En juin 2016, Lydia Simon se rend à un salon pour l’emploi à Francfort, en Allemagne. Elle a 27 ans et vient d’obtenir un master en psychologie à l’université de Mannheim. Le salon est très populaire et regorge de jeunes diplômés vêtus de leurs plus beaux vêtements corporate. Mais dès que Lydia Simon s’adresse à un employeur potentiel, elle se fait systématiquement refouler sous des prétextes bidons.
« Ils me disaient ‘Désolé, mais vous devez être titulaire d’un permis de conduire’ ou encore ‘Je suis navré mais vous devez pouvoir lire notre programme informatique,’ ou bien, ‘Vous allez devoir trier des photos’, me raconte-t-elle. « À ce moment là, je me suis vraiment dit que c’était foutu, qu’aucun recruteur ne voudrais jamais de moi. »
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Lydia a perdu l’usage de la vue alors qu’elle avait quatre ans. Au salon de l’emploi, elle s’est trouvée confrontée à un problème que connaissent toutes les personnes non-voyantes, ou presque. L’European Blind Union estime que le taux de chômage des personnes non-voyantes et malvoyantes en âge de travailler est de plus de 75 %, les femmes étant les plus touchées par ce phénomène. Aux États-Unis, la National Federation of the Blind a indiqué que seul 42 % des adultes à l’acuité visuelle significativement réduite possédaient un emploi, parmi ceux qui étaient en âge de travailler.
Malgré ses qualifications, Lydia repart de ce salon sans aucune piste professionnelle, et surtout, elle est complètement découragée. Un mois plus tard, elle entend parler d’une organisation allemande qui embauche uniquement des femmes aveugles : Discovering Hands. La boite emploie ces femmes pour une tâche très spécifique – détecter les cancers du sein. En s’appuyant sur des années de recherche suggérant que les personnes aveugles auraient des capacités sensorielles accrues, Discovering Hands recrute des femmes aveugles disposées à faire des palpations mammaires afin de détecter des grosseurs de toute petite taille à un stade plus précoce que les médecins traditionnels lors d’un examen clinique.
Frank Hoffmann, gynécologue à Duisburg, en Allemagne, a imaginé le concept de Discovering Hands au début des années 2000. En Allemagne, les mammographies ne sont proposées qu’aux femmes de plus de 50 ans ; il s’est souvent retrouvé face à des patientes plus jeunes dont le cancer n’avait pas été détecté par un dépistage clinique.
Hoffmann estime qu’en Allemagne, l’examen physique est loin d’être suffisant pour dépister des cancers suffisamment tôt. D’ordinaire, la palpation dure deux ou trois minutes et n’est pas aussi standardisée qu’elle devrait l’être. Il est très inquiet de passer à côté de grosseurs de petite taille, faisant ainsi courir le risque d’un cancer métastatique à ses patientes.
Un matin, me raconte-il, il a eu « un éclair de génie sous la douche, le genre de moment où on est encore à moitié endormi et où on est touché par une épiphanie ». Il s’est alors demandé : et si les femmes aveugles pouvaient obtenir de meilleurs résultats que lui ?
Discovering Hands a été créé en 2006 et, depuis, les « Medical Tactile Examiners » (MTE) spécialement formées par Hoffmann ont examiné les poitrines de milliers de femmes dans toute l’Allemagne. Les MTE sont formées pendant neuf mois dans un centre de formation professionnel indépendant où elles apprennent les rudiments de l’oncologie, les bases de la relation de soin et les techniques de palpation. Elles développent ensuite leurs compétences en « toucher » grâce à une batterie d’exercices – trier des billes par taille ou palper des seins en silicone, par exemple. (Hoffmann précise que seules des MTE de sexe féminin sont employées afin de rendre l’examen le moins gênant possible pour les patientes).
« J’ai trouvé ça tellement cool que des personnes aveugles puissent travailler dans le domaine médical, jamais de ma vie je n’aurais cru ça possible », me confie Lydia. Le job n’avait rien à voir avec ses qualifications, mais elle était vraiment intriguée et a postulé immédiatement à la formation.
Si vous n’êtes pas aveugle vous-même, il est très difficile de mesurer les performances de votre sens du toucher ; d’ordinaire, nous concentrons davantage sur des sens apportant un très grand nombre d’informations sur notre environnement, comme la vue ou l’ouïe. Mais Daniel Goldreich – chercheur en neurosciences à l’université McMaster et spécialiste de la perception – explique qu’il existe un grand éventail de performances tactiles parmi les personnes valides. En laboratoire, les chercheurs mesurent cette compétence grâce à la « Grating Orientation Task » (Mesure de la discrimination tactile spatiale). Les participants placent leurs doigts sur des barres en relief et répondent à des questions sur leur nombre ou leur orientation. On leur donne ensuite des barres plus petites, et donc plus difficiles à sentir au toucher.
Les femmes obtiennent en général de meilleurs résultats que les hommes sur ce genre de tâches, m’indique Goldreich. Goldreich et Ryan Peters, l’un de ses co-auteurs, expliquent cette différence par la taille des doigts qui influence considérablement la sensibilité tactile. Les personnes avec des petits doigts réussissent mieux ce test car leurs récepteurs tactiles, dont le nombre est identique pour tout le monde, sont plus condensés. Les capacités tactiles d’une personne valide se détériorent inévitablement avec l’âge : entre 20 et 80 ans, le facteur de déclin est de trois en moyenne.
Une personne aveugle utilisera son lobe pariétal, mais la sensation tactile activera aussi le lobe occipital, une zone du cerveau habituellement spécialisée dans la vision.
Plusieurs études ont révélé que les personnes aveugles obtiennent de meilleurs résultats que les personnes valides lors de ces examens tactiles. Goldreich explique que le toucher d’une personne aveugle est si fin qu’il équivaut à un « écart d’âge tactile » de 23 ans : les capacités tactiles d’une personne aveugle de 50 ans donc équivalentes à celles d’une personne voyante à 30 ans. (Étonnamment, d’autres recherches ont montré que les aveugles pourraient ne pas connaître la même baisse de l’acuité tactile avec l’âge, et donc conserver cet avantage toute leur vie.)
Il existe pourtant un débat animé sur les causes de ce phénomène. Lorsque les scientifiques ont utilisé l’imagerie cérébrale au cours de leur enquête, ils ont constaté que les cerveaux des aveugles fonctionnent différemment des cerveaux de personnes valides lorsque les sujets font usage de leur sens du toucher.
Quand une personne valide touche quelque chose, elle utilise son cortex somatosensoriel, la « zone tactile » du lobe pariétal, en quelque sorte. Une personne aveugle utilisera également son lobe pariétal, mais la sensation tactile activera aussi le lobe occipital, une zone du cerveau habituellement spécialisée dans la vision. On pourrait penser que cette partie du cerveau reste inactive dans le cas d’une cécité complète, mais elle semble pourtant tenir un rôle décisif, explique Goldreich. Lui et d’autres scientifiques essayent toujours de comprendre ce phénomène remarquable.
« Un nombre bien plus important de neurones sont activés chez une personne valide que chez une personne aveugle lorsque le sujet touche quelque chose », précise-t-il. « La question est de savoir si cette grande quantité de neurones est corrélée à une acuité et une sensibilité tactiles accrues, ou si c’est simplement un effet secondaire de la cécité – sans conséquences fonctionnelles. »
Dans les conclusions préliminaires d’une étude (non publiée et non répliquée) de l’université d’Essen, le groupe de MTE de Hoffmann a détecté environ 35% de grosseurs supplémentaires par rapport au groupe de médecins – le plus souvent des tumeurs de 6 à 8 mm – tandis que les docteurs détectaient essentiellement les grosseurs mesurant entre 1 et 2 cm, affirme Hoffmann.
Lors d’une autre étude exploratoire menée par l’University Breast Centre de Franconie de l’hôpital universitaire d’Erlangen, Hoffmann a étudié 339 patientes, dont 213 étaient suivies après une opération et 126 étaient de nouvelles patientes n’ayant jamais subi aucune intervention. Les MTE et les médecins ont effectué le même examen de palpation standard, puis les patientes ont ensuite consulté un radiologue.
Dans le groupe des nouvelles patientes, les chercheurs ont montré que l’examen mené par les MTE était plus précis que celui mené par les médecins. Mais dans le groupe des patientes en post-op, les médecins se sont montrés plus efficaces. Hoffmann estime que cela s’explique par la familiarité des médecins avec leurs patientes et leur expérience des examens post-opératoires – dont étaient dépourvues les MTE.
L’étude ne sous-entend pas pour autant qu’il faut mettre médecins et MTE en compétition. En pratique, les MTE ne travaillent pas seules, mais en collaboration avec des médecins, infirmiers et patientes qui souhaitent des examens plus complets. En examinant les résultats d’une méta-étude globale sur le dépistage du cancer du sein, Hoffmann a constaté que la sensibilité des examens cliniques était comprise entre 62 et 70 % lorsque les médecins travaillaient seuls. Grâce à l’assistance des MTE, cette sensibilité atteint 87 %, soit 15 à 17 % de plus.
Les patientes rapportent également une expérience positive. Elles se sentent plus à l’aise lors de l’examen en sachant que la praticienne ne voit pas leur poitrine. Enfin, quand les docteurs passent une à deux minutes sur l’examen par palpation, les MTE y consacrent 30 à 45 minutes. Hoffmann indique que le recrutement de MTE a favorisé l’observance thérapeutique et l’acceptation des examens mammaires ; les patientes revenaient spontanément une à deux fois par an après leur visite initiale. Les femmes apprécient l’interaction et l’attention personnalisées qui accompagnent un examen approfondi.
Goldreich explique que la question centrale ici, ce n’est pas tant de savoir si les personnes aveugles présentent nécessairement une acuité tactile supérieure, mais plutôt de déterminer d’où elle vient, quand elle existe : ces individus naissent-ils avec un cerveau modelé par la cécité ? Ou l’expérience de la cécité les rend-ils progressivement plus sensibles à leurs autres sens ?
Si vous perdez la vue jeune, vous apprendrez sans doute le Braille et perfectionnerez vos sens de manière plus subtile qu’une personne valide. Ainsi, peut-être que les personnes aveugles effectuent ces tâches plus efficacement parce qu’elles se fient davantage à leur sens du toucher.
Goldreich explique que lui et son co-auteur, Mike Wong, découvrent aujourd’hui que, même parmi les personnes aveugles, les capacités diffèrent. Celles qui sont nées aveugles et lisent le Braille plusieurs heures par semaine ont une meilleure acuité tactile que celles qui ne lisent pas le Braille ou qui ont perdu la vue plus tard dans leur existence. Goldreich signale également que certaines personnes aveugles possèdent une meilleure acuité tactile au niveau des doigts utilisés pour lire le Braille, par rapport aux autres doigts.
« Ces premières pistes tendent à montrer que c’est bien l’expérience du toucher qui rend les personnes aveugles plus performantes. Mais cette efficacité pourrait être renforcée par l’intervention du lobe occipital. »
Sans cet apprentissage du Braille combiné à l’entrainement intensif de l’ouïe, du toucher et du goût, une personne aveugle serait-elle toujours aussi efficace en palpation ? Hoffmann suppose que non, mais parce qu’il est presque impossible de trouver une personne aveugle qui ne dépende pas du toucher – ou une personne voyante experte en Braille – la question est un peu absurde : il est très difficile de distinguer l’inné et l’acquis en matière de sensations.
Si la sensibilité tactile est fondée sur l’expérience, on peut imaginer que les personnes voyantes pourraient simplement être formées à « mieux toucher ». Pourquoi un médecin expérimenté ne pourrait-il pas être aussi compétent qu’un examinateur aveugle ? Les chercheurs ont essayé de répondre à cette question en bandant les yeux de personnes valides et en mesurant l’amélioration de leurs capacités tactiles. Selon Goldreich, les résultats sont mitigés. Si plusieurs études ont montré que les personnes valides font des progrès sur les tâches tactiles grâce à un entraînement intensif, ses recherches personnelles n’ont pas prouvé que plonger les gens dans le noir faisait la moindre différence. Il a donc conduit trois expériences impliquant 158 voyants et a testé leur acuité tactile après une courte période de privation optique de 10 à 110 minutes. Leur acuité tactile ne s’est pas améliorée, et dans certains cas, elle a empiré.
Marina Bedny est chercheuse en neurosciences cognitives à l’Université Johns Hopkins, et étudie comment les expériences sensorielles prolongées influencent le cerveau. Au cours de ces dix dernières années, elle a comparé des cerveaux s’étant développés dans des environnements extrêmement contraignants, dont les cerveaux de personnes aveugles. Prudente, elle m’a précisé que nous comprenons encore très mal l’activité cérébrale d’une personne aveugle qui utilise les zones visuelles de son cerveau pour effectuer d’autres tâches. Pour elle, il ne s’agit certainement pas vraiment de « toucher » avec son cortex visuel, dans ce cas. Grâce à plusieurs techniques d’imagerie cérébrale, son équipe a découvert que les personnes aveugles utilisaient des zones normalement dédiées à la vision pour des fonctions cognitives supérieures, comme le traitement du langage ou le raisonnement numérique.
« Ces résultats nous ont permis de tirer des conclusions très intéressantes, et de formuler des théories sur les causes possibles de ce phénomène », indique-t-elle. « Ces recherches nous montrent que le cerveau est bien plus souple qu’on ne le croit. Une zone spécifique du cerveau est comme un ordinateur que l’on peut reconfigurer en fonction de ses besoins ; ce n’est pas une paire de ciseaux conçue uniquement pour découper. »
Même si tous les scientifiques avec qui je me suis entretenus s’accordent à dire que les personnes aveugles utilisent leurs cortex visuel de manière curieuse et inédite, il est impossible d’en tirer des conclusions sur leur relation au toucher. « C’est ce que nous essayons de comprendre », explique-t-elle. « La communauté scientifique n’a pas établi de consensus sur la fonction du cortex visuel chez les personnes aveugles. »
Comme Goldreich, elle soupçonne que cette sensibilité tactile accrue est due à la combinaison entre l’existence d’une zone cérébrale « non utile » et l’expérience de la cécité elle-même. J’ai demandé à Goldreich et Bedny s’ils pensaient que les performances diagnostiques des femmes aveugles de Discovering Hands allaient progresser avec le temps. Ils m’ont répondu qu’ils n’avaient aucune certitude à ce sujet, car la plupart des études publiées sur l’acuité tactile reposent sur le test de discrimination tactile spatiale. Les participants placent leur doigt sur une barre plutôt que d’effectuer une tâche haptique – qui consiste à toucher un élément en 3D de manière active.
Une étude s’est pourtant intéressée aux capacités haptiques des aveugles ; elle a montré que les personnes non-voyantes obtenaient de meilleurs résultats que les personnes valides, mais uniquement si leur cécité avait été acquise au cours de la vie. L’étude suggère que les expériences visuelles précoces accompagnées d’une compréhension du concept d’objet en trois dimensions étaient nécessaires pour exceller sur les tâches haptiques.
Les profils de Lydia Simon et Steffi Gedenk, une autre MTE à qui j’ai parlé, correspondent parfaitement à cette description. Elles ne sont pas nées aveugles, maîtrisent parfaitement le Braille et l’ont appris dès le plus jeune âge. Lydia m’apprend que la plupart des autres MTE de leur équipe ne sont pas aveugles de naissance ; selon elle, les souvenirs visuels d’enfance sont très utiles pour se représenter les gestes que l’on effectue pendant l’examen.
Gedenk est née avec une déficience visuelle et est devenue complètement aveugle vers 14 ans. « Les médecins m’avaient prévenue que ça pourrait arriver, donc j’étais préparée à perdre la vue de façon permanente un jour ou l’autre. Pourtant, ça reste une expérience difficilement concevable. Quand ça arrive, il faut l’accepter et trouver un moyen de vivre avec le handicap. »
Après avoir obtenu son diplôme à Berlin, Gedenk est devenue kinésithérapeute. Quelques années après, elle se retrouve au chômage et ne parvient pas à se faire ré-embaucher. Comme Simon, elle estime que sa cécité a entravé sa recherche d’emploi.
« J’étais folle de rage de ne pas pouvoir trouver un boulot », dit-elle. « J’ai commencé à faire des recherches en ligne, j’ai essayé de faire des ménages dans des bureaux et plein d’autres choses. Je m’étais toujours promis que j’accepterais n’importe quel travail. Mais quand tu es aveugle, c’est la société qui décide de ce que tu peux faire ou pas. »
Simon et Gedenk m’expliquent que quand elles ont entendu parler de Discovering Hands pour la première fois, elles ont pensé que c’était une option attrayante, mais qu’elles voyaient avant tout le poste comme une solution de dernier recours face au chômage. Aujourd’hui, les deux femmes aiment sincèrement leur métier, qui leur apporte fierté et reconnaissance. Elles se sentent enfin acceptées pour ce qu’elles sont, ce qui représente une revanche bien méritée sur les salons professionnels et autres entretiens d’embauche humiliants.
« C’est très gratifiant », explique Gedenk. « Nous faisons notre boulot mieux que quiconque et nous aidons à sauver des vies. Grâce à mon travail, je sauve des vies. Je me répète ça tous les matins. »
Les premières observations cliniques de Hoffmann, même si elles ne constituent pas une preuve irréfutable que les personnes aveugles sont plus efficaces que les valides pour les examens mammaires (ses résultats doivent encore être répliqués par une équipe de recherche indépendante), montrent, a minima, qu’il est tout à fait possible d’employer des MTE sans réduire l’efficacité diagnostique du procédé.
Par ailleurs, l’objectif de Discovering Hands n’est pas de mettre à jour les secrets ultimes du cerveau des personnes aveugles, mais de prouver qu’une caractéristique considérée comme un handicap peut être abordée sous un autre jour. L’entreprise prévoit de déployer des équipes en zones rurales, procurant ainsi une activité rémunérée aux femmes aveugles et facilitant l’accès au dépistage et à la mammographie dans les déserts médicaux. Un programme pilote sera inauguré en Inde très bientôt.
« Les gens pensent que je peux entendre une mouche voler à 80 kilomètres de là, mais, en même temps, ils sont sidérés que je puisse me promener seule dans mon quartier. »
Lindsay Yazzolino, assistante de recherche non-voyante travaillant à temps partiel au laboratoire de Bedny, espère que Discovering Hands fera prendre conscience aux gens que les personnes aveugles ont leur place dans toutes les professions et peuvent y exceller.
« D’un côté, on a tendance à penser que les personnes aveugles ont des capacités mystérieuses et surhumaines, et de l’autre, qu’elles ont des carences énormes » explique Yazzolino. « Les deux cas présentent une vision totalement erronée de la réalité. Les gens pensent que je peux entendre une mouche voler à 80 kilomètres de là, mais, en même temps, ils sont sidérés que je puisse me promener seule dans mon quartier. »
Yazzolino déclare toujours avoir rêvé de devenir scientifique une fois adulte. Lorsqu’elle a entendu que, dans d’autres pays, le seul choix de carrière pour les personnes non-voyantes était la massothérapie, ça l’a révoltée.
« C’est très important que tout le monde sache que les personnes aveugles sont capables de travailler dans plein de secteurs différents », explique-t-elle « Il y a plein de femmes aveugles qui ne souhaitent pas palper des poitrines et d’autres qui voudraient le faire. C’est une option parmi d’autre, c’est tout. Une excellente option, en l’occurrence. »
À Discovering Hands, Hoffmann offre à Lydie Simon la possibilité d’utiliser ses compétences acquises en licence de psychologie. Elle interviendra en tant que thérapeute pour d’autres MTE qui ont des problèmes personnels et professionnels. « C’est une opportunité pour moi de jouer sur les deux tableaux, la psychologie et le dépistage du cancer » me dit-elle. « Avant ce travail, je me demandais si je n’avais pas fait ces études pour rien. »
Elle pense également que Discovering Hands, en plus d’offrir aux personnes aveugles une forme d’épanouissement personnel, donne aux patientes l’occasion de s’exprimer de manière différente. Quand ces dernières sont suffisamment à l’aise pendant l’examen, elles posent des questions qu’elles n’auraient pas nécessairement osé poser à une personne valide. De même, voir des personnes aveugles travailler dans le domaine médical bouscule les préjugés sur ce que peuvent accomplir les non-voyants, explique-t-elle.
« Une seule chose me manque : la vue », explique-t-elle. « Paradoxalement, beaucoup de gens peinent à comprendre ce truc tout simple. Ils me demandent si je peux marcher, me parlent comme si je ne pouvais pas les entendre, ou posent une question qui me concerne à quelqu’un d’autre alors que je me trouve juste à côté d’eux. Nous sommes des personnes comme les autres. Nous pouvons répondre, parler, penser, nous pouvons tout faire. Par contre, c’est vrai, nous n’y voyons pas grand-chose. »
Cet article a initialement été publié sur Tonic.