Chaque année, Pornhub publie ses données sur les utilisateurs du site, nous rappelant que les femmes représentent 37 % des internautes qui regardent du porno gay. Selon les résultats de 2016, le porno gay est la deuxième catégorie la plus consultée par les femmes sur le site (le porno lesbien est en première place, mais juste d’une courte tête). Cette étude révèle également que les femmes de 18 à 24 ans sont 24 % plus susceptibles de regarder du porno gay que les autres groupes d’âge.
Mais voir que de plus en plus de femmes abandonnent le porno hétéro pour quelque chose d’un peu plus gay n’est peut-être pas si surprenant que ça. Le porno hétérosexuel est principalement fait pour et par les hommes, ce qui signifie qu’il répond rarement aux attentes des femmes. Sans vouloir jouer les rabat-joie, pour la plupart des femmes, regarder une autre femme se faire éjaculer dessus n’est pas vraiment excitant. Mais ce n’est pas seulement le contenu que les femmes trouvent insatisfaisant, c’est aussi le contexte. Une grande partie de la pornographie hétérosexuelle d’aujourd’hui se traduit par une forme d’exploitation, de déshumanisation, de dégradation, et met en scène une dynamique des genres troublante. Et même si ce n’est pas le cas pour toutes, la plupart des productions restent inextricablement liées à une industrie qui repose sur la monétisation de toutes ces choses. Ainsi, regarder du porno hétéro est gênant pour beaucoup de femmes.
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Voir des femmes consommer de l’art érotique exclusivement masculin est loin d’être un phénomène nouveau. Les traditions remontent à bien longtemps dans la culture japonaise et chinoise. C’est même un genre connu sous le nom de « boys’ love ». Ce genre de fiction peut prendre la forme de mangas, de films, de littérature, de forums Internet ou de séries télévisées, et dépeint généralement des garçons androgynes dans des scènes gays. Ce genre est très populaire et est principalement écrit par des jeunes femmes, qui en sont également la cible marketing. Il en va de même dans les fan-fictions modernes, où les couples hétérosexuels (« fictions slash ») sont de loin les plus courants, et encore une fois principalement écrits et lus par des jeunes femmes.
Donc non seulement ces femmes regardent des mecs baiser, mais elles lisent aussi des œuvres là-dessus. J’étais curieuse de savoir ce que les femmes recherchaient exactement dans le sexe entre mecs et ce qu’elles en tiraient, alors j’ai contacté des femmes (hétéros et homos) histoire d’essayer de faire la lumière sur ce phénomène homo-érotique.
Lou, 26 ans
VICE : Salut Lou, qu’est-ce qui t’a fait passer du porno hétérosexuel ou lesbien au porno entre hommes ?
Lou : Beaucoup de choses, pour être honnête. J’ai d’abord commencé par m’éloigner du porno lesbien parce que je trouvais ça très masculino-centré. Ça se sentait clairement que ce n’était pas à destination des femmes. Mais ma principale raison était cependant d’ordre éthique. Bien que l’industrie compte souvent des femmes autonomes qui ont choisi d’y être, il existe la plupart du temps une certaine forme de coercition. Avec le temps, il devenait impossible pour moi de ne pas penser à autre chose quand je regardais du porno.
Et qu’est-ce que tu aimes dans le porno gay ?
Je suis très gay et j’ai l’impression que le porno homosexuel masculin est un des genres les plus gays qui soient parce qu’il y a plus d’acteurs homos hommes que de femmes dans l’industrie. Voir des femmes parfaitement entretenues faire l’amour entre elles, visiblement sans plaisir, ce n’est pas aussi excitant que de voir quelque chose de vraiment gay pour moi. Je suis également fascinée par les situations auxquelles je ne pourrais jamais vraiment faire partie. Et en tant que femme cis, il n’y a rien dans le fait de voir deux hommes baiser qui me permet de m’identifier, c’est donc parfait pour fuir la réalité.
En quoi s’évader est important pour toi ?
J’ai du mal à retirer du plaisir de tout ce qui pourrait me faire sentir de la culpabilité, alors le fait de rester dans le domaine du fantasme et de m’évader me permet d’en profiter sans avoir à affronter certains des défis émotionnels qui accompagnent le sexe réel.
Donc tu te sens plus à l’aise en regardant deux mecs ?
Oui. Bien que cela semble contre-féministe d’une certaine façon, je ne ressens pas la même obligation ou le même instinct protecteur à l’égard des hommes, qui ont généralement plus de pouvoir dans ces circonstances sexuelles que les femmes. Voir des hommes être dominés dans un porno ne constitue pas un reflet douloureux de ce qui se passe dans notre société, du moins pas comme c’est le cas avec les femmes, selon moi. Je peux donc prendre du plaisir à observer la dynamique dominant/dominé, sans me soucier de comment la femme en est arrivée à être physiquement dans cette position pour la scène, ainsi que si elle l’a vraiment choisie.
Maintenant que tu ne regardes que des mecs, qu’est-ce qui ne te manque pas dans les autres formes de pornos ?
Les jeunes femmes ou les femmes de très faible corpulence dominées physiquement par un homme. Tout ce qui met en scène des femmes extrêmement dégradées ou physiquement blessées par des hommes, et tout ce qui montre des ongles longs qui s’approchent d’un vagin.
Clare, 29 ans
VICE : Salut Clare, dis-moi ce qui ne va pas avec le porno hétéro.
Claire : La majorité du porno hétéro ne me plait pas parce que celui-ci se concentre uniquement sur le plaisir masculin, et pour moi ce n’est pas réaliste. C’est tellement conventionnel : fellation, pénétration vaginale et puis très souvent, anale. Je trouve gênantes certaines de ces choses vraiment irréalistes, comme les femmes qui se touchent alors qu’elles portent des faux ongles géants.
Alors tu t’es tournée vers le pendant gay du porno ?
Oui, j’aime le porn bear, je crois que je suis dans la subversion totale des rôles traditionnels des genres. J’aime surtout le porn fantasy, genre un mec « hétéro » ou plusieurs hétéros qui « font des expériences ». Et j’aime les bites, donc je regarde du porno gay pour voir des pénis !
Tu adores les queues ?
Complètement, j’aime aussi observer comment les hommes sucent, pour voir si je peux m’améliorer dans ce domaine !
Pas bête ! Et comment en es-tu arrivée là ?
J’ai toujours eu des fantasmes de plans à trois avec deux mecs. Je pense que j’en suis arrivée là quand j’étais dans une phase où j’étais à fond dans les pornos à trois, et je me suis finalement intéressée à ceux bisexuels. J’ai alors réalisé que j’aimais regarder les hommes faire des choses sexuelles entre eux, plus que quand ils incluaient la femme !
Alexandra, 20 ans
VICE : Alexandra, tu aimes les fan-fictions entre mecs. Quand as-tu commencé à en lire ?
Alexandra : Je crois que j’ai commencé à lire du slash vers mes 13 ou 14 ans.
Qu’est-ce qui t’a le plus séduit dans ce style de fan-fics ?
J’avais l’habitude de lire beaucoup de fan-fics H/F, mais je pense que j’aimais la façon dont celles H/H étaient présentées, et dans une moindre mesure les F/F. J’avais vu beaucoup de comédies romantiques avec des couples hétérosexuels mais je n’en avais jamais vu avec des couples homosexuels. C’était rafraîchissant de lire des choses qui tournaient autour de couples homos de manière tout à fait normale.
Quels sont les problèmes auxquels les fan-fics H/H répondent et que tu pourrais trouver gênants dans d’autres styles de fan-fics ?
Je pense que dans certains contextes, je trouve les associations H/H plus rassurantes que les H/F. Je n’ai pas envie de me préoccuper d’une grossesse non désirée ou du statut inférieur des femmes dans les fan-fics. Dans les fan-fics masculines, je sais que les deux personnages peuvent avoir un certain pouvoir sans que celui-ci soit historiquement inexact. Il y a aussi le fait que les femmes ne veulent pas mettre leur corps dans une situation dangereuse, même si c’est fictif.
Selon toi, pourquoi ce sont surtout les femmes qui lisent et écrivent des fan-fics H/H ?
Je pense vraiment que cela a beaucoup à voir avec le contexte historique. Les relations lesbiennes n’ont jamais été explicitement illégales ici en Amérique du Nord, probablement parce que nous avons toujours été fortement sexualisées et perçues comme n’étant pas aussi valables ou révolutionnaires que les relations homosexuelles masculines. C’est toujours difficile de parler de lesbiennes sans les sexualiser. Donc, en tant qu’adolescents et jeunes adultes, je pense que beaucoup d’auteurs de slash ne veulent pas s’aventurer dans cette difficulté. Surtout quand le récit homosexuel masculin, plus facile et plus dramatique, est à portée de main.
Donc tu trouves que lire des histoires sur deux mecs, c’est sexy. Penses-tu que c’est différent d’un homme qui trouve les rapports lesbiens sexy ?
Au fond, je ne pense pas que ce soit le cas. Mais cela vient d’une longue tradition d’utilisation de la sexualité féminine et d’appropriation de celle-ci par les hommes. Pas seulement dans la consommation, mais aussi dans la production et dans la perception du public. Le fait que des adolescentes utilisent l’homosexualité masculine pour leur propre plaisir est très certainement problématique aussi, mais c’est très différent des hommes adultes qui construisent des industries autour de ça.
Et ne crains-tu pas que les femmes finissent par s’approprient la culture gay masculine ?
Ça pourrait arriver, mais si on va au bout de ce cheminement, les auteurs ne pourraient jamais écrire sur ce qu’ils n’ont pas vécu ! Je pense que tant que tout ça se fait dans le respect et la recherche, c’est bon.
Charlotte, 26 ans
VICE : Salut Charlotte, pourquoi le porno entre mecs attire autant ton attention ?
Charlotte : Parfois, je trouve le porno lesbien gênant parce qu’il me semble vraiment fake. Alors que le porno gay, parce que je ne suis pas un homme gay, je ne peux pas vraiment juger si c’est du fake.
Qu’est-ce qui fait que tu préfères le porno gay à d’autres types de pornos ?
J’aime la dynamique de pouvoir qu’on peut trouver dedans. J’ai presque l’impression que les personnes en action sont plus en sécurité, ou du moins que c’est plus consensuel. Même s’il n’y a pas de fondement logique par rapport à ça.
Quand tu en regardes, tu t’imagines en train de faire partie de la scène ou pas du tout ?
Pas du tout, et c’est cette séparation que j’aime bien. Ça rend l’expérience plus tabou et c’est plus excitant à regarder parce que c’est tellement différent de tout ce que j’ai connu.
Penses-tu que la façon dont tu regardes du porno entre mecs est similaire à la façon dont un hétéro peut consommer du porno lesbien ?
Non, je ne pense pas. Je ne suis pas hétéro alors je ne regarde pas seulement deux mecs baiser parce que je veux voir deux mecs ensemble sans que cela soit gâché par une fille dans la scène (ce qui est, je pense, parfois le point de vue des mecs hétéros qui regardent du porno lesbien). J’imagine que beaucoup d’hommes regardent du porno lesbien et s’imaginent prendre part à l’action, ce que je ne fais certainement pas quand je regarde du porno gay.
Comment as-tu réalisé que c’était quelque chose que tu aimais ?
J’avais essayé juste pour voir comment c’était et j’ai fini par beaucoup aimer ça. Mais bien avant cela, j’avais l’habitude de taper « mecs emos qui s’embrassent » sur YouTube. C’était un premier pas vers la suite j’imagine.
C’est mignon ! Pourquoi avais-tu fait ça ?
Encore une fois, c’était quelque chose d’excitant et de voyeuriste.
Rosie, 33 ans
VICE : Salut Rosie, qu’est-ce que tu préfères dans le porno gay par rapport aux autres types de pornos ?
Rosie : Ça ne me met pas autant mal à l’aise que le porno hétérosexuel. Je trouve qu’il y a quelque chose de plus sensuel dans le fait de regarder deux hommes. C’est juste de la baise sans complications.
Qu’est-ce qui parait aussi simple là-dedans ?
Je pense que dans le porno hétéro, il y a des dynamiques de pouvoir en jeu qui posent problème. Et je peux trouver ça gênant. Avec deux mecs, c’est beaucoup plus équitable.
Qu’est-ce qui t’excite dans le fait de regarder deux mecs baiser ?
Je pense qu’il y a quelque chose de libérateur là-dedans, ainsi que dans le fait de m’imaginer comme un homme. C’est aussi libérateur pour éloigner mes fantasmes sexuels de mon propre corps. L’insécurité, l’inconfort ou la préférence personnelle à l’égard de mon propre corps ne me traversent alors pas du tout l’esprit et c’est tant mieux pour moi.
Donc tu n’aimes pas du tout regarder des femmes dans des vidéos pornos ?
Pas vraiment. Je ressens comme un sentiment de protection vis-à-vis des femmes dans ces vidéos, et je me sens presque coupable de les regarder. Avec les gays, je ne ressens pas ça, parce que c’est tellement éloigné du regard d’un homme hétérosexuel. C’est le seul type de porno qui n’est pas fait pour eux, donc je n’ai pas à me soucier d’être leur complice.
Penses-tu que la conception du porno hétérosexuel est trop tournée vers les hommes hétéros ?
Bien sûr ! J’aime regarder du porno gay parce que celui-ci se concentre sur le corps masculin. Je suis une femme hétéro, j’aime le corps nu d’un homme. J’adore regarder les mecs éjaculer, encore mieux si je peux regarder deux mecs éjaculer en même temps. Je pense que tout porno qui met l’accent sur les hommes en tant qu’objets sexuels par rapport aux femmes est plus intéressant pour moi, et cela ne me fait me sentir aucunement mal ou gênée.
Est-ce que tu regarderas à nouveau du porno hétéro un jour ?
Je ne crois pas que ça arrivera non. Plus il y a de bites, mieux c’est !
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