Cet article a été initialement publié sur VICE Allemagne.
Le samedi 25 août, un homme de 35 ans, Daniel Hillig, a été mortellement poignardé lors d’une bagarre à Chemnitz, une ville de Saxe, en Allemagne. Très vite, un Syrien et un Irakien ont été placés en détention provisoire. Le lendemain du meurtre, des centaines de néonazis sont descendues dans les rues de Chemnitz afin de protester contre la politique migratoire de Merkel et « chasser des réfugiés ». Le dimanche 26, six personnes ont été blessées. De nombreux manifestants ont attaqué au hasard des personnes qui leur semblaient étrangères.
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Chemnitz a un gros problème avec l’extrême droite et la xénophobie, ce n’est pas nouveau. Le parti d’extrême droite Pro Chemnitz compte trois conseillers municipaux en fonction, et lors des dernières élections parlementaires, le parti nationaliste AFD a recueilli près du quart des voix.
Le lundi 27 août, l’organisation de soutien aux réfugiés RAA Sachsen a conseillé aux migrants de la région « d’éviter le centre-ville à partir de l’après-midi » au cas où ils rencontreraient « des néonazis et des racistes prêts à en découdre avec les réfugiés ». Cela n’a pas empêché des milliers de personnes – principalement des migrants et des personnes de couleur – d’organiser une contre-manifestation avec le slogan « Dehors les nazis ! »
Nous avons assisté à la contre-manifestation et discuté avec six réfugiés au sujet de l’incident du 26 août, de la montée de l’extrême droite en Allemagne et de leurs craintes pour l’avenir.
Ahmed, 23 ans, réfugié syrien
VICE : Bonjour, Ahmed. Comment as-tu réagi aux événements de la semaine dernière ?
Ahmed : Il a été difficile d’entendre qu’un de mes compatriotes avait fait une telle chose. Il a été encore plus difficile de voir les néonazis s’emparer des rues, s’insurger contre les réfugiés et essayer les attaquer.
Est-ce que cela t’a affecté sur le plan personnel ?
J’ai reçu un message Facebook anonyme un peu plus tôt qui disait : « Va-t’en, espèce de fils de pute de réfugié. »
Que ressens-tu quand tu reçois des messages comme celui-ci ?
Il y a deux ans, j’ai fui la Syrie pour l’Allemagne. Aujourd’hui, je fais des études, je suis en apprentissage. Je ne peux pas dire que tous les Allemands sont mauvais. Il y a des bons et des mauvais éléments dans ce pays, mais cela vaut aussi pour les réfugiés. Et même si des néonazis sortent dans les rues pour attaquer les gens, l’Allemagne sera toujours ma maison.
Richie, 18 ans, habite à Oederan, une ville à l’est de Chemnitz
VICE : Bonjour, Richie. Contre quoi protestes-tu aujourd’hui ?
Richie : Je n’ai pas aimé ce qui s’est passé à Chemnitz, ni ce qui se passe pendant la manifestation nazie. Des gens de couleur sont chassés dans les rues et tout le monde agit comme si c’était normal.
As-tu peur ?
Parfois. Après tout, les extrémistes sont très violents. J’ai des frères et sœurs plus jeunes. Et quand ils vont à Chemnitz, j’ai peur que des personnes étroites d’esprit s’en prennent à eux physiquement.
Que penses-tu de l’ambiance en Saxe en ce moment ?
Parfois, l’ambiance est bonne et d’autres fois, elle est vraiment mauvaise. En ce moment, on voit partout des t-shirts, slogans et autocollants d’extrême droite.
Si tu pouvais dire quelque chose aux manifestants de droite, ce serait quoi ?
Je leur dirais qu’il est possible d’exprimer ses opinions de manière pacifique. Ils doivent être éduqués. Cette région compte beaucoup de médecins, artisans et restaurateurs étrangers.
Ziya, 18 ans, réfugié afghan
VICE : Bonjour, Ziya. Que penses-tu de ce qui se passe à Chemnitz ?
Ziya : Cela m’attriste beaucoup. Il y a eu un terrible meurtre, c’est indéniable. Le problème, c’est que des personnes se sont servies de cet incident comme prétexte pour attaquer des réfugiés sans raison. J’étais en ville avec ma sœur ce jour-là. Un homme âgé nous a abordés et nous a conseillé de partir, sinon quoi nous risquions d’être attaqués par des néonazis. J’ai attrapé ma sœur par le bras et nous nous sommes enfuis.
Les gens chassent les réfugiés et crient des slogans xénophobes.
Oui. Une fois, un homme a lâché son chien sur moi. Je n’ai pas été blessé et je n’ai montré aucun signe de peur. Mais maintenant, je crains que de plus en plus de gens s’opposent aux réfugiés. Ils disent toujours que les étrangers obtiennent les meilleurs emplois et les meilleurs logements. Mais moi, j’ai envie de leur répondre : « Pourquoi ne vous êtes-vous pas donné plus de mal à l’école ? C’est de votre faute si vous n’êtes pas là où vous voudriez être aujourd’hui. C’est votre problème. »
Penses-tu que beaucoup de gens dans ce pays sont néonazis ?
Tous les Allemands ne le sont pas. Par exemple, mes professeurs et mes camarades de classe sont très gentils et m’aident beaucoup. Mais il est vrai que beaucoup d’Allemands ont peur des réfugiés parce qu’il y a eu des incidents. Attaquer quelqu’un, c’est mal, que les auteurs soient des néonazis ou des réfugiés.
Comment résoudre le problème ?
Je pense que les gens doivent se parler. L’Allemagne est ma nouvelle maison. Je veux étudier ici et devenir médecin. Je ne peux pas retourner en Afghanistan.
Ahmad, 24 ans, réfugié afghan
VICE : Bonjour, Ahmad. Pourquoi manifestes-tu aujourd’hui ?
Ahmad : Pour moi, il est important de montrer que tous les réfugiés ne sont pas violents. Les réfugiés sont comme les doigts de la main : il y en a des gros, des petits, des bizarres, des normaux. Il ne faut jamais généraliser.
Est-ce que l’ambiance a changé depuis ton arrivée en Allemagne, il y a trois ans ?
Oui, car aujourd’hui, nous sommes de plus en plus jugés comme un collectif. Personnellement, je n’ai pas peur, mais je devrais. Il suffit que je me balade dans la rue et qu’un groupe de personnes réalise que je suis un réfugié et soudain, je risque ma vie.
Comment vois-tu ton avenir ?
J’ai terminé mon apprentissage au métier de pharmacien et je veux travailler ici. Mais quand je vois ce qui se passe, ça me fait réfléchir à deux fois.
Mohamed, 38, habite à Cologne
VICE : Comment as-tu réagi à l’incident du week-end dernier ?
Mohamed : J’ai vu des vidéos dans lesquelles les gens chassaient les migrants. J’ai été choqué. J’ai vécu à Chemnitz pendant deux ans. Je travaillais au théâtre de la ville. Je vis à Cologne maintenant, mais je suis revenu parce que ça me tenait à cœur.
Qu’est-ce que ça fait d’être de retour ici ?
Cela me fait peur, en tant que citoyen, de voir autant de personnes participer à la manifestation de droite.
Penses-tu qu’il est possible de faire changer d’avis les gens d’extrême droite ?
Je suis strictement contre le fait de parler à l’extrême droite. En 2015, on m’a conseillé d’ouvrir le dialogue avec eux. Jamais de la vie ! Quand je suis arrivé à Chemnitz, j’ai vu des gens avec des t-shirts nazis. Ces gens-là sont irrécupérables.