Des groupes armés terroristes du nord du Mali sont suspectés par certains experts des Nations unies de soutenir le braconnage d’éléphants, qui a fortement augmenté en 2015.
« Nous suspectons fortement que les braconneurs soient liés à des groupes armés terroristes, qui pourraient utiliser le trafic d’ivoire pour financer certaines de leurs activités, » nous a expliqué depuis Bamako, ce lundi matin, Sophie Raviers, en charge de l’Environnement pour les Nations unies au Mali — sans pouvoir être plus précise sur l’identité des groupes suspectés.
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57 éléphants ont été tués entre le 1er janvier et le 30 juin 2015, soit 20% de la population d’éléphants restante, selon des chiffres rendus publics le 8 octobre par la MINUSMA, la mission de maintien de la paix de l’ONU au Mali. Ces éléphants vivent dans le Gourma malien, une région située dans le nord du pays.
Pour lutter contre cette recrudescence du braconnage, cinquante nouveaux gardes forestiers vont être envoyés dans les prochaines semaines par les autorités maliennes dans le Gourma. Ils seront rattachés à la Direction nationale des eaux et forêts et devront tout particulièrement s’atteler à la sauvegarde des éléphants.
« Il existe dans cette région des trafics de toutes sortes : trafic de drogue, trafic humain… Ces trafics là sont aussi liés à des groupes armés terroristes. L’ivoire pourrait passer par les mêmes routes, » explique Sophie Raviers, tout en précisant qu’il est difficile de savoir qui fait quoi précisément dans un pays encore ébranlé par un conflit qui a débuté il y a plus de 3 ans.
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En mars 2012, un coup d’État avait fragilisé le pays, permettant au Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) de conquérir la moitié nord du Mali en s’alliant avec divers groupes islamistes, dont Ansar Dine, AQMI (Al-Qaida au Magreb islamique) et le MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest).
En janvier 2013, les forces islamistes ont mené une offensive vers le sud du pays, entraînant le lancement de l’opération française « Serval » (par la suite remplacée par l’opération Barkhane) qui a rapidement stoppé la progression des djihadistes et repris le contrôle du nord du Mali.
Dans cette région fortement touchée par des problèmes économiques depuis le début du conflit en 2012, « Le braconnage est vu comme un moyen facile de gagner de l’argent, » explique Sophie Raviers. Ainsi, des groupes terroristes encourageraient le braconnage afin de revendre l’ivoire à des trafiquants.
Terrorisme et braconnage
Les groupes terroristes opérant au Mali ne seraient pas les seuls à pratiquer le braconnage pour financer leurs organisations, d’après un rapport de juin 2014 du programme des Nations Unies pour l’environnement (UNEP).
Ce trafic serait par exemple le moyen de financement principal de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), un mouvement rebelle qui s’oppose au gouvernement ougandais, et qui opère désormais à la frontière entre le Soudan du Sud, la Centrafrique et la RDC. Le Janjaweed, une milice qui opérait au Darfour (Soudan), et d’autres gangs du Tchad et du Niger auraient aussi eu recours au braconnage pour se financer.
En Asie, cette méthode de financement a aussi été utilisée dans la région d’Assam au nord de l’Inde, près de la frontière nord du Bangladesh. La région est aujourd’hui la cible d’une multitude de groupes armés — des séparatistes, des rebelles, mais aussi des terroristes islamistes — qui braconnent les animaux. Harkat-ul-Jihad-al-Islami et Jama’atul Mujahideen Bangladesh — deux groupes associés à Al-Qaida — braconneraient des tigres, des éléphants et des rhinocéros dans la région pour faire fonctionner leurs organisations terroristes.
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« Les trafiquants tirent profit de tout trafic possible »
La population d’éléphants du Mali représente 12 pour cent des éléphants en Afrique de l’Ouest. Ils sont très mobiles et capables de se déplacer rapidement pour trouver de l’eau, dans une zone qui s’étend de la frontière avec le Burkina Faso et remontant parfois presque jusqu’à Tombouctou, le long de la rivière Niger.
La région du Gourma au Mali.
Ils sont l’une des deux seules populations d’éléphants à s’être adaptés à la vie dans le désert, et ceux qui vivent le plus au nord sur le continent africain.
« Ils sont d’une importance capitale pour une raison de diversité génétique, » nous explique ce lundi Susan Canney, qui mène le « Mali Elephant Project » de l’ONG Wild Foundation.
L’équipe du docteur Susan Canney est très présente sur place pour défendre les éléphants du Mali depuis des années. L’entrée en jeu des groupes armés terroristes en fait un sujet très sensible.
« Nous n’avons aucune preuve, mais il semble que les réseaux de trafiquants ciblent les éléphants, » avance prudemment Susan Canney. « Les trafiquants tirent profit de tout trafic possible : la drogue, les personnes… Les groupes armés, eux, ont toujours besoin d’argent pour acheter des armes. Il est possible qu’ils utilisent ce canal, parmi d’autres, pour se financer. »
50 nouveaux gardes forestiers
Des agents de la MINUSMA, de la Direction nationale des eaux et forêts ainsi que de l’ONG Wild Foundation ont visité, du 2 au 5 octobre, les localités de Boni, Hombori et Mindoro (dans la région du Gourma) afin d’évaluer les futurs sites où les nouveaux gardes forestiers seront déployés.
Leur mission ne sera pas sans risque, puisque les gardes forestiers sont devenus eux-mêmes des cibles. Le premier juillet dernier, le garde forestier déployé dans la ville de Mondoro a été assassiné. Dans ce cas aussi, les groupes armés terroristes sont suspectés, selon des sources proches du dossier.
Ces 50 gardes forestiers, « viennent de finir leur formation, qui comprenait également une formation militaire, » nous a dit Sophie Raviers de la MINUSMA.
Près de 20 000 éléphants ont été tués pour leurs défenses en 2013, selon le rapport de l’UNEP. « L’ivoire issu du braconnage en Afrique représenterait 165 à 188 millions de dollars (entre 145 et 166 millions d’euros), » établit le rapport. La demande en ivoire est notamment forte en Asie et au Moyen-Orient.
Suivez Lucie Aubourg sur Twitter : @LucieAbrg