En plein milieu d’une campagne pour les droits de l’homme visant à faire cesser le travail forcé lors de la récolte de coton annuelle en Ouzbékistan, des fermiers ouzbeks affirment avoir été enrôlés pour réattacher du coton qu’ils avaient déjà cueilli. Le but de cette drôle d’opération était de simuler un paysage pittoresque et ouaté pour une visite programmée du Premier ministre du pays, Shavkat Mirzayev.
Le gouverneur de la province de Ferghana (dans l’est de l’Ouzbékistan) aurait appelé des centaines d’hommes et de femmes à recoller les fibres de coton sur les plantes qui se trouvent sur le chemin que devait emprunter Mirzayev, selon un habitant de la région, qui en a informé la radio ouzbèke Radio Free Europe/Radio Liberty.
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Dans le village de Shaharteppa, qui devait accueillir le Premier ministre, quelque 400 travailleurs ont été remis au travail pour recoller le coton sur les tiges des arbustes cotonniers disposés le long de la route principale menant au village. Au même moment, d’autres balayaient la route pour qu’elle soit propre, selon cet habitant. Dans ce pays au régime autoritaire, la source de la radio ouzbèke a préféré s’exprimer sous couvert d’anonymat pour éviter toutes représailles de l’État.
« Certains mettaient de la colle dans les capsules [l’extrémité des tiges des cotonniers, à laquelle est attachée la boule de coton], et d’autres y replaçaient le coton pendant que d’autres groupes attachaient de nouvelles capsules sur des tiges dans les premières rangées du champ, » a dit cet habitant. « Lorsque je leur ai demandé pourquoi ils collaient du coton, ils m’ont dit : “apparemment le Premier ministre va venir et on nous a dit que tout devait être beau ici”. »
Un paysan de la région, qui s’est aussi exprimé anonymement par peur de vengeance, a laissé entendre que cet exercice était contraint.
« Les gens ont été exposés à tant de problèmes, » a-t-il dit. « Plus de 500 personnes ont dû quitter leur travail pour venir coller du coton ici. Ils ont dit l’avoir fait par ordre du gouverneur. »
Et comme si ce n’était pas suffisant, le Premier ministre n’est finalement pas venu.
Cet incident n’est pas isolé. Des responsables de la province de Ferghana auraient déjà ordonné à des travailleurs de recoller du coton dans les champs en 2009, lorsque le président Islam Karimov, en fonction depuis 1990, avait traversé la province. En mars dernier, de fausses fleurs de coton auraient été réattachées sur leurs tiges lorsque le chef de l’État est revenu en visite.
Les efforts faits pour embellir les paysages afin de faire plaisir au gouvernement ne sont pas inhabituels, particulièrement dans les anciens pays soviétiques. La formule de « village Potemkin » a été inventée en Russie pour désigner ces faux petits villages érigés dans le but impressionner les dignitaires en visite et les membres de la famille royale.
L’Ouzbékistan est le cinquième plus gros exportateur de coton au monde. Chaque année, le gouvernement recrute plus d’un million de personnes au sein de sa population pour récolter le coton, en échange d’une compensation très faible ou d’aucune compensation, et vend ensuite la récolte à des prix inférieurs aux taux du marché, engrangeant ainsi d’importantes retombées. Au fil des ans, les défenseurs des droits de l’homme ont exercé de plus en plus de pression sur le gouvernement ouzbek pour qu’il abandonne l’utilisation du travail forcé, notamment celui des enfants, qui sont mobilisés pour remplir les quotas régionaux. Mais l’exploitation persiste, selon les groupes de défense.
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Le mois dernier, la Cotton Campaign, une coalition de groupes plaidant contre l’esclavage lié au secteur du coton en Ouzbekistan, a partagé certains documents avec VICE News, qui montrent que le gouvernement force les étudiants à signer des papiers qui affirment qu’ils sont d’accord soit pour participer à la récolte, qui court de septembre à mi-novembre, soit à être expulsé.
Peu d’habitants échappent à ce labeur, y compris les docteurs, les infirmières, les professeurs et d’autres employés du gouvernement.
Matthew Fischer-Daly, coordinateur pour la Cotton Campaign, a déclaré que l’on imposait à des institutions variées de contribuer à la récolte : « Soit celles-ci contribuent à ramasser le coton, soit elles contribuent financièrement ou en fermant ses commerces afin de ne pas interférer avec le travail réalisé par ceux qui vont aux champs. » Même des mariages ont dû être repoussés pour mener à bien la récolte.
Certains habitants paient une redevance aux autorités locales afin d’éviter d’aller cueillir le coton.
« C’est du racket. De l’extorsion, » juge Fischer-Daly. « Cela fait partie de la corruption qui mine l’Ouzbékistan. La corruption fait partie intégrante du secteur du coton. Il existe parce qu’il sert un régime de patronage, qui bénéficie aux responsables du gouvernement. Pas aux paysans ni à la population. »
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