Alejandro Pesqueda rentrait de soirée vers 3 heures du matin ce samedi soir, quand un corps a failli traverser son pare-brise.
Sur le coup, Pesqueda n’est pas rendu compte que le gros sac plastique vert qui est tombé à côté de lui contenait un corps. Mais après avoir arrêté sa voiture, il s’est aperçu qu’un autre sac en forme de corps humain pendait du pont au-dessous duquel il venait de passer.
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« Si j’étais passé deux mètres plus à droite, je me le serais pris, » raconte l’animateur radio de 29 ans. « On voit ce genre de truc dans les films ou aux infos… Cet épisode m’a glacé le sang. »
Quand il a vu les sirènes de la police s’approcher, Pesqueda s’est rangé sur le côté. « Deux officiers de police sont sortis avec leurs armes, » se souvient-il. « J’ai mis mes mains en l’air, et ils m’ont demandé ce que je faisais ici. Ils ont contrôlé mon identité et m’ont dit de partir, parce que l’on pourrait mal interpréter la situation. Je suis parti effrayé. »
Mais avant ça, il a immortalisé cette scène macabre sur son smartphone et l’a uploadée sur Facebook.
Depuis que le gouvernement mexicain a déclaré la guerre au crime organisé en décembre 2006, plus de 188 000 personnes ont été tuées dans le cadre des violences liées au trafic de drogue. Dans le même temps, plus de 30 000 personnes ont disparu. Pendant le seul mois de mai, 2 186 homicides ont été commis dans le pays – il s’agit du mois le plus violent depuis 20 ans.
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La police a trouvé neuf corps dans les rues de Guadalajara dans la soirée de samedi. Six d’entre eux étaient emballés dans des sacs plastiques, et portaient un message agrafé à leur poitrine. C’était un message du Cártel de Jalisco Nueva Generación (CJNG), la principale organisation criminelle de la région, qui accusait les morts d’avoir volé des voitures, des téléphones, et des montres.
« Le nettoyage a commencé, » pouvait-on lire sur le petit mot. « On vient tous vous chercher. »
Les cartels utilisent souvent de telles pratiques pour essayer d’améliorer leur image et de se faire passer pour des combattants du crime. Mais selon les autorités locales, cette justice digne d’une milice extrême est surtout le résultat de luttes internes au sein d’organisations criminelles.
Fondé il y a environ sept ans, le CJNG s’est agressivement étendu de partout dans le pays, en attaquant des gangs rivaux, la police, des personnalités politiques et l’armée. Son rapide développement explique en partie pourquoi le taux de mortalité explose au Mexique.
Le cartel est une ramification du cartel Milenio et du cartel de Sinaloa, dont l’ancien boss – Joaquin « El Chapo » Guzman – a été arrêté l’année dernière, avant d’être extradé vers les États-Unis en janvier.
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Son arrestation a déclenché un « cercle vicieux » de violence, estime Patrick Corcoran, un spécialiste de la sécurité pour Insight Crime. L’absence de Guzman a alimenté une lutte intestine entre diverses factions du cartel de Sinaloa, explique Corcoran, ajoutant que cela a aussi renforcé les organisations rivales, qui réclament désormais les territoires du cartel d’El Chapo.
Le cartel de Sinaloa est au centre de plusieurs massacres ce mois-ci. Le premier a eu lieu le 1er juillet, quand la police de Mazatlán a tué 19 membres présumés du cartel. Aucun policier n’a été tué, et aucun suspect n’a été blessé ou arrêté. Certains craignent donc que la police aurait perpétré des exécutions extrajudiciaires. (Ce type d’accusation visant les forces de sécurité mexicaines sont relativement communes).
Une violente fusillade entre des factions du cartel de Sinaloa et de La Linea, un gang local, a fait au moins 14 morts dans l’État de Chihuahua (Nord du Mexique) mercredi dernier. Les deux groupes s’affrontent depuis des années pour contrôler la lucrative voie de contrebande qui passe par Ciudad Juárez.
Le lendemain, 28 prisonniers ont été tués lors d’affrontements dans une prison de haute sécurité d’Acapulco. Les médias locaux ont rapporté que les victimes priaient Santa Muerte, la sainte de la mort du folklore mexicain, quand des membres d’un gang rival — aidés par trois gardes pénitentiaires – les ont attaquées. Quatre victimes auraient été décapitées.
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Une bonne partie des violences actuelles découlent directement de l’instabilité du paysage criminel mexicain. Corcoran dit que les récentes élections de mi-mandat dans des États volatiles, comme le Chihuahua, le Sinaloa, et le Veracruz, pourraient avoir détruit les pactes existants entre les politiques locaux et les cartels – causant diverses luttes de pouvoir.
« L’équilibre sur lequel repose la pègre locale est très fragile, » dit le spécialiste. « La situation peut très rapidement empirer. »
Corcoran estime que le président mexicain, Enrique Peña Nieto, qui a pris ses fonctions en 2012, n’a jamais eu de stratégie cohérente contre les cartels – mis à part un « coup de pub » visant à détourner l’attention des médias des violences liées aux cartels. En 2018, des élections présidentielles vont avoir lieu, le gouvernement qui sera élu devra alors établir des solutions à long terme, dit Corcoran.
« Les autorités mexicaines ne pensent pas assez à la manière dont ils peuvent s’attaquer aux problèmes sociaux qui nourrissent la pauvreté et encouragent de nombreux jeunes à penser que le crime est la seule voie vers une vie prospère. »
Toujours secoué par sa sinistre rencontre de samedi, Pesqueda craint que la violence actuelle ait des conséquences sur les générations à venir.
« Comment expliquer des situations pareilles à nos enfants ? » se demande-t-il. « Cela devient normal pour eux. On ne peut pas s’habituer à voir des choses comme ça. »