Des experts s’inquiètent de la montée de la violence au sein de l’extrême gauche américaine

Levin est un ancien policier de New York qui étudie l’extrémisme au niveau local à la California State University. Il suivait un rassemblement du Klan à Anaheim en Californie, quand une contre-manifestation a dégénéré, obligeant Levin à intervenir pour séparer un membre du Klan et une meute furieuse d’antifascistes qui semblaient prêts à tuer.

Levin a commencé à se demander si, en se concentrant sur la cible évidente (les suprémacistes blancs), il n’avait pas manqué une autre source montante de l’extrémisme : l’extrême gauche. « À ce moment, je me suis dit que quelque chose était en train de naître du côté de la gauche dure, » confie Levin à VICE News.

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La question s’est posée une nouvelle fois mercredi dernier en Virginie, lors de la fusillade visant un entraînement de baseball des législateurs républicains. Le tireur, James T. Hodgkinson venait de l’Illinois et soutenait Bernie Sanders. Il avait aussi pour habitude de se lancer dans des tirades anti-Trump sur les réseaux sociaux. Les commentateurs conservateurs se sont rapidement mis à présenter les opinions politiques de Hodgkinson comme la preuve d’une menace montante de la gauche contre le gouvernement.

Les experts de l’extrémisme sur le sol américain disent que ce n’est pas si simple. Hodgkinson n’avait pas de lien connu avec un groupe extrémiste marqué à gauche. Ils notent cependant qu’à la suite d’une montée des violences à caractère politique de l’extrême gauche ces derniers mois, les observateurs chargés de surveiller l’extrémisme de droite ont commencé à s’orienter davantage vers l’extrême gauche. Ils tirent désormais la sonnette d’alarme. Ils constatent une hausse du discours extrémiste et de l’activisme antigouvernemental. Ils notent aussi que les deux camps se dirigent de plus en plus vers une confrontation.

« Je pense que nous ne pouvons pas, en ce moment, ignorer l’extrémisme de gauche, » dit Oren Segal, le directeur du Center on Extremism, une branche de l’Anti-Defamation League. L’ADL organise régulièrement des séminaires sur l’extrémisme local destinés aux forces de l’ordre. On y débat de la menace grandissante générée par les groupes d’extrême gauche. « Quand nous avons des contre-manifestations antifascistes (bien qu’elles soient différentes de celles des suprémacistes blancs), cela arrive que ça soit violent. Ça veut dire que nous pouvons voir des gens qui sont déjà violents être attirés vers ces événements, » a dit Segal pendant un séminaire dimanche dernier. « Je déteste avoir à dire ça, mais cela semble inévitable. »

Les preuves ne sont pour l’instant qu’anecdotiques. Levin dit avoir documenté depuis décembre 2015 presque une vingtaine d’événements politiques qui ont dégénéré à cause d’agitations provenant des deux camps en Californie – un phénomène auparavant très rare. Il y a aujourd’hui des clashs violents sur les campus universitairesavec des groupes comme les antifas, le groupe antifasciste s’attaquant à l’« alt-right » ; ou lors de rassemblements anti-Trump violents auxquels participent des membres de «Redneck Revolt », un groupe pro-minorité et anti-suprémaciste qui encourage ses membres à s’entraîner avec des fusils. En ligne, les partisans de la gauche utilisent des termes de plus en plus extrêmes pour parler de politique, et rationalisent la violence comme un mal nécessaire – ou même comme le véritable héritier de l’activisme progressiste traditionnel.

L’extrémisme de gauche n’a évidemment rien de nouveau. Les groupes tels que le Weather Underground et les Black Panthers ont des racines profondes. Selon Sagal, la source la plus importante de violences extrémistes dans les années post-11 septembre était la gauche : les éco-terroristes et militants pour la cause animale. Mais ces organismes ciblaient surtout les institutions. Dans l’ère moderne, la violence à caractère politique perpétrée par des «loups solitaires» en colère et armés de mitrailleuses (comme celle de mercredi dernier) était jusqu’à aujourd’hui surtout le modus operandi de l’extrême droite.

Dans une interview diffusée récemment sur VICE News Tonight, le chef d’une branche de Redneck Revolt (un groupe antifasciste fondé il y a peu) affirme que le groupe ne se sert d’armes que pour se défendre. « Nous sommes la réponse à une augmentation de la violence à caractère politique et de l’intimidation contre les populations vulnérables,» dit le leader de la branche, qui a demandé à être désigné uniquement par son prénom, Mitch. « Cela ne veut pas dire que nous cherchons la bagarre. Nous tentons juste de nous défendre. »

Redneck Revolt ne s’identifie pas à la « gauche », mais ses idéaux relèvent en général du camp libéral : pro-musulmans, pro-immigrants, pro-LGBT, anti-inégalités économiques. Mais Mitch dit que le groupe a aussi, étonnamment, découvert des causes communes avec certains membres de la branche locale du >span class=”s1″> (un groupe en majorité de droite et anti-Obama). D’après Mitch, certains Three Percenters ont commencé à venir aux réunions des Redneck Revolt.

Chris Hamilton, un expert des mouvements extrémistes américains à la Washburn University de Topeka (Kansas), dit que les sentiments anti-autoritaires pourraient brouiller ce qui auparavant semblait être des lignes idéologiques claires. « Quand on y pense, les militants de gauche ne rejoignaient jamais la National Rifle Association, à moins qu’ils ne soient des radicaux, ils ne pensaient jamais à stocker des armes, » dit-il. « OK. Nous sommes peut-être en train d’entrer dans une ère où les gens de gauche vont commencer à voir les choses de cette manière, comme les éco-radicaux l’ont fait dans les années 1970. “

En consultant les sites internet d’extrême gauche et en écoutant ses militants à la radio, Hamilton dit détecter des sentiments similaires à ceux entendus à droite depuis des années. « Ces derniers temps, ce genre de sentiments débarquent au centre et à gauche ; ce n’est plus limité au “Sovereign Citizen Movement”, » dit-il. « La montée des conflits au sein de la société civile américaine m’inquiète vraiment. »

Levin s’inquiète aussi de l’adoption par la gauche des tactiques utilisées à la base par l’extrême droite. Cela signifie que le niveau de tensions politiques aux États-Unis ne va faire qu’augmenter. « J’ai voyagé partout en Californie pour rencontrer des responsables des forces de l’ordre et en discuter avec eux. Je suis vraiment préoccupé, » dit-il. « Nous assistons à la démocratisation de l’extrémisme et des techniques de radicalisation. Je tire la sonnette d’alarme depuis des années, et personne n’en a rien à faire. »