Le mois dernier, un contributeur de VICE Espagne écrivait un article sur la pire erreur de sa vie : devenir mannequin pour une banque d’images. En moins d’un an, il s’était retrouvé à illustrer des pubs pour du lait, ainsi qu’un article évoquant une affreuse blessure au pénis – entre autres choses. Il n’est pas le seul dans ce cas : les mannequins n’ont que rarement leur mot à dire quant à l’utilisation de leurs photos.
Nous avons demandé à des personnes originaires de toute l’Europe d’évoquer pour nous leurs pires expériences d’utilisation de leur image.
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Priscilla Rossi, 27 ans, France
Si on tape « cheveux afro naturels » ou « cheveux frisés » sur Google Images, on tombe assez rapidement sur des photos de moi. J’ai un blog qui marche assez bien et, dans la mesure où je bosse bien mon SEO et que je renomme toutes mes photos, elles sont assez bien référencées. Dans un sens, ça me rend service car beaucoup de recherches renvoient sur mon blog, mais il y a aussi des gens qui se servent sur Google Images comme si c’était une banque d’images gratuites. Parfois, quand le dialogue se met en place, c’est presque mignon. On me répond : « je l’ai trouvé sur Internet », comme si je n’étais pas une vraie personne réelle, d’autres sont convaincus qu’ils sont dans leur bon droit.
Du coup, je tombe assez régulièrement sur des photos de moi utilisées sans permission, et c’est toujours un combat pour les faire supprimer. Par exemple, en 2015, un graphiste d’Auchan a récupéré une photo de moi pour des produits pour les cheveux. C’était un magasin un peu perdu, à Boulogne-sur-Mer, et c’est une de mes lectrices qui a vu mon visage en tête de gondole pour promouvoir le rayon des produits Nappy. Heureusement, ils ne l’ont pas laissée trop longtemps.
Ça peut devenir très gênant quand je n’arrive pas à contacter la marque. Par exemple, la marque Glutathione Cosmetics USA utilise mon visage pour promouvoir des produits éclaircissants pour la peau. Plusieurs fois par mois, on me signale qu’ils utilisent une photo de moi pour leurs posts « avant/après » où je suis supposée représenter l’après, la « blanchie » grâce à l’utilisation de la crème, donc. Impossible de leur parler, le siège est à Atlanta, malgré les deux avocats que j’ai engagés. C’est une espèce de nébuleuse, et l’affaire n’est pas claire car il y a des revendeurs un peu partout en Afrique.
Quand une photo est supprimée, une autre apparaît quelques jours plus tard. La page est likée par près de 250 000 personnes, mes lectrices ne sont pas forcément abonnées mais, au sein de la communauté afro, le moindre like fait remonter la page sur Facebook et mon visage apparaît pour promouvoir une crème attrape-nigauds. Aujourd’hui, en ayant un petit business – car c’est de ça dont on parle : des revendeuses au Cameroun ou au Burundi qui font leur blé via WhatsApp – il n’y a plus de professionnels du graphisme, au courant des droits à l’image. Tout le monde se sent libre de faire n’importe quoi. En l’occurrence, moi j’ai un blog et je passe mon temps à écrire qu’il faut s’accepter comme on est. Là, on parle de produits dangereux, ça me pose un problème d’être associée à ça, surtout par mes lectrices. Ce genre de crème représente un malaise de la communauté noire, ça sous-entend que plus on est noire, plus on est moche. J’ai rien demandé et une marque se fait du fric sur ma gueule !
Silvia Bottini, Italie
Cette photo a été prise dans un temple de Shanghai en 2008. Le photographe était mon copain de l’époque – depuis, il s’est fait un nom dans la photo pour banque d’images. Lorsque nous étions ensemble, je m’habillais volontairement avec des couleurs neutres et je me maquillais toujours : comme ça, il pouvait me prendre en photo dès qu’il était inspiré. C’est ce qu’il s’est passé avec cette photo : nous étions en vacances tous les deux et il m’a demandé de poser en pleurant. Peu de temps après qu’il a mis cette photo en ligne sur différentes banques d’images, on m’a envoyé des mèmes de « First World Problems » qui utilisaient la photo. Au début j’étais très énervée : les banques d’images devraient faire plus attention à leur contenu.
Quand j’ai expliqué ce qu’il s’était passé au photographe, il m’a dit que je pouvais traîner en justice les sites qui hébergeaient l’image, mais qu’il y avait peu de chances pour que ça aboutisse à quoi que ce soit. J’ai vu des mèmes vraiment offensants ou vulgaires – maintenant, je demande aux gens de les retirer s’ils dépassent les bornes. Au bout d’un moment, des gens ont trouvé mon nom et ont commencé à me chercher sur Internet. Je lisais des commentaires du style : « Elle passe son temps à se plaindre sur son profil Facebook : ce mème est vraiment fait pour elle ». C’était carrément agaçant, mais je me suis attachée au mème au fil des années. Je vis à Los Angeles et je suis actrice depuis 15 ans – j’ai même gagné des prix – mais rien de tout cela ne m’a donné autant de notoriété que ce mème. Du coup, j’ai laissé tomber mes principes – j’ai même décidé de créer une websérie avec mes amis, centrée autour de mon personnage de « First World Problems ».
Rolien, 25 ans, Pays-Bas
Quand j’avais 18 ans, j’habitais à Londres et j’y travaillais en tant que mannequin. Je faisais souvent des shootings avec un ami photographe : à l’époque, c’était la folie autour de Lady Gaga, et j’ai fait quelques photos à moitié nue dans ce style-là. La série de photos a été publiée dans un magazine artistique local.
Environ un an plus tard, le photographe m’a contacté par e-mail : il sortait de Harvey Nichols (une chaîne de magasins chics) où il avait vu tout un rayon rempli de tee-shirts pour hommes sur lesquels il y avait une photo de moi, nue, portant simplement une veste – un bout de scotch noir recouvrait mes tétons. Il se trouve qu’une marque quelconque a décidé de prendre une des photos du shooting sans demander la permission, de l’imprimer sur un tee-shirt et de rajouter des trucs merdiques à côté. Ils m’ont mis des ailes, bordel de merde. Mon corps était en vente sur un tee-shirt immonde pour 55 livres dans différents magasins de la ville – et même sur Internet.
Les tee-shirts ont été retirés de la vente très rapidement après nos menaces de procès, mais je reste sidérée du culot qu’ils ont eu : ni le photographe ni moi n’avons reçu de compensations financières. En plus, toute cette histoire m’a éloigné de mon ami photographe, donc j’en garde un goût amer. Quoi qu’il en soit, il y a peut-être des gens qui se baladent dans la rue avec un tee-shirt où j’apparais à moitié à poil.
Kimberley Jackson, 29 ans, Royaume-Uni
En 2012, j’étais à un défilé de mode à l’hôtel Montcalm, et, alors que je montais à l’étage pour me changer, des photographes m’ont suivie en me disant : « Kimberley, pose dans les escaliers ! » D’habitude je ne fais pas de photos légères (j’ai d’ailleurs atteint mes limites avec cette main sur le sein), mais à ce moment-là, ça m’a plu.
Le jour suivant, j’ai remarqué un des gros titres du Daily Mail : « Une concurrente de l’émission The Bachelor se met en sous-vêtements pour un shooting chaud lors d’un défilé de mode », illustré par cette photo de moi dans les escaliers. Apparemment, ils ont cru que je participais à l’émission The Bachelor et que j’essayais de séduire Gavin Henson. Sur le coup, je me suis demandé « c’est qui ce mec ? » Maintenant je sais : Gavin Henson est un joueur de rugby gallois. Mais, à l’évidence, je n’irais jamais dans une émission pour essayer de le séduire. Il paraît qu’il y avait beaucoup de concurrentes de l’émission présentes lors du show et l’une d’elles aurait même défilé. Ce n’était pas moi, cependant. Je ne savais même pas que The Bachelor existait en Angleterre, je croyais que c’était un truc américain.
Jérôme Rupf, 22 ans, Allemagne
Il y a deux ans, je travaillais en tant que mannequin à Londres lorsqu’un photographe m’a contacté sur Instagram pour savoir s’il pouvait faire une séance avec moi. Il ne pouvait pas me payer et il ne m’a pas contacté via mon agence – mais j’avais besoin de photos pour mon portfolio, du coup j’ai accepté.
Sur place, tout le monde était adorable et nous nous sommes bien amusés. C’était différent des autres shootings que je faisais normalement : ils m’ont demandé de me tenir très droit, presque comme une poupée et ils m’habillaient avec des trucs bizarres, comme des shorts rouges très courts, une veste en cuir dorée et un imperméable nacré, par exemple. J’étais torse nu la plupart du temps.
Six mois plus tard, je suis tombé par hasard sur les photos, Photoshoppées dans des tons pastel, dans un magazine en ligne : ils m’avaient transformé en poupée Ken. Je ne m’attendais pas à ça, du coup j’ai rappelé le photographe mais il ne m’a jamais répondu. Je ne voyais pas l’intérêt d’en faire tout en plat, du coup je ne l’ai pas relancé, mais je pense tout de même qu’ils auraient dû me dire ce qu’ils comptaient faire des photos. Désormais, je demande toujours à quoi mes photos vont servir avant d’accepter une séance.
Jadranka Joksimović, 20 ans, Serbie
Un jour, j’ai fait une séance photo pour un magazine serbe. Ça devait être une campagne de pub pour des maillots de bain. Ils avaient engagé plusieurs filles (dont moi) et ils savaient à l’avance les tailles dont ils allaient avoir besoin. Cependant, quand ils nous ont préparées, ils n’arrêtaient pas de dire des choses comme : « On ne pensait pas que les maillots de bain auraient l’air si petits sur vous » ; ils nous ont également dit qu’ils ne comprenaient pas pourquoi l’agence avait envoyé des « filles comme nous ». La séance a duré des heures, et ils ont fait des milliards de photos avec des maillots de bain variés et des poses différentes.
Lorsque le magazine est sorti, la « campagne de pub » s’est révélée être une seule page de photos et ils avaient coupé toutes nos têtes. Le titre racontait une connerie du genre : « Il est temps de montrer ce corps que vous avez musclé tout l’hiver ! ». C’était du grand n’importe quoi ce truc.
Patricia Sluka, 26 ans, Suisse
Pour l’un de mes premiers jobs, on m’a engagée en tant que mannequin pour la carte de vœux d’une équipe de football amateur. Ils voulaient envoyer une carte spéciale à leurs sponsors. Un ami photographe m’a proposé ce job et, comme je débutais, je ne savais pas trop à quoi m’attendre. Il m’a demandé si j’étais partante pour faire un truc un peu provoc, en sachant que la photo ne serait pas publique et qu’il ne me demanderait pas d’être nue. Du coup j’ai pensé : OK, je vais le faire.
La photo qui en a résulté ressemblait plus à un shooting promotionnel pour un club sado-maso qu’à la carte de vœux d’une équipe de foot. Ils nous ont fait faire plusieurs photos ; à un moment, un des joueurs était face à l’objectif, à quatre pattes, avec une épaisse chaîne autour du cou tandis que j’étais debout à côté de lui, en train de tenir la chaîne. Une mannequin blonde était également présente, en train de donner des coups de fouet. En soi, la séance ne m’a pas dérangée, mais lorsque j’ai vu le résultat, j’ai trouvé que c’était un peu sordide et carrément à côté de la plaque pour un club de foot amateur.