Bienvenue dans Cuisine Confessions, une rubrique qui infiltre le monde tumultueux de la restauration. Ici, on donne la parole à ceux qui ont des secrets à révéler ou qui veulent simplement nous dire la vérité, rien que la vérité sur ce qu’il se passe réellement dans les cuisines ou les arrière-cuisines des restaurants.
Quand on devient patronne de restaurant, il faut réfléchir et agir comme une grosse connasse. On ne peut objectivement pas survivre dans ce milieu si l’on n’est pas capable de passer outre les bases élémentaires de civilité. Parfois, il faut être capable de faire des trucs un peu borderline juste pour pouvoir assurer la paye de ses employés ou pour ne pas être obligé de mettre la clé sous la porte. Il ne faut pas hésiter à user de la menace, qu’elle soit légale ou physique.
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En fait, il faut agir comme un gros dur. J’ai appris à le devenir.
Pourtant avant, j’étais quelqu’un de très gentil. La preuve, plus jeune, tout le monde m’appelait « la fille la plus gentille du monde » – mes profs, mes camarades, mes proches, mes petits copains. Les gens m’appréciaient pour mon amabilité, ma compassion et ma capacité à juger justement. Je cherchais toujours à faire plaisir, et ça me faisait plaisir en retour. En fait, c’est un peu pour cette raison que je me suis lancée dans le milieu de la restauration : je voulais servir aux gens de la bonne bouffe qui leur fasse du bien. Je voulais ouvrir un endroit qui rende les gens heureux, un endroit qui utiliserait leur argent durement gagné à bon escient : pour améliorer un peu la société.
Très heureusement pour moi, je suis parvenue à réaliser mes ambitions. J’ai ouvert quelques endroits qui ont très vite bien marché et j’ai su constituer une clientèle fidèle. J’ai donné naissance à des restaurants et à une marque en accord avec mes aspirations, c’était au-delà de mes espérances.
Il n’y a plus grand monde pour me trouver gentille à présent. Ceux qui le pensent encore sont probablement ceux qui auront peur de moi demain.
Mais ce succès a eu un prix : ma gentillesse. Quand on est patronne de restaurants pendant dix ans, on finit par mal tourner. Aujourd’hui, si tu m’arnaques, je te saigne. Si on ne m’aime pas, je n’en ai plus rien à foutre. Pire, j’en suis venue à préférer que l’on me déteste. Il n’y a plus grand monde pour me trouver gentille à présent. Ceux qui le pensent encore sont probablement ceux qui auront peur de moi demain. Ceci étant dit, je ne changerai tout cela pour rien au monde.
Quand j’ai ouvert mon premier restaurant, j’étais loin d’imaginer toutes les choses horribles que j’aurais à faire un jour. Une fois, j’ai séquestré un imprimeur pour qu’il accepte de me rembourser une partie de l’impression de la carte des menus à emporter qu’il avait foiré. J’ai été menacée de poursuites en diffamation par une chaîne célèbre de la grande distribution après m’être publiquement foutue de leur gueule dans les journaux. Je me suis définitivement brouillée avec tous les mecs des start-up de livraison de bouffe le jour où j’ai critiqué la marge indécente qu’ils se prennent sur les commandes, en leur criant un truc du genre : « Bande de fils de pute, tout ce qui vous importe c’est de rentrer en bourse le plus vite possible sur le dos des petits producteurs. »
Et, oui – vous l’aurez remarqué – tenir un restaurant m’a aussi rendu très vulgaire, même avec les clients. J’ai remarqué que la moitié de mes phrases contenaient au moins un gros mot. Je suis tout le temps tendue. Entre l’envie de bien faire, la nécessité de bien faire et le fait de devoir composer avec tout un tas d’imprévus à la con, la pression est énorme. Résultat : tu envoies chier les gens en permanence. Et puis, quand tu connais la violence des commentaires que certains clients postent sur les sites de critiques en ligne et que malgré tout, tu dois faire bonne figure en salle, c’est sûr qu’une fois en cuisine avec les employés, toute ta bonne éducation finit par passer à la trappe.
Contrairement à de nombreux restaurateurs qui choisissent d’ignorer ou de répondre de façon ouvertement mielleuse aux critiques postées sur internet, je réponds souvent avec ironie ou même une once de méchanceté. Bon après, s’ils ont vraiment eu un problème avec les plats ou le service, je fais tout mon possible pour les dédommager. Mais j’ai remarqué que les mauvaises critiques venaient souvent de gens qui faisaient preuve d’une bassesse d’esprit assez incroyable. Genre, ils vont te mettre une mauvaise note sous prétexte qu’ils ont trouvé que la musique des années quatre-vingt qui passait quand ils sont venus sonnait « plus ringarde que hipster ». Ou encore plus fort, ils vont me faire remarquer que mon chapeau n’était pas assorti avec ma robe, je cite : « On ne devrait jamais porter un chapeau avec autre chose qu’un pantalon. » Sérieusement, on en est arrivés là ?
Contrairement à de nombreux restaurateurs qui choisissent d’ignorer ou de répondre de façon ouvertement mielleuse aux critiques postées sur internet, je réponds souvent avec ironie ou même méchanceté.
Je peux admettre que certaines personnes qui écrivent ces critiques négatives ont un vrai talent de plume et ils ont parfois quelques fulgurances dans leurs pinaillages, mais franchement, j’ai autre chose à foutre.
D’expérience, j’ai appris pas mal de choses sur la nature humaine. Ce ne sont pas des vérités universelles mais – pour la survie de notre espèce – il m’a paru nécessaire de me les noter quelque part sur une petite liste :
1. La plupart des gens sont des gros cons.
2. La plupart des gens pensent que leur caca sent très bon.
3. La plupart des gens vont plus loin et pensent que leur cul dégage une odeur de muffins aux myrtilles faits maison.
4. Si vous mettez des muffins aux myrtilles à la carte, les clients les voudront végan et sans gluten.
5. Le jour où un client demandera à une serveuse si les muffins en question sont bien sans gluten et que la serveuse prendra la peine de bien s’en assurer auprès d’une collègue, le client jugera que la serveuse est une grosse teubé – et cela vous vaudra aussi un email hargneux ou une mauvaise critique sur Yelp.
6. Hangry. Mot-valise anglais composé de « hunger », faim, et de « angry », en colère. Inventé pour décrire ces gentils clients qu’une commande un peu trop longue à arriver parvient à transformer en véritables suppôts de Satan. Un muffin avec du gluten peut aussi potentiellement enclencher cette métamorphose.
7. Les plaintes à propos des prix jugés trop élevés, voire « injustifiés », viendront bizarrement de la part des clients les plus friqués. Le type qui a garé une Audi sur le parking sera probablement le même qui viendra se plaindre du prix des cacahuètes.
8. Les gens qui prennent le temps d’écrire des critiques négatives sur internet souffrent visiblement d’un problème mental.
9. Les gens qui prennent le temps d’écrire des critiques positives sur internet souffrent visiblement d’un problème mental.
10. La plupart des clients sont racistes, sexistes, homophobes et à la fois, étonnamment très politiquement corrects. Donc selon eux, si tu ne traites pas ton commis de cuisine comme tu traites ton serveur ou ton chef de cuisine, tu es automatiquement catalogué comme étant un patron abominable, sur la liste des gens méchants à tuer en premier le jour de la Fin du monde.
Propos recueillis auprès d’une propriétaire de restaurants situés à Los Angeles.