Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a cette semaine cédé à la demande de Bell Media de ne plus l’obliger à financer MuchFACT, un programme d’aide à la réalisation de vidéoclips. Fonds important pour le développement de l’industrie musicale canadienne, MuchFACT a contribué à hauteur de 100 millions de dollars au financement de 9000 projets au cours de ses 33 ans d’existence.
Bien que d’autres programmes de financement de vidéoclips existent, MuchFACT était de loin le plus grand, avec des subventions allant de 10 000 à 30 000 $. MuchFACT a été créé pour qu’une partie des revenus de MuchMusic contribuent à financer des projets de musiciens canadiens, soit environ 2 millions de dollars par année. Mais Bell Media ne voulait plus payer.
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Bien entendu, cette décision représente une grande perte pour l’industrie musicale canadienne, qui n’a pas caché son mécontentement. VICE s’est entretenu avec trois acteurs affectés par la décision du CRTC. Ils nous ont confié leurs appréhensions quant à l’avenir sans MuchFACT et leur peur que cette décision sets a precedent pour d’autres fonds de subvention, ce qui signerait l’arrêt de mort d’une industrie au complet.
France-Aimy Tremblay, productrice et associée chez Roméo et fils
J’imagine que ça complique les choses, comme MuchFACT est une assez grosse source de revenus pour vous.
En 2017, la portion de gens qui paient leur clip de leur propre poche est vraiment minime. Au Québec, il y a quelques options que je ne connais pas toutes. Je sais par exemple que Remstar donne 15 000 $ et Musicaction rembourse 50 % des dépenses du clip. Dans le reste du Canada, pour les bands plus anglos, il y a quelques autres subventions que je ne connais pas, mais la plus grosse, c’est MuchFACT. Ils donnent soit 10 000 $ ou 30 000 $, selon l’application que tu fais. Donc, vraiment, les jeunes artistes indépendants qui font des démarches pour s’exporter à l’international, ils n’ont pas 20 000 $ à mettre sur un clip.
(Vidéoclip pour ‘Lite Spots’, du Longueillois Kaytranada, réalisé par Martin C. Pariseau, avec l’aide financière de MuchFACT)
Est-ce que ça va affecter vos opérations dans le futur?
C’est certain que nous, ça fait un moment qu’on sait que les subventions vont mourir un jour. Les lois du CRTC font en sorte qu’ils sont obligés de prendre un certain montant de leur revenu pour le réinvestir dans du contenu qui est diffusé sur leur poste de télé. MuchMusic a réussi à faire changer cette loi. Ce qui est plate là-dedans, c’est que oui, certainement, on va perdre beaucoup d’emplois; les réalisateurs vont perdre la chance de travailler avec des artistes vraiment cool et de faire leurs démos avec ça. Souvent, les réalisateurs commencent dans le monde des vidéoclips avant de passer à des plus gros projets. C’est vraiment à ce niveau-là que je pense que ça va nuire le plus. C’est la relève, tant au niveau de la musique qu’au niveau de la réalisation, qui écope. La différence entre un clip à 1000 $ et un clip à 10 000 $, c’est qu’à 10 000 $, le réalisateur peut avoir un vrai tournage. Le nombre de réalisateurs qui ont commencé dans les clips et qui, aujourd’hui, sont rendus big, il y en a plein.
Le futur du monde du vidéoclip canadien, ça va ressembler à quoi sans MuchFACT, selon toi?
Bonne question… Je ne sais pas s’ils vont trouver une solution pour essayer de remanier les fonds et en garder un peu. C’est certain qu’il y aura beaucoup moins de clips qui vont sortir. Ou les budgets seront vraiment plus petits, donc ce seront vraiment des petites opérations. En plus, livrer un clip à MuchMusic, ça coûte de l’argent, donc je me demande si les gens continueront à leur envoyer du matériel. La quantité de nouveaux clips que Much passera sera minime, et ils passeront surtout des clips américains.
Est-ce que ça signifie en quelque sorte la mort prochaine de MuchMusic?
Non, je ne pense pas. Ils passeront toujours des clips américains. Ils vont peut-être le remanier, changer le contenu pour qu’il y ait moins de clips et plus d’émissions.
Ça sera vraiment nuisible, car au Québec, on a plein d’artistes émergents qui ont du talent. Par exemple, j’ai eu des subventions MuchFACT pour tous les clips qu’on a faits avec Cœur de Pirate. C’étaient des super beaux clips pour lesquels on a eu 30 000 $, qu’on aurait jamais pu faire sans leur aide. Souvent, les labels vont aussi contribuer financièrement, donc avec un budget total d’environ 45 000 $, on peut faire des trucs vraiment incroyables. Je pense que ça va être très dommageable pour le Québec. C’est une très mauvaise nouvelle.
Après, Much a réussi à changer ses lois. Peut-être que Remstar, l’équivalent québécois de MuchFACT, voudra aussi faire la même chose. Si Remstar arrête, il n’y aura plus de clips au Québec. Ou, du moins très, très peu.
Mike Juneau, réalisateur de vidéos
Que penses-tu de cette nouvelle?
Les clips, c’est vraiment hyper important. Il y aura d’autres options. D’autres subventions existent, les artistes peuvent aussi faire du sociofinancement. C’est aussi commun de faire du placement de produit dans les clips. Une combinaison des trois, parfois.
Est-ce que la prochaine étape logique, c’est la mort de MuchMusic?
C’est déjà mort. Depuis bientôt une décennie, elle joue le parent pauvre de MTV. Le contenu culturel a complètement disparu, ils ne font plus d’émissions originales. Ce n’est que de la téléréalité à la con. Pour moi, ça fait longtemps que MuchMusic, c’est mort, même si c’est toujours un poste de télé. Ce n’est plus ce que c’était.
Peux-tu m’expliquer brièvement comment ça fonctionnait?
Essentiellement, tu trouvais un groupe qui faisait un peu de bruit et t’espérais que Much en avait entendu parler. Après, tu faisais un plan, tu préparais un pitch avec ton idée. S’ils approuvaient, ils t’envoyaient la moitié de l’argent, et, après que le clip soit terminé, t’envoyais tes reçus, et ils t’envoyaient le reste de l’argent.
Nick Greaves, musicien (Wildlife, The Most Serene Republic)
Combien de fois as-tu bénéficié de subventions MuchFACT?
Plusieurs fois. Je fais partie de quelques groupes et je fais aussi de la gestion pour d’autres groupes. Pour la plupart, on a surtout eu notre grand début grâce au soutien financier de MuchFACT. Et quand je revenais de tournée, je bossais pour une compagnie de tournage qui faisait surtout des clips, et la grande majorité des clips étaient financés par ce fonds-là. C’est ce qui me permettait de survivre quand je n’étais pas en tournée.
Crois-tu que ça signifie la mort de MuchMusic?
J’espère que non. Je suis obsédé par MuchMusic depuis ma jeunesse. Voir des vidéoclips, c’est ce qui m’a donné envie de faire de la musique. Je me rappelle que j’appelais pour voter pour mes clips préférés, j’appelais constamment pour Green Day.
J’ai toujours été visuel, et ça m’a permis de m’intéresser à la photo et au film. J’étudiais des gens comme Spike Jonze et plein d’autres gens qui utilisaient la musique et la vidéo comme un nouveau médium, en faisait quelque chose d’émotionnel.
(Vidéoclip pour ‘Afterglow’, du Montréalais Jacques Greene, financé en partie par MuchFACT)
J’espère vraiment qu’ils vont trouver un nouveau moyen de faire, que ce soit de distribuer des vidéos sur leurs différentes plateformes en ligne. Les vidéoclips, c’est un des trucs les plus importants de l’industrie de la musique; c’est une industrie en soi. C’est où les gens commencent leur carrière. Des gars comme Chris Grismer, le Torontois qui a réalisé le clip Rebellion (Lies) d’Arcade Fire. Maintenant, il réalise et produit The Vampire Diaries. Ou encore Jared Rabb, qui a grandement bénéficié de fonds MuchFact et qui réalise maintenant Nirvana the Band the Show.
Restes-tu optimiste quant à l’avenir de l’industrie canadienne du vidéoclip?
Il faut l’être. C’est une cause trop importante pour qu’on la laisse mourir.
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