En un clic, la peau se lisse et s’illumine, les yeux s’agrandissent, le visage s’amincit, les lèvres deviennent pulpeuses. Avec leurs filtres de beauté instantanée, les applications comme Snapchat altèrent notre perception de la beauté un selfie à la fois, ce qui peut entraîner son lot d’effets pervers.
On observe une tendance grandissante dans le domaine de la chirurgie plastique : des patients demandent de plus en plus à ressembler à leurs selfies embellis.
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Dans un article publié jeudi dans le Journal of the American Medical Association, trois chercheuses de la Boston University School of Medicine soulignent cette tendance.
Elles observent que les temps ont changé depuis l’époque où les modifications de photos étaient accessibles surtout aux célébrités et aux mannequins. Aujourd’hui, avec des applications faciles d’utilisation comme Snapchat, Facetune et Meitu, la perfection artificielle est à la portée de tous.
« L’omniprésence de ces images peut affecter l’estime personnelle, faire en sorte qu’on se sente inadéquat de ne pas avoir l’air de ces standards de beauté dans la vraie vie, et peut même agir comme déclencheur menant à un trouble dysmorphique du corps », explique-t-on.
Ce trouble est décrit comme une « préoccupation excessive des perceptions de défauts dans l’apparence ». Plus qu’un simple manque de confiance en soi, il s’agit d’un trouble obsessionnel-compulsif. Les personnes atteintes de ce trouble cherchent à modifier leur apparence par la chirurgie plastique.
Auteure du papier et chirurgienne esthétique, Neelam Vashi dit que ce trouble touche de 1 à 2 % de la population. Chez les personnes qui ont recours aux soins dermatologiques ou aux interventions en chirurgie esthétique, la proportion s’élève à 15 %.
Elle dit avoir remarqué ce phénomène il y a quelques années. « Avant, les patients apportaient des photos de célébrités pour montrer quels traits ou caractéristiques ils voulaient avoir. Récemment, cette tendance a changé, et les patients apportent des selfies pour montrer quelle apparence ils veulent », écrit la Dre Vashi dans un courriel à VICE.
Le médecin spécialisé en chirurgie esthétique Tijon Esho n’a pas participé à la rédaction du papier, mais, dans sa clinique en Angleterre, il a observé le même phénomène. Il lui a même donné un nom : « dysmorphie Snapchat ».
Il nous dit recevoir environ trois patientes par semaine voulant ressembler à leurs selfies. Il rapporte que les personnes souhaitant devenir la réplique de leurs versions « filtrées » demandent le plus souvent un nez droit, des lèvres pulpeuses ou la peau parfaite que les applications leur ont fait miroiter. Il juge cette tendance « inquiétante ». Il refuse systématiquement de faire de telles interventions.
Même son de cloche chez la Dre Vashi. « Si je reconnais un trouble de dysmorphie corporelle, je ne traite pas le patient avec une intervention esthétique, puisqu’il est prouvé que ce n’est pas efficace. Le traitement nécessite une approche empathique, avec des soins psychiatriques. »
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En janvier, le sondage annuel de l’association des chirurgiens esthétiques du visage American Academy of Facial Plastic and Reconstructive Surgery faisait état de cette tendance grandissante. En 2017, la majorité des chirurgiens (55 %) disaient avoir reçu des patients qui voulaient améliorer leur apparence dans leurs selfies. C’est 13 % de plus que l’année précédente.
La majorité des membres ont aussi remarqué une augmentation de la demande pour la chirurgie esthétique et les injections chez les personnes de 30 ans et moins.
La Dre Vashi juge que le phénomène est alarmant. « Et, malheureusement, je ne crois pas que la situation va s’améliorer de sitôt. En fait, je crois qu’elle va empirer au rythme où l’utilisation des médias sociaux va s’accroître », estime-t-elle.
Elle croit aussi que c’est à nous, en tant que société, de déterminer le chemin à emprunter pour corriger le tir.
Justine de l’Église est sur Twitter.