Quand j’ai commencé à faire de la webcam, après avoir tenté brièvement de gagner de l’argent comme téléphoniste érotique et serveuse topless de gruau, j’ai raconté à mes parents que j’étais l’employée du mois dans une boutique érotique. Je voulais, graduellement, leur dire que j’étais toute nue devant un ordinateur pour payer mon loyer et mes bouquets de marguerites. Leur réaction m’a privée de tout espoir de franchise à court terme : ils étaient découragés et pariaient que j’allais me faire kidnapper par le crime organisé.
Avoir une double vie n’est pas que pour les agents secrets : beaucoup de travailleuses du sexe n’osent pas dévoiler leur travail de peur d’être rejetées, incomprises et poursuivies par des proches qui tenteront de leur faire avouer qu’elles ont le cerveau tellement brainwashé au foutre qu’elles ne savent pas vraiment qu’elles préféreraient être enseignante au primaire plutôt que jeune femme payée pour une semaine de sourires et de condoms aux Bahamas.
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J’ai demandé à des travailleuses du sexe ce qu’elles racontaient à leurs parents, amis et amoureux ou amoureuses pour expliquer comment elles gagnaient leur vie.
Keisha : « Barmaid. Je travaille quelques heures dans un bar, moins d’heures que je ne leur dis. »
Josh : « Je devais déposer un chèque et j’avais besoin de l’aide de mes parents. Je leur ai dit que je traduisais des textes en ligne, mais je ne fais que de la webcam. »
Christine : « Je suis serveuse dans un bar de danseuses depuis cinq ans et mes parents le savent déjà, mais depuis deux ans je danse aussi, et ça, c’est secret. Mais ils savent que je gravite dans cet univers. »
Mélanie : « Dépanneur de nuit! »
Julie : « Je dis depuis que j’ai dix-huit ans que je travaille sur des bateaux de croisière. Une amie faisait ça pour vrai et je trouvais que ça avait l’air cool. Je raconte ses histoires à mes parents comme si tout m’était arrivé à moi. »
Pascaline : « Les parents à mon chum pensent que je travaille pour une compagnie de conception de sites web. Je ne sais pas encore ce que je dirai à ma proprio. Mes parents le savent et ne me parlent plus. Et je n’ai pas assez d’amis pour avoir à le cacher. La majorité gravite dans le même domaine que moi. Les gens avec qui j’allais à l’école ne savent pas ce que je fais, ou peut-être que oui, mon Facebook n’étant pas très subtil. Si on me pose la question, je dis que je fais de la webcam. »
Ève : « Maintenant, tout le monde le sait, mes amis et toute ma famille, sauf mes grands-parents. Par contre, personne à mon cégep n’est au courant. Ça juge beaucoup dans le domaine dans lequel j’étudie. Lorsque je rencontre de nouvelles personnes et qu’on me demande de garder ça mort, je dis que je travaille dans une ferme maraîchère bio (déjà fait) ou nounou (déjà fait aussi). »
Marion : « Photographe dans un bar. »
Arthémis : « Accompagnatrice littéraire. Les clients sont un peu des artistes incompris. »
Roane : « Je suis serveuse, mais à temps partiel. En fait, j’ai démissionné, mais j’ai été fine avec ma gérante et je lui ai dit que je couvrirais les quelques heures de congé des autres employés. Donc, officiellement, ce n’est qu’en septembre que je ne travaillerai plus, mais j’aime bien avoir un emploi conventionnel. L’argent que je fais comme travailleuse du sexe ne m’apparaît pas réel. Ce n’est pas le monde réel. Je trouve ça rassurant de pouvoir faire mes impôts facilement. Mais parfois, le monde dans les restaurants me tombe sur les nerfs, pour pas cher, en plus. »
Maëva : « Barmaid. Je choisis toujours le petit bar inaccessible en ville, style taverne. »
Marie-Lune : « Je ne dis rien, parce que je n’ai pas vraiment d’amis et que ma mère sait que je n’arrive pas à garder un job standard. Elle croit que je suis sans emploi. »
Amandine : « J’ai dit que je travaillais au Sushi Shop pendant un bout. Dans ce temps-là, j’étais à Québec et mes parents dans une autre région, donc ils ne pouvaient pas savoir. »
Brenda : « Au niveau légal, je dis que je suis photographe à mon compte. À mes proches, je dis que je travaille dans un centre d’appels de nuit! »
Vivianne : « J’adaptais mon mensonge à mon public. Pour la famille, serveuse. Pour les gens de l’université, je disais que ma famille m’aidait. Idem pour mes relations si j’en avais. »
Caroline : « Pour les proprios et la banque, je suis une ”artiste” et ”à la pige” ce qui ma foi restera vague pour toujours et à jamais pour tout le monde. Pour les plus curieux, je dis que je fais des fameux ménages à domicile chez mes amies qui ont de grandes maisons et des chums qui ont de bons salaires de mineurs. »
Rachel : « J’aurais dû fermer ma grande gueule! Tout le monde le sait et personne n’est resté dans ma vie. »
Vicky : « Moi, je pense que tout le monde le sait, mais fait semblant de ne pas le savoir. Ça ne me préoccupe pas. »
Cheryl : « Moi, pendant mes huit premières années de travail comme escorte, je travaillais aussi comme éducatrice spécialisée dans les écoles de Montréal et Laval. Je n’avais qu’à omettre le fait que j’arrondissais des fins de mois avec le travail du sexe. Depuis deux ans, je suis travailleuse du sexe à temps plein, mais je continue à dire que je travaille comme éducatrice. Comme ça fait des années, personne ne me questionne. Dans ma vie, seulement quelques rares amis, et mes amoureux, quand j’en ai, le savent. J’ai très envie de m’afficher ouvertement, mais la perspective de blesser profondément ma famille m’en dissuade.
« Ça me dérange de mentir parce qu’il n’y a aucune honte à être travailleuse du sexe. Je pense que c’est même un métier utile et essentiel. Les préjugés sont tellement violents, et mon monde est plutôt conventionnel. Si je m’affichais, il y aurait des conséquences que je ne suis pas prête à assumer. »
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Vanessa : « Mes amis sont au courant. Pour ma mère, je ne fais que de la webcam, mais je suis escorte. J’invente des petites jobines pour le reste de la famille et c’est toujours très stressant. »
Olive : « J’ai monté un bateau à ma famille comme quoi j’étais dans l’organisation d’événements. Ils habitent en région donc ça passe super bien. Je serais à l’aise de leur dire la vérité, mais je refuse de les blesser donc je m’abstiens. »
* Les noms des personnes citées ont été changés pour préserver leur anonymat.