d’explosion, la loi exige qu’il soit démantelé par une entreprise agréée. Pour l’entreprise de Jennifer, Affordable Clean Up LLC, qui est la seule en Virginie-Occidentale à se consacrer uniquement aux laboratoires de meth, cela implique une entrée d’argent régulière. (Les sociétés de décontaminations industrielles sont aussi habilitées à le faire.) Depuis 2012, ils ont nettoyé en moyenne une vingtaine de sites par an. Le prix moyen d’une intervention tourne autour de 8 500 euros, généralement payé par le propriétaire ou l’agence qui gère le bien.

Seulement un peu moins de 3 500 euros sont revenus à Jennifer pour le nettoyage de ce logement de Clarksburg. Elle en a testé chaque pièce, et seulement trois d’entre elles contenaient suffisamment de résidu de méthamphétamine pour requérir une décontamination – un niveau fixé par l’État de Virginie-Occidentale à 0,1 µg/m². À partir de ça, elle a rempli le formulaire du Département de la Santé et des Ressources Humaines et attendu le feu vert pour procéder au nettoyage. Cette démarche peut prendre plusieurs semaines, ce qui agace considérablement les logeurs.

Ces propriétaires ont fait « le bon choix », selon Jennifer. « La plupart d’entre eux auraient simplement tout jeté sans jamais rien dire à qui que ce soit », a-t-elle ajouté.

Jennifer est elle-même propriétaire d’une douzaine de logements et a pratiqué la spéculation immobilière pendant une vingtaine d’années. C’est cette situation qui lui a donné l’idée de se lancer dans ce business. Un jour, elle a assisté à un séminaire organisé par un membre officiel du Programme de Démantèlement des Laboratoires Clandestins du Département de la Santé et des Ressources Humaines. Il a expliqué comment détecter les signes d’existence d’un laboratoire et les obligations des propriétaires qui étaient confrontés à ce type de situation. Mais c’est un commentaire spontané qui a retenu l’attention de Jennifer.

« Il a dit, ”Quand j’aurai ma retraite de fonctionnaire, je me lancerai dans ce business” [de décontamination] ». Jennifer se souvient avoir pensé : « Je me vais faire plein d’argent ! »

Jennifer a un diplôme en économie des entreprises et a toujours cherché une activité flexible pour voir sa fille plus régulièrement. Alors pourquoi ne pas décontaminer des vieux laboratoires de méthamphétamine ?

Elle s’est donc informée sur les qualifications requises et a recruté son père, directeur d’école primaire, et Heat, un agent de maintenance pour l’une de ses propriétés. Ils se sont frayé un chemin au travers des formations et des certificats : 300 euros de cours sur la manipulation des produits dangereux, 685 euros le programme sur les risques spécifiques aux sites de meth, une licence d’entreprise de 260 euros par an et un certificat annuel de 40 euros pour chaque employé. En Virginie-Occidentale, toutes ces formalités sont nécessaires pour passer le pas de la porte d’un laboratoire de meth après une descente de police.

Malgré tous ces prérequis, le processus de nettoyage d’un laboratoire n’est pas si compliqué. Le produit que Jennifer et son équipe utilisent est un mélange de nettoyant pour tapis, de dégraissant et de liquide vaisselle. De même que les ingrédients pour fabriquer la méthamphétamine, ils peuvent être achetés dans n’importe quel magasin. Le produit est ensuite vaporisé sur toutes les surfaces. « Après, on récure tout ce qu’on peut », m’a expliqué Jennifer. Il faut généralement vaporiser et gratter trois fois avant que les résidus deviennent inférieurs aux normes de l’État.

Cette norme est peut-être exagérément prudente. En 2009, l’Agence fédérale de Protection de l’Environnement (APE) concluait que 1,5µg/m² – 15 fois la quantité de résidus de meth autorisée en Virginie Occidentale – correspondait au seuil de dangerosité pour l’homme et recommandait d’appliquer cette norme. Mais cela reste une suggestion, et les lois sur la contamination de meth varient énormément en fonction des Etats. Certains États comme le Minnesota, le Kansas, la Virginie, la Californie ou d’autres se sont pliés aux recommandations de l’APE. D’autres, comme le Nebraska, Washington, l’ Alaskaet la Virginie-Occidentale appliquent une norme plus sévère fixant le seuil à 0,1 µg/m². D’autres états établissent le seuil entre les deux.

Au final, toutes ces mesures ne représentent même pas le poids d’un grain de riz, mais les différences entre elles peuvent représenter des dizaines de milliers de dollars quand un laboratoire est retrouvé dans une propriété.

Prenons par exemple une dame d’un certain âge, dont la maison fut nettoyée par Jennifer. Elle habitait avec son petit-fils adulte qui fabriquait et fumait de la meth. À cause de la norme des 0,1 µg/m² appliquée en Virginie-Occidentale, toute la maison était contaminée. En plus du coût élevé de l’intervention, tout ce qu’elle possédait est parti à la décharge.

« Elle a tout perdu, tout ce qu’elle avait pu accumuler au cours de sa vie, s’est rappelée Jennifer. Je voudrais demander à l’État d’élever le niveau. Tant pis si je perds mon business. J’ai vu trop de gens perdre toutes leurs possessions pour rien. »

Anthony Turner est le directeur du programme de démantèlement des laboratoires clandestins du Département de la Santé et des Ressources Humaines. S’il dit éprouver de la compassion pour les propriétaires des logements, il m’a répondu : « Lorsqu’il s’agit de santé publique, je préfère jouer la carte de la prudence. Il y a des logements où des enfants pourraient vivre. »

Tous les déchets du site de Clarksburg tenaient dans le pick-up de Jennifer. Pendant que Heath et Joe déjeunaient, Jennifer s’est rendue à la décharge.

Tout comme le nettoyage, l’élimination de déchets contaminés par la meth est étonnamment simple, quoique ralentie par la bureaucratie. Jennifer a tout déposé dans la décharge municipale, où les déchets sont ensuite enterrés. Mais avant ça, elle doit prendre en photo chaque objet et remplir un formulaire dédié, avant d’envoyer le tout à l’État

Après s’être entretenue avec des ouvriers assis sur une remorque, elle a roulé jusqu’à une benne à ordure débordante de pneus, de cuisinières, de cadres de lits et de récipients de 20 litres. Le lieu sentait un mélange d’essence et de plastique brûlé.

Jennifer a enfilé des gants, photographié chaque objet et les a balancés dans la benne.

« Ah, regarde ça », m’a-t-elle dit en extirpant une pipe à meth de son coffre. Elle en récolte tellement qu’elle ne savait même plus si celle-ci venait de Clarksburg ou d’une autre mission. Son coffre est également rempli de coquillages – elle en a trouvé un panier entier sur le site.

Nous sommes retournés en ville, où les maisons y étaient petites et bien entretenues. Pendant la semaine où j’étais sur place, deux laboratoires de meth ont été découverts là-bas.

En entrant dans ces maisons, Jennifer et son équipe voient les lieux tel que les consommateurs de meth les ont laissés après leur fuite. Et bien qu’elle ait vu quelques endroits similaires à des repaires de drogués tout droit sortis de Breaking Bad , la plupart de ces lieux ont l’air tout à fait normaux – ce qui hante beaucoup Jennifer.

« Il y a des symboles chrétiens partout, des posters de Jésus, etc. Quand on entre dans la chambre des enfants, on voit leur petit lit, paré de draps Bob l’éponge. Les gens pensent souvent que les toxicomanes vivent dans des taudis. Mais en réalité, la plupart des lieux sont immaculés. Les methheads peuvent rester debout toute la nuit pour faire le ménage. Ils ont de l’énergie. »

Photo publiée avec l’aimable autorisation d’Affordable Clean Up, LLC

À chaque fois, les nettoyeurs trouvent aisément des seringues cachées, parfois sous un tapis, parfois accrochés aux matelas. « Nous en avons vu dans des bottes pour enfants », m’a raconté Jennifer. Et une fois, à l’intérieur d’une bible dont les pages avaient été creusées. »

« Lorsque des enfants sont impliqués, ça me dérange », m’a expliqué Heath. « Ça me bouleverse un peu. Sinon, c’est juste mon travail. » Selon lui, des enfants ont vécu dans au moins 80 % des lieux qu’ils ont nettoyés.

Jennifer a passé toute sa vie en Virginie-Occidentale et a personnellement connu des consommateurs de meth : « Je ne l’aurais jamais soupçonné s’ils ne m’avaient rien dit. Des entrepreneurs en prennent et restent éveillés trois jours durant pour terminer un contrat à temps. » Aucune de ses propriétés en location n’a pour l’instant vu de laboratoire y élire domicile.

Jennifer m’a parlé de la popularité croissante de drogues dures comme l’héroïne. Elle a vu suffisamment de boîtes de cachets et d’équipements nécessaires à la prise de ces drogues pour savoir qu’elles brassent toutes de plus en plus de consommateurs. Elle a également vu assez de babioles à l’effigie de Jésus-Christ et de coussinets à fleurs pour savoir que ces drogues se frayaient aisément un chemin dans les foyers américains, même les plus banals d’entre eux.

« Pourquoi la meth est-elle si populaire ? », m’a-t-elle demandé. « Parce qu’elle défonce facilement. »