En novembre dernier, l’antidote aux surdoses d’opioïdes était enfin offert gratuitement dans les pharmacies du Québec. Un gain important pour les acteurs du milieu communautaire qui militent pour un meilleur accès à la naloxone.
« Mais ce n’est pas les gains qu’on voulait », lance Jean-François Mary, directeur général de l’Association québécoise pour la promotion de la santé des personnes utilisatrices de drogues (AQPSUD). Ce qu’il réclame, c’est que les organismes communautaires distribuent eux-mêmes la naloxone.
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M. Mary se trouvait mardi matin au pied de l’hôtel de ville de Montréal, sous la pluie glaçante de février, en cette journée d’action contre les surdoses. Sur un pan de trottoir se tenaient quelques dizaines de personnes de divers organismes et horizons, pancartes ou parapluies à la main, réunies pour réclamer de meilleures politiques pour les personnes qui consomment des drogues. Ça comprend plusieurs mesures, de la décriminalisation des drogues aux initiatives de réduction des méfaits, en passant par un accès facilité à la naloxone.
Et la naloxone en pharmacie, c’est loin d’être la panacée, juge Jean-François Mary. Certains utilisateurs de drogues éprouvent un malaise à s’y approvisionner. Même si la carte d’assurance maladie n’est pas obligatoire pour demander sa trousse de naloxone, « la majorité des pharmaciens vont la demander quand même », dénonce Jean-François Mary. Il ajoute que ce malaise peut être encore plus grand en région, où les communautés tissées serrées laissent peu de place à l’anonymat.
« C’est pas tout le monde qui veut inscrire son nom dans une base de données où n’importe qui peut savoir que j’ai de la naloxone, donc potentiellement je suis un consommateur de drogue. Il faut toujours se rappeler qu’on est dans un système de prohibition des drogues et que non seulement la consommation de drogue est stigmatisée, mais elle est illégale. »
En revanche, les groupes communautaires seraient mieux placés pour offrir un tel service, notamment parce que les consommateurs vont déjà y chercher du matériel comme des seringues. L’accès serait donc direct.
En haut des marches de l’hôtel de ville trônait un cercueil marqué des noms d’utilisateurs de drogues décédés au fil du temps; le même cercueil que l’organisme trimbale depuis 10 ans. À ses côtés, trois personnes déployaient une banderole déclarant que « L’injustice est fatale! On parle, on meurt! »
Une de ces trois personnes était Ange, une utilisatrice de drogues injectables âgée de 25 ans. Elle travaille à Dopamine, organisme de soutien aux consommateurs de drogues, et à Méta d’âme, un organisme qui offre notamment une formation d’administration de la naloxone d’une durée quatre heures, destinée aux personnes à risque et à leurs proches.
Et malgré cette formation rigoureuse, ce ne sont pas tous les utilisateurs qui se procurent ensuite leur antidote, dit-elle. « On a à peu près juste 50 % des gens qui vont chercher la naloxone à la pharmacie. Si on pouvait leur donner directement après le cours, 100 % des gens pourraient repartir avec leur naloxone. »
Jean-François Mary s’étonne que l’antidote aux surdoses ne soit pas encore offert en milieu communautaire, alors qu’à Vancouver, il s’agit d’une chose courante. « On ne parle pas de quelque chose de révolutionnaire. C’est vraiment la base pour garder quelqu’un en vie », martèle-t-il.
Des discussions ont lieu à ce sujet en ce moment au gouvernement, mais, concrètement, la situation n’a pas encore bougé. Ça prend d’abord une modification du Règlement sur les conditions et modalités de vente des médicaments, un règlement pris en vertu de la Loi sur la pharmacie, qui émane de l’Office des professions du Québec.
« C’est juste de la bureaucratie, laisse tomber M. Mary. Ce qu’il faut faire, c’est sortir la naloxone des annexes au médicament et en faire un médicament en distribution libre, et voilà, ce serait réglé. »
Il déplore que la requête n’aboutisse pas, alors que les groupes communautaires en font la demande depuis cinq ans déjà. « Pas plus tard qu’il y a un mois, j’ai écrit au directeur national de santé publique pour lui demander où on en était pour l’accès communautaire à la naloxone. J’ai eu des réponses sur améliorer l’accès, mais aucune réponse pour un accès communautaire effectif », rapporte le directeur de l’AQPSUD.
Le directeur national de la santé publique, Horracio Arruda, n’a pas donné suite à notre demande d’entrevue à ce sujet.
Retard sur la formation
À Laval, la réalité est un peu différente de Montréal, et force est de constater que la ville est encore plus à la traîne dans le dossier. Des intervenants communautaires lavallois disent n’avoir reçu aucune formation pour administrer la naloxone et ne pas être en mesure de former les usagers pour qu’eux-mêmes puissent administrer la naloxone.
Devant le manque de ressources dans sa communauté, l’intervenante auprès de l’organisme lavallois Oasis, Kim Dionne, est allée elle-même suivre la formation à Méta d’âme à Montréal. « Mais ce n’est pas suffisant. Les chances que moi, je sois directement en contact avec une personne qui fait une overdose sont plutôt minces », observe-t-elle.
« Ce sont [les utilisateurs de drogues et leurs proches] qui ont besoin de savoir comment administrer la naloxone, renchérit sa collègue Marilyn Coutu. Les overdoses à Laval se passent beaucoup dans les maisons privées, les appartements où les gens vont consommer en groupe. Donc, s’il y a des personnes qui ont la naloxone sur eux à ce moment-là, ça peut sauver des vies. »
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Les intervenants communautaires discutent de la situation avec la direction de la santé publique de Laval depuis deux ans, et leur demande a été officiellement déposée en octobre dernier, mais le dossier ne débloque toujours pas – ou, du moins, pas suffisamment rapidement à leur goût.
« Je sais qu’il y a des gens au CISSS [Centre intégré de santé et de services sociaux] de Laval qui ont commencé à être formés pour administrer la naloxone. Mais ça débute. Il y a quelques personnes qui ont été formées seulement, donc on est loin de former des organismes communautaires, et on est loin de former les utilisateurs de drogues injectables et inhalables », déplore Mme Coutu.
Le CISSS de Laval n’a pas donné suite à notre demande d’entrevue.
Justine de l’Église est sur Twitter.