Des filles nous disent pourquoi elles publient des selfies d’elles toutes nues

J’ai fait de la webcam pendant quelques mois : devant un écran je me plaçais comme les membres d’un site internet le désiraient. Quand je me touchais, c’était en zoomant sur mon sexe et ce n’était pas comme je le faisais quand je n’avais pas de caméra braquée sur moi. C’était amusant, mais ça comportait des effets secondaires, de vouloir séduire uniquement selon les exigences des autres. La nuit, parfois, je me réveillais et je me retrouvais à quatre pattes, à moitié consciente, et je réalisais, peu à peu, que je croyais être au travail, tentant de me conformer à une caméra imaginaire.

Il faut se défaire de ce regard, principalement masculin, qui souhaite définir et créer la femme typiquement comme un objet et non comme quelqu’un qui a sa propre sexualité. La mode des selfies, dominée par les femmes, vient renverser un rapport de pouvoir. Quand les femmes décident de contrôler leur image, de même que leur sexualité si elles se présentent nues, elles sont parfois ridiculisées, et condamnées à être traitées de narcissiques, car elles semblent alors ne plus avoir à être validées par le regard masculin pour exister.

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J’ai choisi de demander à quelques femmes et personnes non binaires sur les réseaux sociaux pour quelles raisons elles posent nues, afin de voir si elles pensent sensiblement comme moi, ou si c’est vraiment parce qu’elles sont obsédées par les couronnes de fleurs de Snapchat. D’autres m’ont aussi écrit pour m’expliquer pourquoi elles ne s’exposent pas dénudées sur Instagram.

Celles qui publient des photos de leur craque de seins

@whyamisoboujee : « J’ai parfois besoin de regarder mon corps et d’en connaître les rondeurs, les profils et les plis. Quand je suis dans une position où je m’imagine désirable, je vais souvent aller jusqu’à prendre un selfie pour voir si je me trouve toujours aussi désirable qu’imaginé. Parfois c’est simplement parce que j’en ai envie, impulsivement, et si le résultat me plait je le publie. Je peux passer des heures à revenir sur mon compte Instagram pour l’admirer avec fierté.

Je suis contente quand j’ai beaucoup de likes, mais davantage quand ce sont des likes de femme. Je me sens alors comme si on me disait “ you go girl” et ça, c’est un sentiment vraiment pur.

Ça m’aide aussi à contrôler énormément mon image. Je suis une personne qui tend à faire des dépressions facilement : je n’aime définitivement pas cette image. On dit “ fake it ‘til you make it” et les réseaux sociaux m’aident parfois à faker des moments sains alors qu’ils étaient ennuyeux ou que je me sentais incapable d’accomplir quoi que ce soit. Ça me redonne de la force. »

@riversOng_ : « J’ai l’impression que c’est beaucoup plus quand je me sens moins à la hauteur, moins belle, moins sexy que je me retrouve à poster des selfies plus sexy. Quand j’ai besoin de me faire rassurer peut-être aussi. Des fois seulement parce que j’attends un comeback de quelqu’un en particulier ou pour un gros “ It’s your loss babe“. Pas tant pour les likes, plus pour mon ego. »

@Alexxa_von_Hell : « Je le fais pour mon travail de dominatrice. J’adore les commentaires de dévotion de mes soumis. Ils tiennent à me montrer qu’ils me vénèrent, donc ils me couvrent de cadeaux de ma wishlist et de transferts sur Paypal. Ça me donne beaucoup d’ empowerment. Je peux me permettre de rappeler aux hommes leur place aux pieds des femmes. Ça se marie bien avec mon côté féministe. Je reçois de beaux commentaires, rien de trash. Ils sont flatteurs et très drôles parfois. »

@persanetheme : « J’avais peur d’être jugée. J’aimais pas mon corps. J’en ai glissé un mot à mon conjoint, qui m’encourage toujours à own up mon corps et à faire ce que je veux. J’en ai aussi parlé à des amis et amies. Je suis allée chercher le courage qui me manquait.

J’aime l’idée que certaines personnes vont sûrement se dire qu’elles n’auraient jamais pensé ça de moi. J’ai l’impression d’aller briser un stéréotype de la “fille qui fait ça pour de l’attention” auprès de mon entourage.

J’apprécie maintenant le feeling que ça me procure, de regarder des photos et de les trouver belles, pour ensuite réaliser que c’est moi, sur les photos. Tu te trouves belle, alors c’est cool, tu t’aimes. Tu es la première à te trouver belle quand tu publies juste un selfie de toi-même, alors quand c’est un selfie sexy le sentiment est décuplé. »

https://www.instagram.com/p/BUD07kpFVXo-emmUsnI9VUijQceBqTWvswtu2o0/?taken-by=mmegab

@queerdosoctopus : « J’ai commencé quand j’allais, pour une raison médicale, perdre le volume de mes seins pour quelques semaines. J’ai partagé une photo de moi avec mes miniseins que j’allais voir disparaître. J’ai eu le temps d’avoir quelques likes et commentaires, puis elle a juste disparu, censurée.

Ce que j’apprécie dans l’acte de partager une photo de soi, c’est le dévoilement, de soi face à soi-même, sans le regard d’autrui. J’adore prendre des photos de moi dans le bain, alors que je mettrais un temps incalculable à être à l’aise devant un ou une photographe. C’est exactement comme ça que j’arrive à me trouver jolie, sous des angles et des filtres que je manœuvre moi-même. »

Magdalini* : « Je me sens bien par rapport à mon corps et j’ai envie de partager ce beau feeling quand je l’ai. Je publie aussi des photos de moi quand je veux me faire texter ou avoir des dates. »

@mmegab : « J’ai envie de me trouver belle malgré les cadres sociaux. Mais en prenant leurs codes, en jouant leur game. J’ai envie d’afficher une fille ronde et heureuse. Mais de diffuser ces photos que dans mes cercles, comme dans un safe space. Je le fais à la fois pour moi et pour attirer des compliments, pour me valider.

Je suis en couple et heureuse. Mais un cliché sexy soft sur Instagram me donne de l’ empowerment. J’assume mon corps, tout en recherchant des comebacks. »

@cindy_cinnamon : « Et si c’était seulement pour se célébrer soi-même, parce que cette journée-là on se sent particulièrement jolie, sexy, glamour ou extravagante? Par fierté, parce qu’on a peut-être mis l’effort dans certains cas pour s’accepter ou pour d’autres parce qu’on a bossé au gym? »

Celles qui voudraient montrer leurs jambes mais qui ne le font pas

Aurore* : « J’aimerais ça le faire parce que j’aime certaines parties de mon corps, ou la couleur de ma peau, ou certaines constellations de grains de beauté. La photo est une belle façon d’isoler un moment où justement, je me trouve belle.

Je me retiens parce que j’ai peur du jugement, parce que je struggle beaucoup avec mon image corporelle depuis ma dépression, mais aussi parce que je sais que mon père pourrait me juger de faire cela. Ça me bloque complètement. Peut-être aussi que je me trouve des excuses. Le poids du regard social n’est sûrement pas bien loin non plus. Et puis, mine de rien, je n’ai pas de gros seins, donc ça limite un peu le “sujet” de mes photos. »

Belinda* : « J’ai arrêté de faire des photos dans ce style parce que je me suis fait slutshamée solide par mon département d’études. Et aussi parce qu’un ami m’a récemment dit qu’il avait vu un de mes selfies sur un site porno et j’ai aucune idée comment il a atterri là. Je vais refaire des photos mais je ne veux plus les partager à des gars. »

Charline* : « J’aimerais ça en faire parce qu’en tant que femme grosse, c’est empowering. C’est en voyant des photos décomplexées de corps comme le mien que j’ai appris à le dédramatiser, à l’apprivoiser, à voir sa beauté, parfois.

J’ai toutefois peur du jugement. Les gens qui me suivent sur Instagram viennent de mon patelin et me connaissent depuis le primaire. Et la grossophobie est loin d’être adéquatement déconstruite même chez les féministes. Elle n’est même pas assez déconstruite chez moi, ce qui est un autre facteur qui m’empêche d’aller de l’avant avec la publication des photos : je n’ai pas assez confiance en moi! C’est un struggle quotidien.

Je fais parfois des photoshoots artistiques, de ce que j’aimerais montrer au monde. Les faire juste pour moi m’octroie une liberté plus grande dans les angles, les sujets, les textures : je sais que je serai la seule à les juger. »

https://www.instagram.com/p/Bgu3QCYl2wh/?taken-by=melodienelsonforever

@sv_marily : « Je ne publie pas de photos de moi à cause de la pression au sujet de ce que devrait être une mère. Le rôle de mère est idéalisé et il y a beaucoup de pression pour tenter de nous faire entrer dans le moule. En ce moule-là, c’est d’avoir une maison Pinterest bien tenue, d’être en shape mais de ne pas le montrer trop, d’être séduisante mais pas trop. Et certainement pas d’être sexuelle. Il y a aussi la pression au sujet de ce que devrait être une intellectuelle et le shaming autour du désir d’attention.

J’ai aussi peur que ça revienne contre moi un jour, dans un contexte professionnel ou familial.

J’en prends quand même vraiment souvent. Des fois j’en publie une et je la supprime deux secondes plus tard. Je me suis inscrite sur un réseau social où la majeure partie des gens publient des photos osées juste pour pouvoir le faire de façon semi-anonyme et ne pas avoir l’impression d’être jugés, mais je trouve ça vraiment oppressant et très poche d’avoir peur au point de ne pas vouloir être reconnue, comme s’il y avait de quoi de honteux à assumer. »

Le regard que les femmes posent sur les autres femmes qui s’exposent

@persanetheme : « Les femmes m’inspirent. Je trouve qu’il y a de plus en plus de solidarité féminine et de support. Ça encourage les gens à se sentir bien dans leurs corps, peu importe le corps qu’on a. »

@paszipire : « C’est plaisant de voir la diversité des corps. Voir un autre corps que celui d’Emily Ratajkowski, ou de ceux des publicités #mycalvins. Pas que je n’aime pas ces photos, mais grâce à cette libération sexuelle, j’ai appris que j’aime une bien plus grande variété de physiques que ce que je croyais. »

Pascale* : « Me semble que dans une société qui t’enseigne à tour de bras à haïr ton corps, surtout quand il ne répond pas à une forme d’idéal, c’est comme un gros fuck you qui fait du bien, les selfies sexy.

La personne en posant ce geste a le choix du regard qui est posé sur son corps. C’est un geste délibéré, presque un regard d’auteur, qui ne montre que ce que la personne choisit de montrer. Je pense que dans un tel contexte, le rapport de pouvoir est renversé par rapport à une photo prise expressément pour plaire au male gaze. »

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Charline* : « Ça me remplit d’un mélange d’émotions : je suis fière, joyeuse, émue, partisane, enchantée, charmée! Ça me fait tellement plaisir de voir des amies et amis ainsi libérés. Je ne peux que les acclamer et les encourager à continuer! »

Si la société requiert des femmes qu’elles soient toujours jolies, que ce soit pour aller chercher une poutine chez Corvette ou pour danser, l’inconfort masculin est flagrant quand les femmes se trouvent belles et le manifestent. Et qu’elles affirment le faire avant tout pour elles. Et non pour des sifflements dans la rue ou des likes sur Instagram.

* Les noms des personnes citées ont été changés pour préserver leur anonymat.